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mercredi, 20 mai 2009

Encerclement de l'Iran (5/6)

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L’encerclement de l’Iran à la lumière de l’histoire du “Grand Moyen-Orient” (5/6)

par Robert STEUCKERS

Matrices territoriales afro-asiatique, élamo-dravidienne et indo-européenne: la conclusion de Colin McEvedy

La matrice indo-européenne procède d’une “Urheimat” de départ beaucoup plus vaste que celles, réduites, que l’on avait imaginées jusqu’ici. Toujours selon Colin McEvedy, il ne faut pas réduire la matrice territoriale indo-européenne (ni l’afro-asiatique ni l’élamo-dravidienne) à une zone trop restreinte, réduite à un petit espace géographique confiné, mais l’étendre à un espace assez vaste, car la mobilité proto-historique a été une réalité trop peu prise en compte jusqu’ici: les Afro-Asiatiques s’étendaient de l’Atlantique marocain actuel à l’ensemble de la péninsule arabique; les Indo-Européens —et McEvedy rejoint en cela l’archéologue allemand Lothar Kilian— de la Mer du Nord (Norvège, Danemark, Pays-Bas) au delta de la Volga dans la Caspienne; la matrice élamo-dravidienne, quant à elle, s’étendait des côtes actuellement iraniennes du Golfe jusqu’au sous-contient indien. Pour McEvedy, seules les matrices ouest-méditerranéennes et caucasiennes de la proto-histoire disposaient d’un territoire plus réduit: péninsule ibérique, bassin de la Garonne, côtes et arrière-pays de Provence, Etrurie-Toscane pour la première; Caucase et Nord-Est de la Turquie actuelle, pour la seconde. Colin McEvedy: “Quelques [archéologues] ont suggéré que le “homeland” original des Indo-Européens correspondait à une zone [allant de la Mer du Nord au Turkestan]. Cette idée est étayée par le fait qu’il n’y a aucun nom de rivière autre qu’indo-européen au sein de ce territoire. Pour le lien récemment démontré entre Elamites et Dravidiens, nous concluons désormais que la Heimat originelle de ce groupe nouvellement baptisé élamo-dravidien a au moins 3000 km de longueur. Nous savons déjà que le groupe afro-asiatique s’étendait sur un espace de 5000 km de longueur d’Est en Ouest. Il semble donc extrêmement improbable qu’un groupe aussi efficace que l’ont été par la suite les Indo-Européens, ait disposé d’un territoire plus réduit que les Afro-Asiatiques et les Elamo-Dravidiens”.

Le territoire d’origine des peuples européens correspond donc plus ou moins à l’espace européen actuel, Russie comprise. L’Iran traditionnel, de Zarathoustra au dernier Shah, se perçoit comme une émanation de cette matrice européenne, comme le produit d’une irruption constructive, bâtisseuse d’empires, dans les espaces élamo-dravidien et sémitique, amorcée vers -1800. Si au départ, cette vision avait une connotation raciale évidente, le brassage continu des peuples dans cette zone a, par la force des choses, fait disparaître le caractère purement racialiste de cet idéal d’irano-européité, pour faire place à la notion intégrante et impériale de “civilisation iranienne”, défendue par Reza Khan Pahlavi, et, dans une moindre mesure, par son fils (qui, pour éviter affrontements et dissensions intérieures, devait composer avec l’islam, qui ne lui a pourtant manifesté aucune gratitude).

La “civilisation iranienne”, pour le dernier des Pahlavi, était le patrimoine iranien, qu’il convenait de réhabiliter contre l’ignorance dans laquelle était plongé le peuple d’Iran, faute d’écoles et d’instituteurs et, à ses yeux, à cause de l’islam. Pour Mohammad Reza Pahlavi, il fallait réactiver les forces du passé iranien en multipliant bibliothèques, instituts, universités, initiatives culturelles. Dans son mémoire en défense, face à l’histoire future et face à l’échéance fort brève que lui laissait la maladie qui le rongeait, il a écrit ces paroles pertinentes: “Cette conception selon laquelle tout ce qui appartient au passé est réactionnaire, antiprogressiste ou dépassé, fort répandue dans une certaine bourgeoisie citadine, avait porté à dénigrer la culture proprement iranienne, à négliger les oeuvres d’art léguées par le passé”. Les nouveaux programmes scolaires, déjà imaginés par son père, devaient remédier à cette déliquescence, fruit funeste de l’urbanisation; par ailleurs, des programmes de télévision et de radio-diffusion étaient appelés à faire revivre, avec succès, l’ancienne musique persane, qui, sinon, serait tombée aux oubliettes. Ce recours aux valeurs sûres du passé, aux archétypes, consolidateurs de toute durée historique et de toute continuité impériale, voulu par Reza Khan et son fils, était pourtant contemporain, dans les années 60 et 70, d’un futurisme culturel, porté par des avant-gardes audacieuses, souvent patronnées par la troisième épouse de Mohammad Reza Shah, la Shabanou Farah Diba.

Révolution Blanche, Démocratie impériale et Grande Civilisation

La référence à la “civilisation iranienne”, chez le dernier Shah, qui cite en ce sens l’iranologue français du 19ième siècle, Gobineau, devait être le prélude à un vaste projet géopolitique, baptisé “Grande Civilisation” et soutenu, en Iran, par la “révolution blanche” et le système dit de la “démocratie impériale”. D’inspiration clairement zoroastrienne et sur le modèle de l’empire de Cyrus, cette marche en direction de la “Grande Civilisation” devait mener l’Iran vers une révolution “anamorphique”, où il aurait été tiré vers le haut par la volonté impériale. L’Iran aurait alors été le modèle à suivre pour ses voisins. Cette révolution intérieure impliquait de poursuivre, en politique extérieure, le projet constructif de susciter et de consolider une vaste solidarité de tous les riverains du Golfe Persique et de l’Océan Indien. Le Shah prévoyait de bonnes relations avec l’URSS et les pays européens du COMECON (dont la Roumanie). Sa diplomatie a indubitablement connu de beaux succès et, notamment, a conduit à la paix avec l’Irak en 1975, grâce au règlement du trafic fluvial et maritime dans le Chatt-el-Arab’ mis au point par le Traité d’Alger; a apporté, avant l’entrée des troupes soviétiques dans le pays, une aide à l’Afghanistan isolé et enclavé (un type d’ingérence iranienne dont ne veulent pas les puissances anglo-saxonnes, comme en 1837 et en 1857); a forgé une alliance tacite avec le Pakistan (mais sans braquer l’Inde); a formulé le projet d’une politique commune avec Singapour et l’Australie pour amener la paix dans tout l’espace de l’Océan Indien (suscitant du même coup des lézardes dans le camp anglo-saxon, dont l’Australie est une pièce maîtresse, mais qui ruait dans les brancards à l’époque, allant jusqu’à doter son aviation de Mirages français).

En déployant cette diplomatie originale et de grande envergure, le Shah profitait de la nouvelle doctrine nixonienne, prévoyant de laisser les alliés des Etats-Unis organiser en toute autonomie leur environnement. Mais les Démocrates challengeurs, puis vainqueurs des élections après la disgrâce de Nixon, suite au scandale du Watergate, avaient d’autres projets, prévoyant notamment la fin de ces autonomies, jugées incontrôlables à long terme, et le ré-alignement inconditionnel des alliés moyen-orientaux sur les politiques américaines, en dépit des principes pragmatiques de la Realpolitik et en dépit des alliances et des fidélités proclamées depuis quelques décennies: la chute de Nixon allait de ce fait entraîner la fin de l’autonomie iranienne dans le contexte délicat et effervescent du “Grand Moyen-Orient”, puis, par fatalité, l’érosion du pouvoir du Shah et, finalement, sa chute. L’entourage de Jimmy Carter, comme avant lui celui de John Kennedy, est hostile au Shah. Il prend un net recul par rapport à la Realpolitik du duo Nixon/Kissinger et introduit le ferment “moraliste” et “droit-de-l”hommesque” dans l’orbe de la politique internationale. Ce fut le début d’une ère de calamités, d’un véritable ressac éthique dans toute l’américanosphère occidentale sous le masque d’une sur-éthique hyper-moralisante, gonflée artificiellement et démesurément par la propagande médiatique, dont on mesure bien les conséquences aujourd’hui, surtout après qu’une nouvelle génération de Républicains, juste avant Reagan puis dans son sillage, a, elle aussi, abandonné la Realpolitik classique pour pimenter et corser le “moralisme” cartérien de discours apocalyptiques, dérivés d’un biblisme religieux protestant et puritain (avec de nouveaux vocables propagandistes tels: “l’empire du Mal”, “l’axe du Mal”, etc.). En règle générale, avant 1978, les Républicains étaient favorables au Shah au nom d’une Realpolitik traditionnelle, qui commençait toutefois à s’éroder; les Démocrates, héritiers de l’idéologie mondialiste et militante de Roosevelt, lui étaient hostiles, à l’exception de Lyndon Johnson.

Cette mutation funeste dans la politique de Washington à l’endroit du régime du Shah, nous induit à développer quelques préliminaires, pour bien saisir notre deuxième batterie de conclusions, celles qui portent, non pas sur l’histoire pluri-millénaire de l’Iran, dont la connaissance reste toutefois un impératif de la raison politique, non pas davantage sur le rôle des facteurs déjà évoqués, qui sont de nature idéologique, religieuse ou ethnique, mais sur la situation géopolitique et géostratégique actuelle, où l’Iran est bel et bien encerclé, pris en tenaille dans un réseau dense de bases américaines, installées en Transoxiane (Ouzbékistan), en Afghanistan et en Irak. C’est-à-dire dans tous les espaces stratégiques, dans tous les glacis ou zones de réserve, qui ont permis à l’Iran, à un moment ou à un autre de son histoire, de rayonner sur son environnement, de consolider les assises de la “civilisation iranienne”, de s’étendre et de survivre.

Washington contre Téhéran

Houchang Nahavandi, dans le chapitre (XI) à nos yeux le plus important de son livre sur la “révolution iranienne”, et qui s’intitule précisément “Washington contre Téhéran”, récapitule toutes les étapes des relations américano-iraniennes depuis 1941, année de l’invasion anglo-soviétique et de l’abdication forcée de Reza Shah. Pour l’Iran, la Grande-Bretagne et la Russie étaient les deux puissances ennemies par excellence, celles qui menaçaient l’intégrité territoriale iranienne. L’ennemi principal était britannique, car il colonisait toute l’exploitation des pétroles d’Iran, par le biais de l’”Anglo-Persian Oil Company”, puis de l’”Anglo-Iranian Oil Company”, et visait une satellisation du pays, permettant d’installer une continuité territoriale sans aucune interruption entre les possessions ou protectorats britanniques situés, d’une part, entre l’Afrique du Sud et l’Egypte, et, d’autre part, entre la frontière égypto-libyenne et la Birmanie.

Après 1918, Londres n’avait plus réellement les moyens de réaliser une politique aussi grandiose, rêve de Cecil Rhodes: l’hypertrophie impériale dans la zone de l’Océan Indien était devenue une réalité fort préoccupante, jetait les derniers feux d’une démesure sans solution donc générait une frustration qu’on ne voulait pas avouer. Reza Khan, devenu Reza Shah en 1926, était, par sa personne et par sa forte volonté de colonel cosaque, un obstacle de taille au projet jadis rêvé par Rhodes. Reza Shah composait avec les Soviétiques, car il était plus russophile qu’anglophile comme nous venons de le voir, mais ne contestait pas encore fondamentalement le monopole anglais sur les pétroles iraniens. Il entendait toutefois diversifier ses relations avec les pays occidentaux industrialisés et avec le Japon: des milliers d’ingénieurs allemands et italiens travaillaient en Iran et les relations commerciales germano-iraniennes étaient fort avantageuses pour Téhéran. Des consortiums scandinaves avaient réalisé la prouesse technique d’achever en onze ans de travaux titanesques le tracé de la voie ferroviaire transiranienne entre le Golfe et la Mer Caspienne, avec des ouvrages d’art stupéfiants, dans des territoires montagneux quasiment vierges. L’Allemagne livre les locomotives. L’Italie et le Japon avaient livré à la marine iranienne naissante des bâtiments de guerre destinés à contrôler les eaux du Golfe. Les officiers de la marine avaient été formés en Italie. Quand les troupes allemandes et leurs alliés envahissent l’URSS en juin 1941 et bousculent les armées soviétiques massées le long de la ligne de démarcation de septembre 1939, l’URSS devient ipso facto l’alliée de la Grande-Bretagne. Les deux puissances décident d’occuper l’Iran neutre, de façon à pouvoir approvisionner l’URSS par la Caspienne et l’axe fluvial de la Volga. L’armée de Reza Shah résiste, les villes iraniennes sont bombardées, la marine iranienne est anéantie dans le Golfe et y perd quasiment tous ses officiers. La garnison de Kermanshah bloque provisoirement l’avance britannique, mais le rapport des forces est évidemment au détriment de l’Iran: le 27 août, le Shah est contraint de demander la cessation des hostilités. En septembre 1941, il abdique en faveur de son fils Mohammad Reza. Il est emmené en captivité en Afrique du Sud où il meurt en 1944 d’un cancer que l’on n’a sans doute pas voulu soigner convenablement.

Les Etats-Unis en Iran pendant la deuxième guerre mondiale

Les Etats-Unis, qui n’entrent en guerre qu’en décembre 1941, ne sont, aux yeux des Iraniens, qu’un troisième comparse, débarqué plus tard, ne sont pas les envahisseurs directs, mais une puissance qui arrive dans la guerre, après la violation délibérée de la neutralité du pays et après les opérations militaires qui ont frappé durement les civils des villes, l’armée iranienne et sa marine. L’Amérique n’est donc pas perçue en Iran, pendant la seconde guerre mondiale, comme une puissance occupante. Elle n’est pas présente visiblement par des déploiements de troupes et des patrouilles; seuls des ingénieurs civils organisent voies ferroviaires et installations portuaires. Pour Nahavandi, les relations cordiales entre l’Iran et les Etats-Unis commencent surtout au lendemain de la deuxième guerre mondiale, quand les Soviétiques refusent d’évacuer le nord du pays et les régions azerbaïdjanaises, qu’ils avaient occupées et où ils avaient organisé un mouvement séparatiste, appelé, à un stade ultérieur, à proclamer l’union de la nouvelle république séparée avec l’URSS. Truman menace Staline, qui cède, et l’intégrité du territoire iranien est ainsi sauvegardée. Ce coup d’éclat scelle l’amitié irano-américaine que le Shah n’oubliera jamais, vouant à Washington une fidélité honnête et dépourvue d’arrière-pensées, qui se révèlera, in fine, pure naïveté. Et le conduira à sa perte.

En 1953, les Etats-Unis, foulant aux pieds cette amitié que leur voue sincèrement le jeune Shah, soutiennent d’abord le nationaliste Mossadegh, en voyant d’un bon oeil la fin du monopole britannique sur les pétroles d’Iran, que Téhéran entend nationaliser. Mais quand Mossadegh doit s’allier au “Toudeh” communiste pour consolider sa majorité en faveur des nationalisations, la CIA change d’avis, par crainte d’une absorption soviétique de l’Iran tout entier ou d’un alignement sur Moscou, et participe aux opérations visant le renversement du ministre nationaliste. Le Shah doit donc une nouvelle fois sa survie et son trône à l’action énergique des Américains. Les relations entre l’Iran et les Etats-Unis restent bonnes entre août 1953 (date de la chute de Mossadegh) et 1961, avec l’arrivée au pouvoir de l’Administration Kennedy. Celle-ci veut se débarrasser du Shah et fomente un coup d’Etat des services secrets iraniens, la fameuse SAVAK. La tentative se solde par un échec. L’assassinat de Kennedy met fin à cette nouvelle politique de volte-face. Lyndon Johnson reconduit l’alliance entre Washington et le Shah.

“Révolution blanche” et diversification

A partir de 1965, les Etats-Unis chercheront toutefois à forcer un changement en Iran. L’année 1965 est marquée par le conflit entre l’Inde et le Pakistan. Lié au Pakistan par le pacte militaire pro-occidental du CENTO, l’Iran soutient son allié, par l’effet du lien contractuel inhérent au traité mais aussi par solidarité musulmane et parce que l’Inde, qui décroche finalement la victoire, recevait le soutien de l’URSS. Malgré cette fidélité aux alliances pro-américaines, trois facteurs contribuaient à brouiller, simultanément et en coulisses, les rapports irano-américains.

- D’abord, les effets de la “révolution blanche”, commencée en 1961, avec partage des terres de la Couronne et des latifundia entre les paysans, l’alphabétisation et l’émancipation des femmes. Ces démarches, nécessaires à l’avancée du pays, provoquent une forte résistance de la part des grands propriétaires terriens, des chefs de tribus et du clergé chiite. En octobre 1963, à la suite de désordres semés par Khomeiny, celui-ci est banni d’Iran. Washington craignait que la “révolution blanche” ne génère une déstabilisation du pays et ne provoque un effet de contagion dans d’autres Etats alliés, y compris en Amérique latine. La leçon à tirer de ces événements, c’est que les Etats-Unis ne tolèrent aucune réforme sociale en profondeur, qu’elle soit portée par une idéologie marxiste-léniniste ou par des mesures pratiques et non idéologiques, parfois autocratiques, comme dans l’Argentine de Péron ou l’Iran du Shah ou la France de De Gaulle hier, ou dans le Vénézuela de Chavez aujourd’hui. Pour les Etats-Unis, c’est clair, les Etats alliés doivent vivoter sous des démocraties qui ne génèrent que le désordre, l’enlisement et la corruption, afin de freiner et de bloquer les initiatives originales, sans modèle préconçu tiré d’une idéologie trop souvent irréaliste, mais taillées chaque fois à la mesure du peuple auquel elles s’adressent, leur donnant véritablement à terme la liberté et l’autonomie sur le plan intérieur et sur la scène internationale.

- Ensuite, la défaite, face à l’Inde en 1965, du Pakistan, qui dépendait entièrement des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne pour son armement, fait craindre au Shah un sort similaire pour l’Iran en cas de coup dur. L’Iran doit donc s’autonomiser et chercher à diversifier ses sources d’approvisionnement en technologies avancées, tant les militaires que les civiles. Houchang Nahavandi cite, à ce propos, un rapport de 1966 de l’ambassadeur américain à Téhéran à l’époque, Armine Mayer: “La crise de septembre 1965 entre l’Inde et le Pakistan a persuadé le Shah qu’une dépendance excessive de la défense iranienne à l’égard des Etats-Unis pourrait réserver à l’Iran le même sort que le Pakistan. Il recherche sa liberté de mouvement”. Le Shah cite de plus en plus souvent De Gaulle en exemple. Et passe à la pratique: il commande en Europe. Et signe des contrats avec l’URSS. Il vise le développement d’une industrie iranienne autonome des armements. Le Shah devient un “ennemi” potentiel: on le traite de “dangereux mégalomane” et même de “cinglé”, injures que Péron et De Gaulle avaient également essuyées. L’enseignement à tirer de cette volonté de diversification du Shah, c’est, bien sûr, que les Etats-Unis ne tolèrent aucune forme de diversification et d’autonomie. La diversification voulue par Mohammad Reza Shah avait connu une précédence: celle réalisée par son père dans les années 20 et 30, avec le concours des Scandinaves, des Allemands et des Italiens. Pire: avec l’argent du pétrole, au début des années 70, le Shah acquiert 10% du capital d’Eurodif, ce qui aurait pu permettre à l’Iran, à terme, de se doter de technologies nucléaires, tant militaires que civiles. L’hostilité à un Iran doté de technologies nucléaires ne date donc pas de ces dernières années et ne relève pas d’une inimitié viscérale à l’endroit de la seule révolution islamiste, qui serait l’expression radicale et musulmane du fameux “choc des civilisations”, théorisé dès 1993, dans les colonnes de Foreign Affairs, par Samuel Huntington.

L’OPEP, la hausse des prix du pétrole et l’émergence de l’agitation islamiste

- Enfin, la hausse des prix du pétrole, décidée par l’OPEP, avait reçu l’approbation du Shah et du roi Fayçal d’Arabie Saoudite (assassiné en 1975). Kissinger, qui, comme les autres, commence à émettre des doutes, à s’aligner sur le camp anti-iranien, finit par vouloir, lui aussi, le départ du Shah, mais ne cherche pas à brusquer les choses, car il entend agir dans le cadre d’une diplomatie traditionnelle de type bismarckien; Kissinger refuse également de mettre les ventes d’armes américaines à l’Iran en danger; il entend conserver au moins cet atout, qui permet un contrôle indirect de l’armée iranienne, à laquelle, le cas échéant, on ne livrerait pas de pièces de rechange. En même temps, Kissinger veut bloquer tout développement et toute prospérité aux firmes européennes exportatrices d’armements. Les trois principaux reproches que Kissinger adresse au Shah sont les suivants: grâce aux plus-values du pétrole, le Shah va consolider son influence régionale, exercer ipso facto des pressions sur les Etats-Unis, transformer son pays en grande puissance. C’est à ce moment-là que Washington décide de parier sur le “fanatisme islamiste” et qu’émergent dans les débats stratégiques certaines des thèses de Brzezinski: insistance sur l’importance stratégique millénaire de la “Route de la Soie” qu’aucune puissance d’Eurasie ne peut dominer entièrement, utilisation de certains réflexes religieux musulmans intégristes pour déstabiliser les Etats qui deviendraient trop puissants dans cette zone, théorisation de la stratégie “mongole” visant à créer des dynamiques destructrices qui jettent à bas les régimes qui dérangent sans les remplacer par des structures politiques cohérentes et alternatives. A ce propos Houchang Nahavandi cite le politologue libanais Nicolas Nasr: “La promotion du fanatisme islamique, inspirée par Henry Kissinger et Zbigniew Brzezinski, visant à promouvoir la naissance d’Etats confessionnels dans la région, pourrait servir hautement les intérêts américains, … la promotion des principes coraniques, en bloquant le développement et toute modernisation dans les pays musulmans, profiterait idéalement au capitalisme américain et occidental, en conférant à ces pays sous-développés le statut de simple marché de consommation des produits industriels” (p. 187). “Les Etats-Unis veulent que les contrées riches en matières premières demeurent des zones économiquement et politiquement faibles, “molles”, susceptibles de receler de nombreux consommateurs potentiels, sans pour autant être en mesure de devenir des Etats forts du point de vue politico-militaire et technologique. Ils doivent rester “dépendants” et donc demeurer des “ventres mous” (p. 188). Ces axiomes de la politique américaine ne valent pas seulement pour l’Iran.

mardi, 19 mai 2009

Dirigente de Kirguistan denuncia permanencia de base aérea de EE.UU

Dirigente de Kirguistán denuncia permanencia de base aérea de EE.UU

El vicepresidente del Comité de Asuntos Internacionales de la Cámara Legislativa de Kirguistán, Kabai Karabékov, afirmó que todos los acuerdos referentes a la base que Estados Unidos emplazó en ese país asiático han vencido, y la permanencia de sus tropas es injustificada.

Insistió el líder parlamentario en que no existen razones para que efectivos del Pentágono permanezcan en Kirguistán.

El parlamento kirguís rescindió el respectivo acuerdo con Estados Unidos y otras once naciones de la llamada coalición antiterrorista. No se justifica que siga funcionando la base de Manas y permanezcan en ella militares extranjeros, reiteró el diputado.
Reiteró Karabékov que no se justifica que siga funcionando la base de Manas y permanezcan en ella militares extranjeros.

Karabékov fue tajante al advertir que todos los acuerdos sellados anteriormente perdieron ya su vigencia.


Con esas palabras el vicepresidente del comité parlamentario explicó la inutilidad de una propuesta del senado estadounidense de destinar 30 millones de dólares al desarrollo de la aeronavegación de Kirguiztán si este país acepta tropas de Washington en Manas.

Recientemente la secretaria de Estado de la potencia del Norte, Hillary Clinton, dijo a la prensa que se sentía confiada en que sea alcanzado un acuerdo.

En nombre de la lucha global contra el terrorismo, Manas fue inaugurada en 2001 de acuerdo con la ONU para apoyar la invasión de fuerzas de la OTAN encabezadas por Estados Unidos contra Afganistán.

Unos mil 200 efectivos estadounidenses y de otros países permanecen en ese enclave militar.

A tenor de una resolución aprobada por el parlamento kirguiz el 19 de febrero, las tropas foráneas tendrán que marcharse de ese cuartel 180 días después de invalidado el acuerdo, o sea en la primera mitad de agosto.

Extraído de Radio Habana Cuba.

Encerclement de l'Iran (4/6)

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L’encerclement de l’Iran à la lumière de l’histoire du “Grand Moyen-Orient” (4/6)

Reza Khan et le pan-iranisme

Pendant la première guerre mondiale, l’Iran se déclare neutre. Sa toute petite armée, réduite à l’impuissance, était organisée par des officiers suédois, la Suède conservatrice tentant toujours de faire diversion dans le sud, de s’y donner des alliés de revers, afin de récupérer la Finlande au nord. Dès le début des hostilités, les Russes violent le territoire au Nord et les Britanniques au Sud, sous prétexte de protéger les champs pétrolifères contre toute attaque germano-turque venue de Mésopotamie. Deux expéditions allemandes, dirigées par von Niedermeyer et Wassmuss, faiblement équipées, parviennent à soulever des tribus iraniennes et afghanes contre les Britanniques ou les Russes. Ces opérations de petite envergure obligent toutefois les Britanniques à mobiliser des milliers d’hommes pour tenter de les neutraliser. Les opérations de Wassmuss lui ont valu le surnom de “Lawrence allemand”. Après la guerre et après le Traité de Versailles, qui cherche à placer l’Iran tout entier sous la domination britannique, Reza Khan, par un coup d’Etat le 21 février 1921, prend le pouvoir, dépose le dernier Shah qadjar, le faible Ahmad Mirza, et fonde la dynastie des Pahlavi. Il compose avec les Soviétiques en 1924 pour obtenir la paix sur sa frontière septentrionale et pour se ménager les Soviétiques contre les Anglais, bien plus menaçants au sud et à l’est; l’objectif britannique étant d’inclure la Perse toute entière dans leur orbite pour “créer une continuité territoriale du Caire à Calcutta”. Pour contrer l’impérialisme anglais, le nouveau pouvoir bolchevique remet toutes les dettes que l’Iran devait à la Russie tsariste. De cette façon, l’Iran, redevable de sa sécurité financière à Moscou, cesse automatiquement de devenir un tremplin éventuel pour envahir l’Asie centrale soviétique.

Le 25 avril 1926, Reza Khan se fait couronner empereur. Il veut insérer son pays dans le 20ième siècle. Admirateur d’Atatürk, il souhaite doter le pays d’un système scolaire moderne, diminuer la dépendance face à l’Angleterre, réduire le pouvoir des religieux chiites, promulguer un code civil et enlever l’exercice de la justice au clergé, ce que ce dernier n’acceptera pas et ne pardonnera jamais. Le plus intéressant dans l’ensemble de ces innovations imposées d’autorité par le nouveau Shah est sa volonté de réhabiliter le passé iranien pré-islamique. Cette réhabilitation passe par la fondation d’une académie qui épure la langue persane de ses emprunts arabes. Mais, comment, par ailleurs, va s’articuler ce “persisme”? Quels en sont les ingrédients idéologiques, les lignes de force?

Le culte de Cyrus le Grand

◊ D’abord le culte de Cyrus le Grand, fondateur de l’impérialité perse. En dépit de 27 ans de pouvoir islamiste, les pèlerinages au site de son tombeau ne cessent pas. Cyrus est l’archétype de l’identité persane mais aussi un symbole de liberté et de tolérance dans l’exercice de la puissance impériale. Cyrus a toujours été un vainqueur magnanime, une “grande âme” (“magna anima”), qui réhabilitait les vaincus, contrairement aux Assyriens qui les décapitaient ou les empalaient. Les deux shahs de la dynastie pahlavi ont tenté d’introniser ce culte de la grandeur perse antique pour évincer un islamisme qu’ils jugeaient décadent, qu’ils considéraient comme un frein au développement de l’Iran. La période d’effervescence, qui a précédé la chute du dernier shah et le retour de Khomeiny, a été marquée par cette lutte idéologique: d’une part, les forces de gauche, comme le parti Tudeh, d’obédience communiste, posaient Cyrus comme un tyran, sapant de la sorte —et de manière préventive— les assises de toute monarchie et de tout retour à celle-ci, quand bien même la monarchie aurait été stabilisatrice et progressiste (au sens technique du terme), indépendantiste (anti-britannique et anti-américaine). L’idéologie du Tudeh voulait promouvoir un “avenir radieux” (pour paraphraser Zinoviev) et ne voulait rien avoir à faire avec le passé, avec des archétypes. Les partisans islamistes de Khomeiny entendaient, eux, ignorer le passé pré-islamique de la Perse et ne valorisaient que l’enseignement des “nobles récits” des héros de la tradition musulmane chiite. Pour le clergé chiite, il est inacceptable de valoriser des événements historiques antérieurs à l’islam, puisque, par définition, toute époque pré-islamique est considérée comme “jahilliya”, soit un “âge d’ignorance”. Ce sera surtout l’ayatollah Khalkhali, —surnommé le “juge pendeur”, car il a été l’exécuteur intraitable de l’élite militaire iranienne favorable au Shah déchu,— qui tentera, mais en vain, d’éradiquer le culte de Cyrus, en réclamant, avec une véhémence tenace, la destruction de son tombeau, des ruines de Persépolis et de toutes les traces de l’impérialité persane pré-islamique (les talibans détruiront, dans un même esprit, les Bouddhas de Bamiyan en Afghanistan). Les islamistes et les partisans de cette figure originale de la révolution iranienne, Ali Shariati, voulaient valoriser la figure de l’Imam Hossein, martyr au 7ième siècle de la foi chiite parce qu’il s’était opposé à la tyrannie illégitime des Ommeyades, apparentés au Calife Othman.

Impérialité perse, zoroastrisme et culte de la Lumière aurorale

Les partisans du Shah, en revanche, se réclamaient du passé “aryen” de la Perse, se démarquant du même coup de leurs voisins arabes (sémitiques) et turcs (ouralo-altaïques). Mohammad Reza Pehlavi, le dernier Shah, qui sera abandonné par ses “alliés” (?) américains, avait clairement renoué avec ce passé en faisant célébrer à grands frais, et de manière maladroite parce que trop dispendieuse, le 2500ième anniversaire de la fondation par Cyrus de l’impérialité perse. Dans ce contexte, il modifie d’autorité le calendrier musulman: l’année de la naissance de Cyrus remplaçant l’Hégire, la fuite de Mahomet de la Mecque à Médine. L’année 1976 devenant ainsi 2535, au lieu de 1355. Un idéologue paniraniste (le paniranisme veut la réunification légitime de la Perse et de l’Afghanistan), Shahrokh Meskoob, écrivait, peu après la révolution khomeyniste: “C’est surtout en deux choses que, nous, Iraniens, différons des autres musulmans: par l’histoire et par la langue. Ce sont ces deux facteurs qui nous ont induits à construire notre propre identité en tant que peuple et que nation. L’histoire a été notre valeur, elle a constitué les réserves pour nous permettre de suivre à chaque fois notre propre voie, et elle est aussi notre refuge. La langue a constitué le socle, le sol et le refuge de notre âme, un point d’appui sur lequel nous nous sommes toujours arc-boutés” (cité par Molavi, cf infra).

◊ Ensuite, la position par rapport au zoroastrisme. Si l’Iran est chiite, admettent la plupart des iranologues, c’est parce que son passé pré-islamique a été zoroastrien. Le chiisme traditionnel, du moins avant Khomeiny, gardait du zoroastrisme le culte du feu et de la lumière, notamment dans les écoles dites “illuminationistes” ou Eshraqi / Ishrâqî. Cette école date du renouveau iranien du 11ième siècle, est en cela typiquement perse, non arabe et non turque. L’idée centrale de cette “illuminationisme” perse est, in fine, un culte de la lumière, hérité du zoroastrisme, dont la manifestation tangible est une architecture religieuse et sacrée, laissant filtrer dans les mosquées ou les mausolées la lumière d’une manière particulièrement ravissante, provoquant des jeux de couleurs turquoise ou émeraude du plus bel effet. Des dieux du jour (et donc de la lumière et du soleil) indo-européens au culte de la Lumière du zoroastrisme, un filon millénaire conduit directement à ces poètes persans des 11ième et 12ième siècles, les Ishrâqîyûn ou adorateurs de l’ “illumination aurorale” ou des “princes célestes”, qui sont en fait les Intelligences illuminantes, dont les astres sont les symboles et les théurgies (oeuvres divines). A l’oeuvre, dans cet univers, un “Eros cosmogonique” porté par les “fidèles d’amour”. Dans les récits mystiques de Sohrawardi (12ième siècle), le Dieu des Dieux proclame: “Rien n’est plus vénérable pour moi que Bahman-Lumière (…) Célébrez en longues liturgies la race de Bahman-Lumière et les rois de la famille de Bahman-Lumière peuplant l’inviolable enceinte du Jabarût (soit le “monde des pures intelligences lumineuses et illuminantes, aurorales”)”. Implicitement, après le “Shahnameh” de Ferdowsi (cf. infra), Sohrawardi réclame, en utilisant le nom zorosastrien de “Bahman” (ou “Vohu Manah”), l’avènement d’un Ordre Royal de tradition persane où ceux qui sont issus de la race de Bahman-Lumière doivent s’organiser en une sodalité ésotérique, élitaire, en “templiers célestes”, sur le modèle de la chevalerie ouranienne pour répondre à l’appel de cette race et pour installer, selon son esprit, un Ordre aussi parfait que possible sur terre, brisant du même coup la solitude de l’homme égaré par ses affects et ses intérêts matériels et le sauvant de la déréliction humaine, tare constante, terrible et récurrente.

Renaissance iranienne au 11ième siècle: le “Shahnameh” de Firdowsi

◊ Dans cette renaissance iranienne du 11ième siècle, émerge également le “Livre des Rois”, le “Shahnameh”, dû à la plume du poète Ferdowsi. Ce dernier a véritablement sauvé la tradition perse de l’arabisation par l’islam. Ferdowsi n’est pas opposé à l’islam. Aucun texte de lui ne constitue une réfutation ou un rejet de l’islam. En revanche, il critique l’invasion seldjouk, danger pour l’identité perse. Ferdowsi était issu d’une famille iranienne du Nord-Est, de la région de Machhad où la mémoire des épopées persanes avait été conservée en dépit de l’islamisation. Né vers 941, il bénéficie du soutien du maître des lieux, Abou Mansour Tousi, qui gouverne le Khorassan pour le compte des Samanides de Boukhara. Afin de réhabiliter l’histoire perse, et donc la geste des rois de la “race de Bahman-Lumière”, les Samanides demandent à Ferdowsi de rédiger ce “Livre des Rois” en 957. Il reprend l’oeuvre laissée par Daqîqî, un poète perse qui avait été assassiné par un esclave turc, et inclut les 988 vers de son “Livre des Rois” dans son “Shahnameh”, auquel il travaille pendant plus de trente ans, jusqu’en 1010, avec le soutien continu des Samanides. La version définitive de cette épopée persane comptera entre 48.000 et 55.000 vers. Quand les Samanides quittent l’avant-scène politique de l’Islam et de l’Iran, Ferdowsi s’adresse à Mahmoud de Ghazni (cf supra), qu’il perçoit comme l’homme fort capable de redonner à l’Iran sa gloire et son lustre d’antan, de résister à l’arabisation et de constituer un rempart contre la menace turque-seldjouk qui pointe à la frontière. Mahmoud de Ghazni l’ignore et le méprise et Ferdowsi mourra abandonné et misérable. Les mollahs musulmans sunnites refusent qu’il soit enterré dans un cimetière religieux, sous prétexte qu’il est tout à la fois chiite et zoroastrien. Le premier Shah Pahlavi lui fera construire un mausolée en 1934, à l’occasion du millénaire de sa naissance. L’oeuvre de Ferdowsi, d’une beauté incomparable, sert de référence au paniranisme voulu par Reza Shah. Il atteste d’abord d’une continuité perse très ancienne, ensuite, d’une résistance iranienne à toutes les influences arabes et turques qui ont tenté de subjuguer le pays et d’en éradiquer la mémoire.

La poésie d’Omar Khayyam

Né vers 1045 dans le Nord-Est de l’Iran, comme Ferdowsi, Omar Khayyam est nommé astronome à la cours du grand vizir seldjouk Nizam al-Molk en 1073. Il calcule le temps avec plus de précision encore que ses homologues européens qui élaborent le nouveau calendrier grégorien. Savant versé dans toutes les disciplines de son époque, il connaît la pensée grecque et indienne, est plus que probablement influencé par une forme de soufisme qui récapitule plus ou moins secrètement, sous un masque islamique, le savoir des siècles et des millénaires antérieurs à la conversion forcée. Omar Khayyam est aussi poète: dans son “Robayyat”, il exprime, pour lui et quelques rares lecteurs initiés, une pensée peu bigote, où le scepticisme domine, assorti d’un rejet des dogmes figés, d’une ironie décapante, d’une misanthropie humoristique et d’un épicurisme affiché. Cette poésie sera redécouverte à Oxford au 19ième siècle par Edward Fitzgerald, qui avait consulté un exemplaire du “Robayyat” de 1461, conservé dans la bibliothèque de l’université britannique. La traduction de Fitzgerald fera connaître et aimer cette poésie persane à l’Europe toute entière. Au 14ième siècle, un autre poète persan, Hafez, réanime les mêmes thématiques poétiques: moqueries à l’égard des zélotes religieux, de la police de la foi. Il inspirera Goethe.

Conclusions:

◊ Notre première batterie de conclusions portera sur la nature réelle des antagonismes qui ont tissé l’histoire du “Grand Moyen-Orient”, que nous avons tenté, sommairement, d’esquisser ici. Généralement, on considère que trois sortes de facteurs sont en jeu: les facteurs religieux, les facteurs idéologiques et les facteurs ethniques. A la lumière de l’histoire iranienne, il ne semble pas que les facteurs religieux soient prépondérents. Le zoroastrisme, bien que réellement religieux et universel, c’est-à-dire transposable à d’autres peuples que les peuples aryens-iraniens, demeure constitutif de l’identité aryenne-iranienne, donc, par voie de conséquence, constitue davantage un facteur ethnique qu’un facteur proprement religieux. La volonté iranienne, surtout depuis les Séfévides, d’adopter le chiisme comme religion d’Empire, est certes un facteur religieux indéniable, mais, vu que ce chiisme est une volonté de se démarquer d’autres peuples, non indo-européens de souche, et vu qu’il véhicule sous un manteau chiite des linéaments religieux zoroastriens inspirés d’une mythologie persane indo-européenne et surtout pré-islamique, il procède forcément, lui aussi, du facteur ethnique iranien.

Les facteurs idéologiques habituels, basés sur les grands récits hégéliens et marxistes, nés en Europe et en Occident au début du 19ième siècle, n’ont guère eu d’impact dans la vaste région du “Grand Moyen-Orient” depuis l’entrée des troupes soviétiques en Afghanistan et la révolution islamiste iranienne de 1978. En effet, les idéologies, et plus particulièrement les fameux “grands récits”, définis par Jean-François Lyotard, se sont effondrés partout dans le monde, comme des châteaux de cartes, à commencer par le marxisme. Des bribes et des morceaux de ces récits ont survécu, ici ou ailleurs, mais travestis, réadaptés, relus, pimentés de mythes religieux ou nationaux (comme chez le théoricien chiite-marxisant Ali Shariati ou chez des révolutionnaires du “tiers monde”). Ces “grands récits” idéologiques ne peuvent donc pas être considérés comme des facteurs essentiels dans le “grand jeu” à l’oeuvre sur l’échiquier du “Grand Moyen-Orient”. Les acteurs locaux se mobilisent plutôt au nom de valeurs plus anciennes, plus fondamentales: celles que portent en germe les facteurs ethniques ou raciaux (n’ayons pas peur du mot). Les acteurs extérieurs, essentiellement les services américains, manipulent des conflits religieux, certes, mais qui recouvrent des antagonismes ethniques pluriséculaires. Il suffit de lire attentivement les documents anglo-saxons pour s’apercevoir que le raisonnement qui les produit n’est ni religieux ni idéologique, mais ethnique et politique. Ce qui offre une base d’action réellement concrète et laisse la manipulation vaine et illusoire de tous ces brics et brocs résiduaires des vieilles idéologies froides, artificielles et purement intellectuelles aux adversaires ou aux “alien audiences”, que sont les opinions publiques des pays alliés, qui ont pour seule tâche d’entériner, sans intervenir vraiment dans le jeu.

Facteurs raciaux: matrices turco-mongole, arabo-sémitique et indo-européenne

Lorsque l’on évoque les “facteurs ethniques ou raciaux” dans l’espace du “Grand Moyen-Orient”, il ne s’agit pas, évidemment, de définir, de retrouver ou de récréer une “race pure”, qu’elle soit iranienne, turque ou arabe. L’exercice serait vain, tant les brassages d’une histoire tumultueuse ont été fréquents et importants. De nombreux sultans d’origine turque ont adopté la vision iranienne/aryenne de l’histoire, ou plus tard, la vision russe. Lorsque nous évoquons ces “facteurs ethniques”, nous entendons de ce fait l’identification volontaire des acteurs de l’histoire ou des peuples à l’une des matrices ethniques fondamentales: la turco-mongole, l’arabo-sémitique et l’indo-européenne.

La matrice turco-mongle a son épicentre originel au nord de la Mandchourie. Les décideurs politiques qui inscrivent leurs actions dans cette tradition turco-mongole se perçoivent comme les avant-gardes d’un vaste mouvement originaire de cet épicentre, en quête de nouvelles terres à conquérir ou à annexer. Ainsi, le pantouranisme turc rêve d’un espace uni de l’Adriatique à la Muraille de Chine.

La matrice arabo-sémitique a son épicentre dans la péninsule arabique. D’après l’historien et cartographe britannique Colin McEvedy, elle procède d’un vaste conglomérat de tribus locutrices de langues “afro-asiatiques” qui s’est scindé, vers –4000, en quatre groupes, chacun disposant d’une “écosphère” propre: les Berbères du littoral nord-africain, les Egyptiens de la vallée du Nil, les Kouchites de la Corne de l’Afrique et les Arabo-Sémites de la péninsule arabique. Le nord de leur “Heimat” originelle s’est urbanisé en marge de l’Empire assyrien et a utilisé la langue araméenne. Le sud est resté isolé dans le désert arabique, devenant au fil des temps de plus en plus sec et aride. La civilisation du Yémen contient des éléments indubitablement indo-européens: architecture et alphabet. L’Islam a sorti les cultures arabo-sémitiques de leur isolement. Elles ont conquis leur environnement araméo-byzantin et perse, mais aussi égyptien et berbère. Ces peuples conquis ont résisté ou résistent toujours. On a vu comment l’esprit persan est revenu à l’avant-plan en Perse malgré l’arabisation, la turcisation et les conquêtes mongoles.

Dans les zones berbères, cette résistance existe également aujourd’hui en Algérie et au Maroc. Charles de Foucauld, récemment canonisé, était l’ami des Berbères Touaregs. Il a été assassiné par des bandes sénoussistes, oeuvrant pour le compte du Sultan d’Istanbul et de ses alliés allemands (les Sénoussistes ont effectué des raids en Egypte, au Darfour, au Tchad, en Libye et dans le désert du Sud algérien, tandis que certaines tribus montagnardes berbères de l’Atlas marocain se rebellaient, clouant au Maroc de nombreuses unités françaises). Détail piquant: les tribus sénoussistes, dont l’obédience est wahhabitique et intégriste, avaient été formées militairement par Atatürk, pour harceler les arrières italiens dans la guerre italo-turque de 1911-1912. Cette stratégie d’ “insurgency” sera reprise par Lawrence d’Arabie contre les Ottomans en Palestine et en Jordanie. Atatürk a donc armé, à son corps défendant et sur l’ordre de son état-major de l’époque, des intégristes islamistes, alors que sa vision personnelle était “indo-européenne”: il voulait identifier sa Turquie nouvelle à l’Empire hittite, indo-européen. Le monde afro-asiatique, et la matrice arabo-sémitique, ne peuvent donc être jugés comme les expressions d’un bloc uni, homogène, sauf quand il s’agit de faire face aux Perses ou à des puissances européennes plus récentes.

lundi, 18 mai 2009

Encerclement de l'Iran (3/6)

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L’encerclement de l’Iran à la lumière de l’histoire du “Grand Moyen-Orient” (3/6)

par Robert STEUCKERS

L’oeuvre stratégique de Trajan

De la mort de César en –44 à +138, les Perses se maintiennent à l’ouest dans la région d’Edesse, empêchant les Romains d’exercer un contrôle réel et définitif sur le Proche-Orient et leur barrant l’accès à la Mésopotamie et au Golfe Persique. Avec l’empereur Trajan [photo], la grande stratégie envisagée par César, à la veille de son assassinat, se concrétise: avec dix légions, Trajan s’empare du pays des Daces, dont il fait la seule province romaine au nord du Danube en +105. Comme la maîtrise du cours inférieur du Danube implique la maîtrise totale de l’Anatolie et de la Mer Noire et, qu’à son tour, cette maîtrise permet de contrôler les bassins du Tigre et de l’Euphrate, Trajan, bien conscient de ces réalités géopolitiques, poursuit son grand dessein: il transforme le pays des Nabatéens en une province d’Arabie, se dotant de la sorte d’une base arrière, pour réduire le saillant perse d’Edesse, s’emparer des hautes terres arméniennes et, dans la foulée, de débouler avec ses légions en Mésopotamie. Finalement, les Romains arrivent à Charax, sur les rives du Golfe Persique. Plus jamais une Europe impériale et unie n’y reviendra! Son successeur Hadrien estime, sans nul doute à juste titre car la puissance parthe n’est pas négligeable et le front est désormais trop long, qu’il est trop risqué de poursuivre l’aventure et de mettre ses pas dans ceux d’Alexandre. Il retire les légions de Mésopotamie, rend à l’Arménie son statut de royaume client, non inclus dans l’orbe romaine. Il affronte une révolte juive, celle de Simon-Bar-Kochba (+132 à +135), qui sème le trouble sur ses arrières et rompt les liaisons entre la Méditerranée et la Mésopotamie. Cette révolte coûte à Rome les effectifs d’une légion entière. Neuf légions sur un total de vingt-huit sont stationnées de la Mer Noire à l’Egypte face aux Parthes. Dix sont stationnées entre l’Autriche et l’embouchure du Danube, région où elles font face aux peuples cavaliers (indo-européens) des Roxolans et des Iazyges (qui formeront bientôt le noyau de la cavalerie romaine, modifiant ipso facto le caractère majoritairement fantassin de l’armée). Hadrien n’avait pas eu tort: sa politique purement défensive apporte à l’empire romain une paix de près de deux siècles, qu’on peut considérer comme son âge d’or.

Les Parthes ne profitent pas du départ des Romains pour reprendre l’Arménie et le saillant d’Edesse: à l’Est se forme un autre empire indo-européen et cavalier, celui des Kouchans, qui s’étend sur le Pakistan actuel, mais aussi sur l’arrière-pays de réserve des empires perses précédents: la Bactrie et la Transoxiane. Privé de cet espace de réserve, l’empire parthe entre en déclin, ce qui amène à nouveau les Perses du Roi Ardashir au pouvoir. L’empire cesse donc d’être parthe, pour redevenir perse, comme du temps des Achéménides. Dans ce contexte de transition du pouvoir, la donne géopolitique est la suivante: Ardashir contrôle certes le noyau antique de l’Empire perse, soit l’Iran actuel, mais les Rois d’Arménie sont de sang parthe et s’allient aux Romains contre le nouveau pouvoir. Cette décision barre la route à Ardashir, qui ne peut reprendre pied sur les hautes terres d’Arménie. Il tourne alors ses forces vers l’est, contre l’Empire kouchan. C’est un succès: les Perses contrôlent tous les territoires du Golfe à l’Indus, y compris la Bactrie et la Transoxiane, espaces de réserve indispensables à assurer la puissance perse sur ses arrières. Mieux: Ardashir traverse le Golfe et place Bahrein sous suzeraineté perse. Deux options géostratégiques de l’ “iranité éternelle” venaient de se traduire dans le réel: le contrôle de l’arrière-pays steppique et la rive opposée du Golfe.

La poussée germanique vers le Danube

Au nord du Danube, les Goths, partis de Suède, ont conquis le bassin de la Vistule, traversé les marais du Pripet et se massent dans la vallée du Dniestr, en Moldavie et en Ukraine actuelles. Ils sont désormais sur la Mer Noire, à hauteur d’Odessa. Ils repoussent les Roxolans vers le Dniepr et le Don. D’autres Germains, les Vandales, partis de Silésie, poussent à travers la Bohème, arrivent dans le nord de la Hongrie actuelle et coincent les Iazyges cavaliers dans la vallée de la Tisza (Theiss). Les Germains de l’Est sont plus menaçants pour Rome que ne l’avaient jamais été les Roxolans et les Iazyges, avec lesquels ils avaient composé. Cette première poussée germanique, bien organisée, oblige les Romains à abandonner deux positions stratégiques importantes: les Champs Décumates entre le Rhin et le Danube, laissés aux Alamans, et la Dacie, si chèrement acquise sous Trajan, aux Gépides, Vandales Asding et Wisigoths. Mais sur le front perse, Rome se maintient, grâce aux légions de Galérien. L’Arménie est toujours cliente de Rome, le saillant d’Edesse sous le contrôle des légions, de même que la moitié nord de la Mésopotamie. Quant aux Perses, ils sont maîtres de tout l’Iran actuel, plus de l’Azerbaïdjan, des régions steppiques au Nord de l’Iran, zone de rassemblement depuis la proto-histoire des peuples cavaliers indo-européens —qui, toujours, fonderont ou redonneront vigueur à l’impérialité perse-parthe,— et de la moitié occidentale du Pakistan actuel, dont la quasi totalité du Béloutchistan.

Les deux empires semblent immuables, résister à leurs périphéries, moyennant des affrontements mineurs. Cependant, à la fin du règne de Julien, qui part contre les Perses avec ses légions gauloises et germaniques, les Huns, partis des flancs de l’Altaï en Sibérie centrale, ont avancé leurs hordes et leurs troupeaux vers la Mer d’Aral: à l’ouest, ils avancent vers la Volga qu’ils atteignent vers +350; à l’Est, ils conquièrent la Bactrie et la Transoxiane, mettant définitivement fin à l’indo-européanité centre-asiatique; depuis lors en effet, cette Asie centrale, indo-européenne depuis la culture proto-historique de Jamnaïa, est devenue turco-mongole, hunnique; elle ne sera jamais plus un espace de réserve pour les empires sédentaires du “rimland”, tous issus de peuples guides indo-européens. Toutes les potentialités démographiques indo-européennes d’Asie centrale altaïque sont, à un moment ou à un autre de la proto-histoire ou de l’histoire antique, rentrés dans l’espace iranien pour y consolider un ordre impérial; désormais, ces potentialités n’existent plus.

La fin lamentable de l’Empire romain d’Occident

Sur l’embouchure de la Volga dans la Caspienne, les Huns font face à un peuple cavalier indo-européen, les Alains, et, à hauteur de la boucle du Don, à proximité de la Volga, ils sont les voisins des Ostrogoths germaniques, dirigés par leur roi Ermanarich, qui s’est rendu maître de la Crimée (les descendants des Ostrogoths s’y maintiendront jusqu’au 17ième siècle!). Les Ostrogoths sont les premiers, avant les Romains et les Perses, à percevoir le danger hunnique: en +372, ils avancent leur cavalerie en direction de la Volga pour affronter la présence étrangère hunnique, mais ils sont écrasés par la tactique avérée des Huns: volées de flèches, décrochages rapides, retour des archers montés, nouvelle volée de flèches, nouveau décrochage, jusqu’à l’épuisement de l’adversaire. Boucliers de l’Europe lors de ce premier assaut hunnique, les Goths, bousculés et vaincus, en seront aussi les premiers martyrs. Leur défaite scelle le sort de l’Europe: les Huns, que plus aucune force militaire digne de ce nom ne peut arrêter, poussent jusqu’à la puszta hongroise, idéale pour l’élevage de leurs chevaux. Ils colonisent cette plaine en soumettant les Gépides. Les peuples germaniques sont repoussés, chassés des rives de la Mer Noire et des terres noires d’Ukraine: ils entrent dans l’Empire romain et finissent par en prendre le contrôle, d’autant plus que le meilleur général romain de l’époque, Stilicon, est un Vandale qui sait composer avec ses compatriotes. En 408, l’empereur Honorius, méfiant, le fait assassiner: mauvais calcul, absence de clairvoyance, mesquinerie de dégénéré, car plus aucun militaire de valeur n’est à même de défendre l’Italie. Alaric, chef des Wisigoths, va venger Stilicon et piller Rome. Honorius se replie à Ravenne et assiste, indifférent, au spectacle. Athaulf, successeur d’Alaric, souhaite une paix définitive avec Rome, mais l’empereur, décadent, irresponsable, incapable de défendre les citoyens de Rome, refuse tout compromis. S’il avait accepté les propositions honnêtes d’Athaulf, l’Empire d’Occident aurait été aussitôt restauré, sous l’impulsion des Wisigoths, pour faire face au second assaut des Huns.

Attila, les Turcs et les Avars

Après le choc entre Goths et Romains, les Huns de Hongrie se donnent pour roi Attila, qui conserve ses puissants alliés germaniques, les Ostrogoths et les Gépides. Attila avance ses troupes jusqu’à Orléans, le point le plus à l’Ouest qu’aient jamais atteint des conquérants venus de l’Altaï. Aetius, dernier général romain de l’Ouest, perdu au milieu des nouveaux royaumes germaniques constitués sur l’ancien Empire romain, parvient à s’allier aux Wisigoths, qui formeront le gros des troupes, aux Burgondes et aux Francs pour faire face à la menace: Attila est battu aux Champs catalauniques en +451 et reflue en Hongrie. Il y meurt l’année suivante. Son empire est partagé entre ses fils, très nombreux. Face à l’anarchie qui s’ensuit, les Germains se révoltent et écrasent les Huns en +454 en Hongrie (Bataille de Nedao, site inconnu). L’Empire romain sort exsangue et démembré de l’aventure, tandis que l’Empire perse, maître des zones les plus importantes de la Transoxiane et de la Bactrie, était parvenu à résister. Mais, le danger ne disparaît pas pour autant: il se transpose à l’est, où les Huns Blancs, qui n’osent affronter les Perses, annihilent l’empire kouchan vers +440, portant l’ennemi potentiel sur l’ensemble de la frontière orientale de l’orbe perse. En +484, l’empereur perse est tué à la tête de son armée, mais les Huns Blancs préfèrent jeter leur dévolu sur l’Inde. La situation changera au siècle suivant: les premiers Turcs à arriver aux portes des empires du “rimland” battent préalablement les Mongols jouan-jouan en +552, qui se réfugient chez les Huns Blancs en Transoxiane. Les Turcs battent les Huns Blancs en +557. Les Perses profitent de l’occasion pour réoccuper la Transoxiane, et se redonner ainsi le territoire qui a toujours été leur habituelle “bouffée d’oxygène”. Après cela, les Turcs restent cois. Mais les débris des Huns Blancs et des Jouan-Jouans se portent vers l’Ukraine et, de là, vers la Hongrie, où nos ancêtres les connaîtront sous le nom d’Avars. Ils affronteront les Francs en Thuringe (+562), qui leur barreront la route de l’ouest. Mais les Avars reproduisent la stratégie des raids tous azimuts d’Attila, frappant au hasard, où on les attend le moins. Les Byzantins les utiliseront, comme mercenaires ou comme alliés de revers, pour mater les Slaves, mais devront leur payer un tribut énorme, empêchant la Rome d’Orient, par la suite, de mobiliser les moyens financiers nécessaires pour battre définitivement les Perses d’abord, pour faire face ensuite aux Arabes, successeurs de Mahomet.

Des Samanides à Mahmoud de Ghazni

La Perse, après les Sassanides, servira de lieu de passage, d’espace de transit pour les tribus turques et hunniques en marche vers le Sud et l’Ouest. Elle n’a plus une réserve indo-européenne semi-nomade et semi-sédentaire, cavalière et guerrière, au-delà de la Transoxiane et de la Bactrie. Les vagues migrantes qui arrivent n’apportent pas un renouveau de souche européenne, mais de la nouveauté non persane, non assimilable à la persité antique. Toutefois, cette spécificité perse ne disparaît pas pour autant: malgré les coups durs encaissés, c’est une dynastie iranienne du Khorassan, les Samanides, qui règne de 819 à 1005. Une autre domine à l’Ouest de l’Iran actuel, les Bouyyides, de 934 à 1055. Les Samanides s’affirment dans la région au sud de la Mer d’Aral, dans le triangle formé par trois villes prestigieuses: Samarkand, Boukhara et Merv. Descendants d’un ancêtre appelé Saman Khudat, les représentants de cette famille islamisée ne sont que vice-rois des califes dans la région: ils se débarrassent, de manière subtile, de leurs maîtres arabes pour établir une culture propre, certes musulmane mais persane et non arabe. Au cours des premiers siècles de la domination arabe, le rejet de l’arabité par les Iraniens sera constant: d’abord, les conversions ont été lentes (il a fallu plus de quatre siècles!), ensuite, la base zoroastrienne de leur religion les induit à choisir généralement des voies chiites, contestatrices des pouvoirs dominants sunnites chez les Arabes, tout simplement parce que le zoroastrisme, puis les doctrines de Mani et de Mazdak, s’opposent aux pouvoirs sclérosés et aux répétitions rituelles stériles.

Les trois villes, qui forment les piliers du pouvoir samanide, sont des centres caravaniers, des foyers de commerce et de culture. Boukhara comptait près de 300.000 habitants. Dans la bibliothèque royale s’accumulaient 45.000 volumes. Un syncrétisme religieux et philosophique y émergeait, favorisé par les contacts entre Arabes et Persans, entre Européens du Nord et marchands chinois, entre Musulmans, Nestoriens et Bouddhistes. Les Samanides, sous la pression des Bouyyides, finissent par perdre le contrôle des mines d’argent de la région, source matérielle de leur pouvoir. Les tribus turques d’Asie centrale lorgnent sur les richesses des villes samanides, qui tombent en déliquescence et ne possèdent plus leur puissance d’antan. Après d’innombrables péripéties, changements d’alliances, trahisons et querelles intestines, les Turcs entrent dans Boukhara le 23 octobre 999.

Une date clef : la chute de Boukhara

Pour l’historien britannique John Man, “la chute de Boukhara en 999 doit être considérée comme le premier épisode d’une crise générale”, qui amènera les Turcs en Anatolie, déclenchera les croisades européennes un siècle plus tard, débouchera sur la prise de Constantinople en 1453 et générera, après les innombrables avatars de l’histoire, le problème des Balkans, toujours irrésolu. Pour éviter un raz-de-marée turc sur le reste de l’Iran, Mahmoud de Ghazni, un Perse, se soumet formellement au calife de Bagdad. Les Turcs n’occupent encore que l’espace clef d’Asie centrale, le triangle urbain de Boukhara, Samarkand et Merv. Mahmoud de Ghazni, fort de l’alliance qui le lie au calife, veut recréer, manu militari, l’empire d’Alexandre et celui des gupta, sous sa rude férule. Il envahit l’Inde, réussit un exploit militaire extraordinaire pour l’époque: la traversée du désert de Thar pour prendre la ville de Somath sur les rives de l’Océan Indien. L’objectif géopolitique de Mahmoud de Ghazni était de créer un barrage d’empires islamisés, de la Méditerranée à l’Inde, pour barrer la route aux Turcs d’Asie centrale, non encore convertis. Mais le pillage systématique des villes indiennes et des lieux de culte hindous, qu’il a pratiqué pour obtenir des fonds, le rendra odieux aux Indiens, qui le considèrent comme le premier envahisseur musulman décidé à détruire les bases de l’hindouisme. Sa rudesse est bel et bien à l’origine du conflit indo-musulman actuel. A sa mort en 1030, son empire, dirigé par ses héritiers, s’étend provisoirement jusqu’à Bénarès (prise en 1033), puis s’écroule. Les Turcs écrasent l’armée de son fils et amorcent, vers 1037, leur longue marche vers l’ouest, qui conduira à la bataille de Manzikert en 1071, contre les Byzantins, puis aux Croisades. A l’Est, ils prendront l’Inde en 1206, sous la conduite d’Aîbek.

Les Séfévides, alliés de revers du Saint-Empire et de l’Espagne

L’Iran ne retrouvera une identité politique propre qu’avec l’avènement des Séfévides en 1501. De 1037 à 1500, effectivement, l’Iran est sous la coupe de chefs turcs ou mongols. Au 15ième siècle toutefois, le déclin mongol permet le réveil de trois puissances: la Lithuanie, la Moscovie et l’ordre religieux soufi des Séfévides. Les Lithuaniens repoussent les Mongols et arrivent sur la Mer Noire. La Moscovie se structure au nord et passera à l’attaque au siècle suivant. Sur les marches turcomanes de l’Iran, un ordre soufi se crée sous la houlette du Cheikh Safi’uddin Ardébili en 1301. Celui-ci adhèrera pleinement à ce complexe religieux soufi-chiite au cours du 14ième siècle. En 1447, six ans avant la chute de Constantinople, le Cheikh Junayd et son fils Heydar imposent une réforme à l’ordre: celui-ci prend un aspect militaire et vise le pouvoir politique. Les tribus turcomanes de la région sont organisées selon de telles règles mystiques et militaires. On les appelle les “Qizilbash” ou “chapeaux rouges”: ils seront entièrement dévoués aux Séfévides.

En 1487, Shah Ismaël succède à son père Heydar, qui avait épousé Marie, la petite-fille d’Alexius IV, empereur de Byzance. L’origine de son épouse lui dicte une hostilité aux Ottomans. Du coup, les puissances européennes traditionnelles cherchent à faire de lui l’allié de revers contre les Ottomans, comme François I était l’allié de revers des Ottomans contre le Saint-Empire et l’Espagne. Shah Ismaël s’assure dans un premier temps la bienveillance, voire l’alliance, des tribus turcomanes de la périphérie septentrionale de l’Iran (sauf les Ouzbeks), conquiert ensuite Diyarbakir en 1508, puis envahit la Mésopotamie. La défaite des Ouzbeks au nord ne lui permet cependant pas de conserver l’espace de la Transoxiane dans la sphère d’influence iranienne, ce qui constitue, comme toujours, un sérieux handicap sur le long terme. Les Ouzbeks sont de fait les alliés de revers des Ottomans. La situation stratégique du début du 16ième siècle est donc la suivante: Espagne, Saint-Empire, Iran contre France, Ottomans et Ouzbeks. L’alliance franco-ottomane ne se fera que dans les années 20 du 16ième siècle, mais, de fait, la volonté de Louis XII, puis de François I, de sortir du cadre légitime de la Francie occidentale (selon le Traité de Verdun de 843) qui s’était déjà emparé antérieurement de la Burgondie rhodanienne, de se rendre maître de la plaine padane pour débouler dans l’Adriatique, sont autant de démarches trahissant une foncière inimitié à l’endroit de l’Espagne et de l’Empire, qui sont, à l’époque, sous la souveraineté commune du jeune Charles-Quint.

Heurs et malheurs des Séfévides

Les Ottomans ripostent et envahissent l’Iran en 1514. L’armée de Shah Ismaël est écrasée. L’expansion ottomane au Proche et au Moyen-Orient commence: Soliman le Magnifique s’empare de Bagdad en 1534. L’Iran séfévide perd définitivement l’Irak. Il faudra attendre l’avènement du Shah Abbas I (1588-1629) pour stabiliser à nouveau l’Iran séfévide, en faire un bloc inexpugnable, regroupant le Caucase, l’Iran et une bonne partie de l’Afghanistan actuel. Abbas I a réussi à consolider ses frontières occidentales, mais sans récupérer la Mésopotamie et le Kurdistan actuel. En 1639, les hostilités entre Ottomans sunnites et Perses chiites cessent durablement: la frontière occidentale de l’Iran restera, grosso modo, la même que celle que nous connaissons aujourd’hui. Au 18ième siècle, Nader Shah Afshar (1729-1747) tenta une nouvelle fois, sans succès, de reconquérir la Mésopotamie, soulageant par ses efforts les Européens, qui purent ainsi consolider les conquêtes d’Eugène de Savoie dans les Balkans et celles de Catherine II sur le pourtour de la Mer Noire. Nader Shah Afshar s’opposa toutefois victorieusement à la Russie dans le Caucase. Il réussit à envahir l’Afghanistan et l’Inde, à prendre Dehli, capitale des Moghols. Ses efforts en Transoxiane furent vains, ce qui n’est pas sans conséquences: l’histoire nous enseigne qu’un Iran qui ne domine pas la Transoxiane demeure faible et menacé. L’épopée guerrière de Nader Shah Afshar se fit au détriment de l’organisation intérieure de l’Empire, comme du temps de Mahmoud de Ghazni: ses conquêtes furent perdues après sa mort. Plus tard, Karim Khan Zand prend Bassorah aux Ottomans, ce qui permet à la Perse de développer son commerce avec l’Inde. Cette victoire montre l’importance stratégique primordiale de ce port au sud de la Mésopotamie.

Au 19ième siècle, la dynastie des Qadjars, turcomane d’origine, affronte la Russie qui, forte de ses victoires contre les Ottomans, a progressé dans le Caucase et commence à grignoter les territoires iraniens. La Russie est désormais maîtresse de la Caspienne. L’Iran, sous la conduite de Fath’Ali Shah, tente de reprendre pied en Afghanistan en conquérant Hérat en 1837: les Anglais font alors pression sur le Shah pour qu’il retire ses troupes. Au même moment, comme par hasard, une révolte religieuse, celle des Bâbis, plonge l’Iran dans une guerre civile. Les Babistes luttaient contre le clergé chiite, jugé trop rétrograde, et militaient pour un assouplissement général des règles islamiques de la vie quotidienne. Réprimé durement, le mouvement continue toutefois à agir dans la clandestinité et travaillera à la chute des Qadjars, en soutenant le mouvement constitutionaliste de la première décennie du 20ième siècle, qui a reçu un certain soutien britannique, retiré prestement, dès que les nécessités stratégiques de l’Entente avec la France et la Russie obligeaient Londres à ménager Pétersbourg pour concentrer tous les efforts contre l’adversaire allemand. La Russie s’opposait au constitutionalisme, craignant la contagion, et préférait soutenir le Shah et le clergé hostile à toute réforme socio-religieuse. En 1857, immédiatement après la Guerre de Crimée, le Shah Nasser ed-Din tente une nouvelle fois de reprendre Hérat; les Anglais, qui n’acceptent pas et n’accepteront jamais cette expansion iranienne vers l’est, débarquent dans le Sud. Russes et Anglais finissent par se partager des zones d’influence dans le pays, le réduisant, non pas au statut d’une colonie, mais d’une zone sans indépendance réelle. Le pouvoir des Qadjars au 19ième siècle est l’histoire d’un lent déclin de la Perse.

dimanche, 17 mai 2009

Ambitieuse Turquie, myopie de la Vieille Europe

Ambitieuse Turquie, myopie de la vieille Europe

090513Ex: http://www.insolent.fr/
Beaucoup de choses changent, en Anatolie comme ailleurs. La seule qui ne se modifie pas ressemble fort, en Europe, à de l'aveuglement. Et il ne faut certes guère trop compter sur la campagne des élections dites européennes. Elle n'avivera guère, je le crains, la prise de conscience des citoyens. Quant aux problèmes associés à l'élargissement on ne les regardera que par le petit bout de la lorgnette. La négociation menée depuis 2004 entre Bruxelles et Ankara demeurera subreptice, sur des bases faussées.

Osons cependant entreprendre ici de corriger quelques illusions d'optique.

Rien de plus faux, d'abord rien de plus contraire à l'Histoire, rien de plus trompeur pour l'avenir que l'idée romantique de "la vieille Turquie immobile." Propagée par Pierre Loti, elle ne correspond qu'aux fantasmes surannés du personnage. Mais elle continue ses ravages.

Ce peuple de la steppe est venu d'Asie centrale au XIe siècle. S'il avait correspondu en quoi que ce soit aux rêveries des orientalistes, le pays qui porte son nom n'existerait même pas.

Aujourd'hui animé d'une grande énergie, bouillonnant de ses contradictions et de son dynamisme vital, il se pousse à nouveau sur la scène mondiale.

Occupant dès maintenant une place géostratégique décisive, poussant son économie vers l'avenir, il cherche aussi l'agrandissement de son espace vital.

L'Union européenne, quant à elle, formatée en 1991 par le traité de Maastricht, déformée par le traité signé à Nice en 2001, n'en finit pas de ne pas se doter d'une véritable politique extérieure. Cela vaut peut-être mieux, penseront d'ailleurs certains, tant que le président de la commission de Bruxelles, actuellement M. Barroso, et tant que la majorité du parlement de Strasbourg persisteront à raisonner et à agir, au rebours des intérêts, et surtout de l'âme de notre Vieux Continent.

Telle une certaine fusée expérimentale détournée par une puissance mauvaise, et que le professeur Tournesol préféra détruire plutôt que de la perdre, je sais que certains croient sauver l'Europe en lui retirant ses institutions. J'espère qu'on pardonnera quand même à ceux qui souhaitent encore donner une dernière chance à la raison.

Personne ou presque n'ose s'insurger contre la manière péremptoire dont les évolutions nous sont présentées. On voudrait bien pourtant pouvoir renvoyer dos-à-dos les docteurs Tant-Pis du souverainisme comme leurs confrères Tant-Mieux de l'eurocratie. Les choix binaires et caricaturaux proposés aux citoyens, moins sots que l'imaginent les communicants, ne sauraient être tenus pour étrangers à l'indifférence que suscite à ce jour la campagne actuelle.

Néanmoins, sans illusion pour l'immédiat, m'adressant à une partie plus éclairée, plus rare aussi, de l'opinion, je voudrais souligner l'évolution de la politique régionale d'Ankara depuis le début de l'année 2009.

Cet hiver, en février, un nouveau secrétaire d'État chargé des relations avec l'Europe est apparu. Ce négociateur s'appelle M. Egemen Bagis. On ne peut pas considérer comme positive l'évolution qui en est résultée si j'en juge par l'évaluation d'un grand quotidien du soir, habituellement moins sévère pour ce pays :
"méthode" d'Ankara pour adhérer à l'Union européenne crée le malaise à Bruxelles
Au-delà de la polémique sur la nomination de M. Rasmussen,
"c'est la méthode suivie par Ankara qui pose problème"
, souligne un diplomate bruxellois. S'incarnant en porte-parole des pays musulmans, ce qui a aussi fortement déplu, M. Erdogan a relancé les interrogations quant à la volonté réelle de son pays de respecter la liberté d'expression, l'une des exigences les plus fortes des négociateurs européens.
"Très choqué" par la pratique de la Turquie et son évolution vers ce qu'il a appelé "une religion plus renforcée, une laïcité moins affirmée", Bernard Kouchner a, quant à lui, saisi l'occasion pour affirmer, mardi 7 avril, qu'il n'était plus favorable, désormais, à l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne.
La
Et, début mai, on apprenait la nomination d'un nouveau ministre des Affaires étrangères en la personne de M. Davutoglu, qui en réalité a toujours conseillé la politique de MM. Erdogan et Gül.

Deux mots sur ce nouvel interlocuteur. Pour la première fois dans ce pays, il ne s'agit pas d'un parlementaire du parti au pouvoir, mais d'un professeur de Relations internationales. Or la ligne qu'il représente risque fort d'étonner tous ceux qui imaginent à la fois une Turquie aspirant avant tout à une intégration européenne et, en même temps, une sorte de barrière contre les divers courants de l'islamisme proche-oriental.

Puissance régionale, aspirant à jouer un rôle mondial, la république fondée par Mustapha Kemal a cessé de se penser elle-même comme une sorte de pré carré inviolable, protégée contre elle-même par son armée laïque, gardant jalousement des frontières définitives. Il va falloir désapprendre les images fortes, convaincantes, mais hélas fausses, propagées par Benoist-Méchin.

En 2004 par exemple, pour complaire à la commission de Bruxelles, une révision constitutionnelle majeure liquidait la conception théoriquement nationaliste de la supériorité du droit interne. En même temps, symboliquement, la peine de mort était abolie. Donc désormais, quand ce qu'on appelle "l'État profond" voudra se débarrasser d'un gêneur, d'un journaliste arménien ou d'un contestataire quelconque il devra renoncer aux méthodes judiciaires. Il lui restera le recours de l'assassinat. Le scandale momentané sera suivi d'une enquête stérile, d'un procès truqué, et enfin d'un jugement débonnaire quand les exécuteurs auront bien voulu se livrer à la police. Jusqu'ici ça ne marche pas trop mal, dans cet excellent pays, où l'on attache plus d'importance à la cuisine qu'à la philosophie, je veux dire à la pratique plutôt qu'aux grandes idées abstraites.

Ankara peut donc avancer sereinement, et impunément sur la voie de son projet multidirectionnel.

Nommé officiellement le 1er mai Ahmet Davutoglu, 50 ans, se verrait, nous assure-t-on, accusé par ses adversaires de "néo-ottomanisme".

Cette expression, citée par "Libération" (2) ne veut strictement rien dire.

Ou plutôt elle peut recouvrir des concepts tout à fait contradictoires.

"L'ottomanisme" historique domina l'évolution de l'Empire au cours du XIXe siècle. Cela fonctionna à partir des années 1830- 1839 ("Tanzimat" réformateur), puis 1856 (égalité complète des citoyens vis-à-vis du service militaire). Et cela dura jusqu'à la catastrophique révolution jeune-turque de 1908-1909. Cette évolution eût conduit à un résultat sans doute préférable à ce que fabriquèrent le sinistre Enver pacha, jusqu'en 1918, puis Mustapha Kemal.

Parler de "néo-ottomanisme" permet de ne pas comprendre.

En fait la "doctrine Erdogan" consiste à dire par la bouche de M. Davutoglu de façon très réaliste :
"la Turquie ne peut pas privilégier ses liens avec l’Orient ou avec l’Occident car les deux sont indissolublement liés".
Si l'Europe disposait d'une véritable politique extérieure commune, elle mettrait un terme aux négociations d'adhésion. Elle proposerait l'alternative dite "franco-allemande", celle d'un partenariat. Et elle le ferait sur le simple constat de cette évidence : dès lors qu'elle ne "privilégie pas ses liens avec [ce qu'elle considère comme] l'occident" elle ne cherche pas à appartenir pleinement à notre famille de nations "occidentales".

Que le caractère "multidirectionnel" de son projet dépasse, certes, comme celui de l'hitlérisme défini dès les années 1920, ses capacités propres, ne l'empêchera pas de nuire. Dans les années 1980 la junte militaire avait inventé Turgut Özal. Premier ministre (1983-1989) puis président de la république civil (1989-1993), il déposa auprès de l'Union européenne la candidature d'Ankara. Or il donnait déjà du monde turc une définition très large "de l'Adriatique à la muraille de Chine".

Nous ne nous trouvons donc pas dans une situation de véritable innovation doctrinale, due à on ne sait quelle bouffée d'islamisme mystique. Les confréries auxquelles se rattachent, aussi bien aujourd'hui MM. Erdogan et Gül que M. Özal hier, n'ont jamais pensé autre chose. Je développerai bientôt ce point particulier. Ahmet Davotuglu n'en donnera sans doute que la version savante et diplomatique.

Et pour bien comprendre les choix que la Turquie devrait et pourrait opérer, on peut citer plusieurs potentialités.

1° la plus déstabilisante pour le proche orient vise les pétroles du nord de l'Irak. Elle prétend s'appuyer sur les droits de la minorité turkmène dans la ville de "Kirkouk à moitié kurde" (3). Sans le vote de mars 2003 du parlement d'Ankara, qui ne permit pas alors, faute d'une majorité suffisante, l'envoi d'un premier contingent de 62 000 hommes aux côtés des Anglo-Américains, nous pourrions en observer le scénario.

2° la plus classique pour les stratèges conservateurs consiste à intervenir pour "maintenir l'ordre dans le Kurdistan irakien" en frappant une fois de plus dans la zone montagneuse où se réfugient les rebelles marxistes-léninistes du PKK, mais aussi en satellisant les "Kurdes modérés" installés au pouvoir.

3° la plus extravagante mais aussi la plus inquiétante pour le gouvernement chinois, qui la prend très au sérieux, consiste à encadrer la contestation des Ouïgours du Sin-kiang, supposés de race turque et de religion mahométane.

4° la plus illusoire vise les anciennes républiques dites "musulmanes" détachées de l'Union soviétique en 1991. Elle permettrait de réunir l'Anatolie au "Turkestan" chinois via l'ancien "Turkestan" russe. Ce programme "panturquiste", après avoir beaucoup intéressé les Allemands à partir de 1941 (4) a séduit, semble-t-il, un certain nombre d'hommes d'affaires occidentaux. Au début des années 1990, les Ouzbeks, Kazakhs, Kirghiz, Turkmènes et Azéris (5) ont vu avec plaisir arriver des cousins très lointains. Ces gens aimables leur parlaient un idiome forgé par Kemal sous le nom de langue "soleil", voisin des leurs. De plus ils semblaient susceptibles de compter en dollars. Mais tout le monde est revenu sur terre, et le projet a depuis tourné court. Le plus important pays de la région, l'Ouzbékistan fait accessoirement figure de principal opposant à cette "grande idée".

5° la plus immédiate, celle qui préoccupe Israël, consiste à se présenter comme le porte-parole des pays musulmans du proche orient et à prendre en main le projet d'un État palestinien, en mettant en place un accord avec la Syrie, etc. Freinée par le gouvernement Bush, cette démarche semble prendre de la crédibilité avec la présidence d'Obama.

6° la plus dangereuse pour l'Europe, la seule qui la concerne directement, vise une expansion rêvée dans les Balkans, en direction de l'Adriatique, vers l'ensemble des territoires que l'on appelait autrefois "Roumélie". Le secrétaire général de l'Organisation de la Conférence islamique, le Turc Ekmeleddin Ihsanoglu est parvenu, lors la XIe réunion des 57 pays musulmans qui s'est tenu à Dakar en 2008, à faire insérer une résolution se solidarisant et appelant explicitement à une intervention en vue de protéger les coreligionnaires opprimés dans les Balkans et en citant la Thrace occidentale et la Bulgarie. Dans les années 1990 on a appelé cela la flèche verte. Elle vise en fait l'ensemble des pays du sud-est européen.

Pour toutes ces raisons et pour quelques autres je juge, quant à moi, fort périlleux pour ne pas dire inconvenant d'imaginer l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne.

 

Apostilles

  1. cf. Le Monde édition du 11 avril 2009
  2. cf. Libération du 5 mai.
  3. cf. Le livre de Amanj al-Barzanji "Kirkouk à moitié kurde" Cairn 2007
  4. Date où ils mirent un terme à leur alliance avec Staline. Un rapport secret de 1943 rédigé par l'ambassadeur du Reich Von Papen, et publié après la guerre, démontrait l'absurdité de ce projet. En 1944 un jeune officier pro-nazi Alpaslan Turkes fut emprisonné pour y avoir imprudemment adhéré. Plus tard il fondera, et dirigera jusqu'à sa mort, le parti des Loups gris "MHP" qui représente environ 15 % du corps électoral, qui a plusieurs fois participé au gouvernement et siège actuellement au parlement sur la base de cette doctrine inchangée.
  5. Le Tadjikistan appartient, lui, du point de vue linguistique, à la sphère iranienne.
JG Malliarakis

Encerclement de l'Iran (2/6)

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L’encerclement de l’Iran à la lumière de l’histoire du “Grand Moyen-Orient” (2/6)

par Robert STEUCKERS

Fin de l’unité seldjoukide et avancées européennes

L’unité seldjoukide s’effondre: trois sultanats se partagent, après les coups portés par les Croisés, l’héritage d’Alp Arslan. Mais le flot démographique turc continue à se déverser via l’Iran vers l’Anatolie et le Moyen-Orient arabe. Le Sultan seldjouk Sanjar de Merv ne parvient pas à canaliser ce flot ininterrompu qui consolide parfois les sultanats turcs établis mais y introduit tout aussi souvent le désordre: une tare du nomadisme. La Perse, dans ce contexte, est devenue le sultanat seldjouk d’Hamadan. Elle est un espace de transit pour les nomades et leurs troupeaux qui suivent leurs guerriers victorieux. Les croisades, qui ne sont pas vraiment un succès militaire sur le long terme, permettent toutefois, par la pression constante qu’elles exercent, aux royaumes ibériques de libérer une très vaste partie de la péninsule hispanique, à la Géorgie de se dégager de la tutelle seldjouk, aux Russes de Novgorod et de Souzdal de tenir tête aux Coumans, aux Byzantins de reprendre pied dans les Balkans.

L’affrontement a été lourd face aux Seldjouks. L’histoire des croisades nous montre que les Croisés “latins” et les Arméniens “grecs” feront cause commune, en dépit du contentieux entre Rome et Byzance, sanctionné par le schisme de 1054. Quand les Croisés doivent plier devant le général kurde Saladin, le conflit demeure chevaleresque, tout simplement parce que Saladin est un indo-européen, ni turc ni arabe. De là, la littérature épique et courtoise de notre moyen-âge, où Feirefiz, le chevalier perse ou kurde est l’ami de Parzifal, son homologue allemand, dans l’épopée de Wolfram von Eschenbach. Aucune fraternité de ce type n’est attestée dans la littérature épique espagnole, où Européens affrontent Berbères et Arabes, ni dans une oeuvre antérieure à l’affrontement avec les soldats de Saladin ou ceux de ces successeurs.

L’académicien René Grousset, spécialiste de l’Asie centrale, dans son livre L’épopée des Croisades, restitue clairement la situation: l’Empereur germanique Frédéric II Hohenstaufen admire, non pas tant l’islam en tant que religion, mais la science arabo-perse, capable de structurer durablement un empire. Frédéric n’a donc pas les aprioris habituels des chrétiens occidentaux contre l’islam ou les civilisations antérieures qu’il recouvre de son vernis. Les successeurs de Saladin le Kurde, eux, raisonnent en termes géopolitiques. Son empire, qui comprend alors l’Egypte, la Syrie-Palestine et la Mésopotamie, est administré par ses trois neveux, chacun sultan de l’une de ces provinces. El-Mouazzam, sultan de Syrie-Palestine à Damas, entre en conflit avec son frère aîné, El-Kâmil, sultan d’Egypte. Pour vider la querelle, El-Mouazzam fait appel à des nomades turcs commandés par Djélal ed-Dîn Mangouberdi, chassé du Khwarezm (Nord-Est de l’Iran actuel) par les Mongols de Gengis Khan. El-Kâmil voit le territoire de son Kurdistan original ravagé, l’élément perse subjugué et l’héritage de Saladin menacé jusqu’en Egypte. Il envoie un ambassadeur, l’émir Fakhr ed-Din, à Frédéric, pourtant excommunié, pour lui implorer son secours contre El-Mouazzam et Djélal ed-Dîn Mangouberdi; en échange, il lui offre Jérusalem, reprise jadis par son oncle Saladin.

Les Croisades échouent parce qu’elles n’ont pas le soutien pontifical

Les croisés du Saint-Empire romain germanique débarquent à Saint-Jean-d’Acre sous le commandement de Henri de Limbourg, qui bien vite, repousse les troupes d’El-Mouazzam et vient en aide à Hermann von Salza, grand maître de l’Ordre Teutonique en Palestine. El-Mouazzam meurt avant l’arrivée —tardive, il est vrai— de Frédéric. El-Kâmil marche sur Damas avec les troupes de son frère El-Achraf, sultan de Mésopotamie. Après moultes tergiversations, El-Kâmil et Frédéric s’entendent pour donner à Jérusalem un statut de condominium, acceptable pour les deux parties. Les Germains l’occupent et l’administrent officiellement, flanqués d’un cadi musulman, en charge de guider les pélerins vers l’enceinte du Haram ech-Chérif. C’était en 1229. Frédéric est rappelé en Italie, où les intrigues pontificales suscitent révoltes et troubles. Sa victoire diplomatique n’est pas reconnue comme telle. Triste exemple de mauvaise foi.

En 1239, les Croisés obtiennent encore une victoire, en conquérant la Galilée et Ascalon. Mais, faute de soutien pontifical, cette victoire sera de courte durée: les Turcs Khwarezmiens prennent Jérusalem en 1244, puis Tibériade et Ascalon en 1247, prouvant par là même que la volonté frédéricienne de faire barrage commun avec les Kurdes de la famille de Saladin était un projet stratégique cohérent. Les Mongols, qui suivent les Khwarezmiens, comme l’avait prévu le Sultan El-Kâmil, prennent Bagdad en 1258. Il faudra un sursaut des mamelouks d’Egypte pour mettre un terme à la présence mongole en Palestine. Pire, la lutte de la Papauté contre l’Imperium de Frédéric affaiblit l’Europe, au point qu’elle a risqué une conquête mongole en 1240-41: les hordes de Batou, prennent Kiev en 1240, envahissent la Pologne, se heurtent victorieusement à l’armée impériale à Liegnitz en 1241, mais ne poursuivent heureusement pas leur course plus loin à l’Ouest. Une autre horde longe le Danube et ravage la Hongrie. Une fois de plus, les deux attaques turco-mongoles ont été simultanées, comme au temps des Seldjouks et des Coumans, à une époque où l’Europe était affaiblie par des querelles intestines, fomentées à Rome ou à Paris. Paradoxe: le Sultan El-Kâmil était plus lucide que le Pape romain!

L’émergence de la puissance ottomane

Après les croisades, les sultanats seldjouks disparaissent. L’Anatolie est fractionnée entre des émirats antagonistes, dont les principaux sont ceux de Karaman, de Sivas et, enfin, celui des Ottomans, qui connaitra un grand destin. Les Ottomans, proches de la Mer de Marmara et de Constantinople, parviennent à prendre pied à Gallipoli en 1354. Sur la rive européenne, l’empire serbe de Stéphane (ou Etienne) Douchan, qui s’étend de Belgrade à l’Egée, se décompose en plusieurs petites entités rivales à la mort du grand roi en 1355. Les Bulgares sont également divisés en fractions rivales. Ce désordre et ces querelles fratricides permettent aux Ottomans de passer à l’attaque et d’annihiler Serbes et Bulgares. Dans les années 1360, ils se bornent à grignoter le territoire des anciens royaumes cohérents des Serbes et des Bulgares, ce qui les amènent à contrôler la Thrace. Dans les années 1370, ils établissent une frontière militaire contre les Slaves des Balkans. Dans les années 1380, ils font des Serbes et des Bulgares leurs vassaux. En 1389, le Sultan Bayazid bat les Serbes au Champs des Merles (Kosovo) et force les émirats turcomans à l’Ouest de l’Euphrate à se soumettre à son autorité. Un croisade de secours, franco-germanique, dont fait partie notre Duc Jean Sans Peur, est écrasée en Bulgarie en 1396. Bayazid Yildirim (le “Tonnerre” ou la “Foudre”) se rend maître de l’ensemble des territoires jadis byzantins sauf Contantinople et Trébizonde, devenues des enclaves urbaines isolées de leur environnement. La masse territoriale de l’Empire d’Orient devient ottomane. Les anti-unionistes orthodoxes imaginent une théologie qui puisse fusionner le christianisme grec et l’islam turc (Georgios Scholarios, dit “Gennadios”, Georgios Amoiroutzès de Trébizonde), d’autant plus qu’avant la conquête du Proche-Orient par les Ottomans, l’empire est majoritairement “grec”. Les nouveaux maîtres vont reprendre à leur compte les stratégies d’expansion des Byzantins en direction des Balkans, puis vont reconquérir le Proche-Orient, la Mésopotamie et l’Egypte (début du XVIième siècle) et se heurter aux Perses.

Mais l’oeuvre géopolitique de Bayazid Yildirim sera ruinée par un chef tatar converti à l’islam, qui n’aura détruit que des empires musulmans au cours de sa fulgurante carrière: Timour Leng ou Tamerlan, qui le bat à Ankara en 1402, donnant paradoxalement un répit à l’Europe. Prisonnier de Tamerlan, Bayazid meurt en captivité. Mais le chef tatar abandonne l’Anatolie; il a un autre projet: envahir la Chine et la détruire comme il a détruit l’Inde de Dehli. Il meurt en chemin. L’empire ottoman peut renaître et se retourner contre l’Europe: Mehmet II Fatih prend Constantinople en 1453, chasse les Génois de Crimée, vassalise les Tatars de cette presqu’île russe, devient le maître incontesté de l’espace pontique. Il ne commet pas l’erreur des Seldjouks: laisser le flot démographique turcoman d’Asie centrale se déverser sur ses possessions; il oblige les “Turcs de la Horde du Mouton Blanc” à demeurer à l’Est de l’Euphrate, ce qui lui permet de réorganiser en paix les territoires conquis sans devoir subir le désordre d’une immigration incontrôlée. Son premier objectif est de se rendre maître de toute l’Egée, d’arracher aux Vénitiens et aux Génois tous leurs comptoirs dans le bassin oriental de la Méditerranée. Lesbos tombe en 1462 et Eubée en 1470. Remarque: c’est Tamerlan qui sert de modèle à Zbigniew Brzezinski aujourd’hui car il détruit sans les reconstruire les empires du rimland eurasien. Ce principe dit “mongol” séduit Brzezinski car, s’il est appliqué à intervalles réguliers, aucune concentration de pouvoir ne peut demeurer en Eurasie sur la longue durée, en étant capable de challenger l’unique superpuissance encore en place sur cette planète.

Chevaux, chars de combat et roues à rayons

Revenons au destin de la Perse, dans la période qui va des premières croisades à l’expansion ottomane du 15ième siècle. Cette histoire est instructive pour les temps présents, où la région est à nouveau théâtre de guerres. Depuis des temps immémoriaux, des tribus indo-européennes (aryennes) erraient dans la steppe, de l’Ukraine à la Mer d’Aral. Elles avaient domestiqué le cheval. Elles étaient partiellement sédentaires (culture de Fatyanovo dans le bassin de la Volga). Elles semblent avoir commencé leurs mouvements vers l’Oural avec la culture d’Usatovo (entre –4000 et –3000). Celle-ci est suivie de la culture dite de Serednij Stog, puis par celle de Jamnaïa, qui sera la culture-source des grandes expansions indo-européennes de la proto-histoire vers l’Iran, l’Inde et probablement la Chine. Dans son grand atlas historique, le Prof. Jacques Bertin souligne l’importance de la culture d’Afanasievo (-2400 à –1700): “L’expansion indo-européenne, depuis l’Ukraine, atteint toute l’Asie centrale. La culture d’Afanasievo (…) profite de la richesse en minerais et en pâturages des montagnes de l’Altaï et des Saïan pour développer l’élevage (chevaux, bovins), l’agriculture et fabriquer des bijoux en métal (…). Une agriculture irriguée est pratiquée au sud de la steppe près de la Mer d’Aral (culture de Kelteminar) et au pied des montagnes de Turkménie”. Ensuite, ajoute-t-il, la culture de Glaskovo (-1700 à –1200) fait de “la région le lieu d’échange entre l’Ouest et la Chine”. Le déssèchement général amène des transformations, mais Bertin constate que la civilisation de Glaskovo, vers –1300 continue à “rayonner sur le Bassin de l’Amour”.

Vers –1800, ces cavaliers apparaissent en Iran et dominent les Elamites de souche dravidienne. Ils forment l’aristocratie cavalière chez des peuples dravidiens (comme les Kassites) ou caucasiens (les Hurriens organisés par les Mitanni indo-européens). Les Mitanni nous ont laissé un manuel d’entraînement de cavalerie et d’utilisation du char de combat; on a découvert ce document à Hattusas, la capitale des Hittites. Plus loin, ces mêmes tribus, qui maîtrisent la technique militaire du char et de la roue à rayons, déboulent en Chine et jettent les bases de l’organisation militaire des futurs empires chinois (période de –1600 à –1400). Vers –1275, trois branches indo-européennes orientales distinctes occupent l’espace qui va de la Mer d’Azov aux confins de la Chine et de la Mer d’Aral à la Perse à l’Ouest et à l’Inde à l’Est: les Scytho-Cimmériens, les Iraniens et les Indiens.

Zarathoustra

En -714, des troupes scythes et cimmériennes bousculent le royaume caucasien d’Ourartou, s’établissent en Anatolie, puis défont les Assyriens en –705. Le facteur indo-européen et cavalier devient décisif et incontournable au Moyen-Orient: jusqu’à l’avènement de l’Islam, plus aucun empire de facture sémitique ne s’imposera à la région. Toutes les directions politiques seront scythes, cimmériennes, mèdes, perses, grecques, macédoniennes, parthes ou romaines. Vers -560, apparaissent les Mèdes, qui soumettent Arméniens, Cimmériens d’Anatolie et Perses (une petite tribu reléguée dans le Sud peu fertile de l’Iran actuel). Pourtant ce seront les Perses, en –533, qui prendront la direction de l’ensemble, fort vaste, de l’Empire mède. C’est là que commence la véritable histoire de l’Iran.

Elle est précédé par l’apparition d’une figure prophétique, celle de Zarathustra ou Zoroastre, entre –610 et –590. Ce réformateur religieux est né en Bactrie, région centre-asiatique au nord de l’Iran actuel, où attendent, comme dans une anti-chambre, les peuples cavaliers de la steppe sibérienne pour jouer un rôle politique prépondérant dans le rimland moyen-oriental et mésopotamien, comme l’atteste l’histoire, depuis les Elamites et les Hurriens. Considéré comme un trouble-fête dans sa région natale, Zarathustra émigre par la suite dans le royaume de Chorasmie —situé au sud de la Mer d’Aral selon les uns, sur le cours moyen du fleuve Amou Daria pour les autres— où le roi Vishtapa l’accueille et accepte son code religieux, social et éthique. Les prêtres traditionnels, représentant d’une hiérarchie figée et adeptes d’une religiosité purement formelle et rituelle, organisent une révolte générale contre la nouvelle foi. Zarathoustra meurt martyr en –553. Il avait jeté les bases d’une religion de la justice, de la participation active du croyant à la chose politique, participation positive qui sera, disait-il, jugée par Dieu lors d’un Jugement Dernier. Le modèle “messianique”, plus exactement celui du “saoshyant”, du “Sauveur qui aide”, “qui vient pour aider”, est né dans cet espace scytho-iranien, entre la Mer d’Aral et la vallée de l’Amou Daria. Les Juifs, avec le prophète Daniel, le ramènent de la captivité babylonienne, après la victoire des Perses de Cyrus contre les héritiers de Nabukhodonosor. Le modèle, mutatis mutandis, sera repris par le Christ puis par deux prophètes iraniens, Mani et Mazdak, qui connaîtront également le martyr, et, enfin, mais cette fois-ci en Arabie, par Mahomet.

La fin des Séleucides et l’arrivée des Parthes

Les Achéménides (-550 à –330) acceptent le zoroastrisme dans ses grandes lignes, comme un moyen commode d’unir Perses et peuples soumis. Le zoroastrisme, devenu ainsi religion d’Empire, survit sans problème à la parenthèse des conquêtes d’Alexandre. Et se diffuse dans tout l’espace dominé par les Perses, créant une véritable diaspora, véhiculant l’esprit d’une “certaine civilisation iranienne”. Sous les Séleucides, qui prennent le relais après le partage de l’empire d’Alexandre, la Perse hellénisée connaît une longue période de déclin et perd les régions clefs de la Bactriane et de la Sogdiane au nord de l’Oxus (= Amou Daria). De nouveaux nomades indo-européens venus de Sibérie vont s’y concentrer: parmi eux, les Parthes, sous l’impulsion des Arsacides. Les Séleucides s’opposent à la progression parthe, qu’ils jugent à juste titre fort dangereuse. Ils n’y parviennent pas à cause d’un soulèvement levantin à Antioche. Les Parthes avancent jusqu’en Hyrcanie (la région qui se trouve au sud de la Caspienne). Antiochos III rétablit la situation, bat les Egyptiens, reprend la Syrie et la Palestine, s’allie avec les nomades indo-européens de Bactriane, renoue avec l’empire indien des Maurya, mais répond —décision funeste— à l’appel de Philippe V de Macédoine, qui fait face à la colère de Rome, parce qu’il avait soutenu Carthage. Antiochos III lui envoie des renforts, qui sont écrasés par les légions aux Thermopyles. Les Romains entament la poursuite, franchissent le Bosphore, écrasent l’armée séleucide en –189. Les Séleucides perdent l’Asie Mineure. La Macédoine perd son indépendance. L’Arménie se déclare indépendante.

L’empire séleucide, fort diminué, est donc coincé entre les Parthes et Rome. Il doit abandonner toute prétention sur l’Egypte, faire face à la révolte juive des Maccabées (-167 à –164), ce qui lui ôte toute possibilité d’expansion vers le Sud. Pendant qu’Antiochos IV perd ses pions en Palestine, les Parthes s’emparent de toutes les régions de l’Iran actuel et entrent en Mésopotamie. Ils y fondent une nouvelle capitale: Ctésiphon. Les Arsacides prennent le relais d’une dynastie hellénisée mais épuisée. Malgré une période romanophile au début de l’ère parthe, sous l’imperium d’Auguste, le conflit entre les deux puissances surviendra bien vite et durera, après la fin des Arsacides et l’avènement des Sassanides en +220, jusqu’à la chute de Rome au 5ième siècle, se poursuivra avec Byzance jusqu’à l’avènement de l’islam. Le principal but géopolitique de cette très longue guerre est le contrôle de l’Arménie, dont le territoire abrite la plupart des sources des grands fleuves du Croissant Fertile et dont les hautes terres permettent de surplomber militairement toute la région.

samedi, 16 mai 2009

La face sombre de la Turquie, incompatible avec l'Europe "bien-pensante"

La face sombre de la Turquie, incompatible avec l'Europe 'bien pensante'

090509"Douleur et honte", titrait le quotidien turc Milliyet le 6 mai. La veille 44 personnes avaient été massacrées au cours d'une noce dans le village kurde de Bilge. Et le même journal déplorait dès lors que "la face sombre de la Turquie" ait scandalisé l'opinion mondiale.

Le ministre de l'Intérieur évoque, comme motivation "l'hostilité entre deux clans familiaux" liés aux protecteurs de village. Besir Atalay, déclare : "Cet acte ne s'est pas produit par hasard. On ne peut pas expliquer cet événement par un coup de folie, il a été prémédité".

En tout état de cause le scénario brille par sa sauvagerie. La cérémonie de mariage se terminait, quand  les assaillants, armés de fusils mitrailleurs et de grenades, ont fait feu, pendant plus d'un quart d'heure, sur des gens désarmés. Ils ont arrosé de balles les habitants de plusieurs maisons. Au nombre des victimes tuées : la jeune mariée, son époux, les parents, la petite sœur âgée de quatre ans, et l'imam du village, ainsi que 16 femmes, dont 3 enceintes. Au total, plus de 40 orphelins. Deux jeunes filles rescapées ont sauvé leur vie en se cachant sous les cadavres des victimes, jusqu'au départ des tueurs. Ceux-ci ont pris la fuite à la tombée de la nuit, à la faveur d'une tempête de sable.

Dès le lendemain, les médiats turcs utilisaient une technique toujours efficace : la surinformation. Et de citer une série de conflits récents entre clans rivaux. On emploie ainsi le mot passe-partout de règlement de comptes. Les actes de vendetta constitueraient, assure-t-on, une pratique coutumière dans la région. Ils font des dizaines de victimes chaque année. On parle aussi de "crime d'honneur".

Cette expression n'excuse pas la barbarie. Mais elle permet de mettre tout cela commodément au débit de l'arriération régionale de l'est anatolien. On emploie cette expression géographique, pour esquiver son caractère ethnique. Les statistiques mondiales diffusées par la CIA donnaient, en avril 2009, le nombre  très précis de 76 805 524 pour évaluer le compte futur des habitants, à fin juillet, de la république unitaire forgée par Mustapha Kemal. Mais le pourcentage des Kurdes n'est indiqué que de façon beaucoup plus vague, "autour de 20 %" . L'identité nationale des "Turcs de la montagne" n'est toujours pas reconnue officiellement par Ankara (1), sauf quand il s'agit d'expliquer, en les leur imputant, certains faits d'apparence particulièrement choquante.

Un des suspects, lors de son interrogatoire, aurait servi une version trop vite reprise par la complaisance de certains médiats, y compris occidentaux. L'attaque s'expliquerait en tant que représailles exercées par sa famille à l'encontre de celle de la mariée. Celle-ci aurait préféré donner en mariage la jeune femme à un groupe rival. "Quelqu'un de la famille de la fiancée avait violé une fille de notre famille. Nous avions demandé que la fiancée nous soit donnée en mariage. Ils ont refusé et ont en fait donné la fille à une famille qui est ennemie de la nôtre".

Selon le ministre de la Justice Sadullah Ergin, la question d'honneur concernant une femme ne saurait constituer le vrai motif. "Il existe nécessairement, dit-il un mobile financier". Et il évoque un conflit pour des élevages de poissons près du village.

Sur onze personnes interpellées, onze versions différentes.

Et un universitaire, spécialiste des traditions ancestrales de la région, interrogé par le quotidien Hurriyet, souligne par ailleurs l'incompatibilité absolue du mode opératoire de ce massacre abominable avec les règles du "crime d'honneur".

Les suspects ont été arrêtés avec leurs armes. Or le matériel de guerre ainsi utilisé fait partie de la dotation allouée par le gouvernement d'Ankara aux quelque 60 000 auxiliaires kurdes recrutés depuis 1985 afin de lutter, contre la guérilla marxiste-léniniste du PKK, qui endeuille le pays depuis maintenant 25 ans.

Ces milices n'ont certes pas inventé les armes à feu . Elles n'en détiennent pas non plus le monopole. Mais leur existence permet de les faire circuler légalement dans toute la région. Les bons esprits demandent donc la dissolution de ces groupes, arguant aussi du fait que leurs hommes de main se trouvent régulièrement impliqués dans des affaires de drogue ou de viols.

C'est bien en cela que Milliyet a raison de parler de "la face noire de la Turquie". L'expression qui prévaut, depuis 1996-1997, désigne "l'État profond". Cette réalité occulte régente le pays, sous le drapeau de sa "laïcité" et de son idéologie jacobine.

Car depuis 1996, la preuve matérielle a été administrée, de façon spectaculaire, de l'existence bien concrète et de la nature de cet "État profond".

Des liens étroits associent en un même système mafieux, un certain nombre de forces réputées laïques, au service desquelles, ailleurs les "loups gris", comme, ici, les milices de "protecteurs de villages" exécutent certaines basses œuvres. Ceux-ci en assurent la sous-traitance dans le sud-est anatolien, où sévit la rébellion kurde du PKK.

Que s'est-il passé en novembre 1996 pour faire date dans la révélation de ces réseaux de pouvoir ?

Rappelons qu'à l'époque la bien-pensance européenne ciblait uniquement les activités criminelles attribuées aux rebelles du Kurdistan. Or, un malencontreux accident de la route renversa toutes les insinuations des dirigeants et des propagandistes d'Ankara.

Il révélait qu'en fait l'État turc lui-même opérait en relation avec la mafia.

L'événement clef se produisit fortuitement, près de Susurluk, dans la charmante province de Balikesir, sur la route menant de la capitale au port égéen appelé aujourd'hui Izmir. Le 3 novembre, bêtement, une Mercedes un peu trop rapide était percutée par un camion. Dans le coffre du véhicule en lambeaux, les gendarmes allaient bientôt découvrir 5 pistolets de différents types et calibres, deux mitrailleuses MP-5, des silencieux pour ces armes et deux appareils d'écoutes.

Lorsqu'on identifia les corps, on découvrit qu'il s'agissait de personnages dont l'association n'était pas prévue par les programmes officiels. Se trouvaient à bord, en premier lieu un chef policier Hüseyin Kocadag et un ancien dirigeant des loups gris recherché vainement depuis 18 ans par les forces de la sûreté. Ce dernier, Abdullah Catli, disposait sous une identité falsifiée d'un authentique "passeport vert", réservé en principe aux représentants officiels de l'État. Sa maîtresse Gonca Uz considérée comme un agent du MIT, le service de renseignement militaire turc, se trouvait également à bord.

Curieusement le ministre de l'Intérieur de l'époque, Mehmet Agar, qui était directeur général de la police avant d'être élu au parlement sur la liste de Mme Ciller, contribua par ses déclarations à géométrie variable à soulever encore plus de suspicions à propos de l'accident. Agar nia tout d'abord la présence de Catli dans la voiture. Plus tard, il devait affirmer, non moins faussement, que Kocadag et le quatrième personnage, un excellent parlementaire, étaient en train d'emmener Catli à Istanbul pour le livrer aux forces de sécurité.

Seul survivant du drame, l'honorable député Sedat Bucak s'en tira avec une fracture de crâne et une jambe cassée. Membre du parti gouvernemental de Mme Tansu Ciller, élu de la belle région d'Urfa, il n'était autre que le chef de la tribu Bucak. Celle-ci fournit en nombre les rangs des forces paramilitaires connues sous le nom de "gardiens de villages". Alors qu'il était emmené à l'hôpital il prévint ses hommes de main qui récupérèrent dans la voiture un sac blanc contenant 10 milliards de livres turques.

En octobre 2005, l'insoupçonnable Sedat Bucak interviendra comme témoin lors du procès de Leyla Zana. Il cherchera à enfoncer cette courageuse ancienne députée du parti kurde DEP, affirmant qu'elle représentait ou qu'elle opérait une liaison permanente avec le PKK.

D'effroyables règlements de compte continueront donc pendant de longues années encore à endeuiller le sud est anatolien.

On voit mal comment l'eurocratie avec ses beaux principes politiquement corrects pourrait s'entremettre entre les opérateurs armés. L'armée turque, jusqu'à nouvel ordre représente une part de la légitimité internationale et même de la crédibilité du pays. Elle se montre encore décidée à utiliser tous les moyens pour maintenir l'unité de l'État, y compris en s'alliant avec des chefs tribaux et les réseaux violents et mafieux. Ainsi le 8 mai, on apprenait qu'à Ankara le porte-parole de l'Etat-Major récusait les critiques, suscitées par "l'incident" du 5 mai, à l'endroit des protecteurs de villages. De son côté, le parti islamo-conservateur utilise les procédures de l'Europe pour contre carrer le reliquat militaire kémaliste. Et, enfin, la guérilla, avant tout dédiée à la cause révolutionnaire, persistera à incendier et ensanglanter la montagne kurde.

Pour toutes ces raisons, et quelques autres, je crois franchement très prématuré de laisser entrer la Turquie dans l'Union européenne.

 

Apostilles

  1. Quoique les deux concepts "kurde" et "alevi" ne se recoupent que très partiellement, il en va de même pour la minorité religieuse alevi. Henri Lammens tend à démontrer que cette branche hérétique tardive de l'islam est crypto-chrétienne. Systématiquement persécutée par les fonctionnaires de la "Diyanet", direction des Affaires religieuses, cette minorité ne semble guère préoccuper les grandes consciences professionnelles.
JG Malliarakis

Encerclement de l'Iran (1/6)

L’encerclement de l’Iran à la lumière de l’histoire du “Grand Moyen-Orient” (1/6)

Extrait d’une allocution de Robert Steuckers à la Tribune de “Terre & Peuple-Lorraine”, à Nancy, le 26 novembre 2005.
Ce document sera publié en six parties.

(Synergies européennes - Bruxelles - mai 2006) - L’objectif des manoeuvres américaines dans le “rimland” entre la Russie et les mers chaudes (Méditerrannée, Océan Indien, Golfe Persique) vise non seulement à empêcher la constitution et la consolidation de tout axe Moscou-Téhéran, voire Beijing-Téhéran, mais aussi à encercler l’Iran, pièce centrale du marché commun que les Etats-Unis veulent faire émerger et appellent “Grand Moyen Orient”, une vaste zone dont ils entendent faire un débouché pour leur propre industrie, complétant ainsi les atouts que leur offre le contrôle économique du continent sud-américain, transformé de facto en un “Ergänzungsraum” (“espace de complément”) depuis l’émergence de l’idéologie panaméricaniste, mais espace aujourd’hui rebelle qui s’auto-organise via des structures unificatrices et continentalistes telles le Mercosur ou la “Communauté andine des nations”, ou via des suggestions indépendantistes, baptisées “bolivaristes” et formulées par le président vénézuélien Hugo Chavez. Ces structures modernes, incarnant un esprit de résistance latino-américain, entraînent une réorientation, encore timide mais certaine, du commerce et de l’économie sud-américains vers l’Europe ou vers l’Asie, diversifiant ainsi les rapports de dépendances; ce qui permet à l’Amérique ibérique de déserrer l’étau du “panaméricanisme” imposé par les Etats-Unis à leur seul profit.

En prenant l’Afghanistan et l’Irak, les Etats-Unis ont commencé la construction de leur “Grand Moyen Orient”, en éliminant par la force la rétivité du Baath irakien et de Saddam Hussein et en occupant le plateau afghan, jamais conquis par les Britanniques au 19ième siècle. Avec ces deux victoires militaires, non encore parachevées mais en voie de l’être, les Etats-Unis ont ipso facto encerclé l’Iran, aire centrale du “Grand Moyen Orient” dont ils ont programmé la future émergence. Les Etats-Unis occupent désormais la périphérie des anciens empires perses et installent des bases militaires afin d’asphyxier à terme l’Iran.

Les deux seuls rôles que l’Iran peut jouer…

L’éventuel axe Moscou-Téhéran aurait permis à la Russie de se doter d’une fenêtre sur l’Océan Indien et de détenir une proximité stratégique avec la Mésopotamie irakienne et ses champs pétrolifères, avec le Koweit et l’Arabie Saoudite. Le territoire iranien est effectivement l’une des pièces maîtresses —avec l’Empire ottoman déjà soutenu par Londres en 1798-99 contre Bonaparte en Egypte— du dispositif de “containment”, d’endiguement anti-russe. Dès 1801, quand le Tsar Paul I, malgré sa saine hostilité à l’endroit de tous les avatars nauséabonds de la révolution française, veut s’allier à Bonaparte pour envahir les Indes, Londres dépêche un certain Capitaine John Malcolm, très jeune mais excellent connaisseur de la langue persane, auprès de l’empereur perse pour en faire un allié et contenir la poussée probable des Cosaques le long de la côte orientale de la Caspienne. Aux yeux des stratégies thalassocratiques anglo-saxonnes, l’Iran ne doit avoir qu’un seul rôle, celui d’un verrou, destiné à empêcher toute progression russe en direction de l’Océan et du sub-continent indiens. Mais aussi d’un Etat sage, qui doit “oublier” l’existence même des littoraux arabiques du Golfe Persique et ne plus formuler aucune revendication sur ces terres; comme ce fut pourtant le cas dans les phases antérieures de son histoire. Si l’Iran entend changer de politique, s’allier à la Russie, se doter d’un armement capable de lui procurer la suprématie dans les eaux du Golfe, se détacher d’une tutelle étrangère imposée, il devient immédiatement un Etat ennemi, voire un “Etat-voyou” (selon la nouvelle terminologie médiatique américaine).

Le Shah est tombé parce qu’il s’entendait avec les Irakiens sur le Chatt-el-Arab et développait une capacité militaire amphibie (avec aéroglisseurs de combat) dans le Golfe lui permettant, le cas échéant lors d’un putsch “marxiste” à Bahrein, de débarquer des troupes sur la rive arabe du Golfe. Juste avant la “révolution” de 1978, la marine iranienne devait atteindre des effectifs substantiels et acquérir un matériel performant, avec pour objectif géopolitique, de “maintenir la stabilité et la paix” dans l’Océan Indien, zone où devait, selon le dernier Shah, émerger un “marché commun des pays riverains”. Le Shah entendait forger de bonnes relations avec l’Europe, y compris l’Europe de l’Est, contribuer à l’industrialisation de l’Inde, diversifier ainsi ses approvisionnements technologiques et ne plus dépendre de la seule Amérique. Dans sa “réponse à l’histoire”, le dernier Shah, évoquant l’invasion soviéto-britannique d’août-septembre 1941, est clair: “Comme en 1907 (cf infra), l’Iran devait être converti en un espace neutre, entretenu en état d’anarchie décente”. La “révolution” de 1978 n’avait pas d’autre objectif.

Comme le rappelle, dans ses mémoires personnelles, un ministre du gouvernement impérial iranien, Houchang Nahavandi, le mouvement de Khomeiny servait de fait les intérêts américains. Les Etats-Unis voulaient un Iran faible à leur dévotion, qui n’utiliserait pas les plus-values du pétrole pour se moderniser et s’armer, stagnerait dans une sorte de néo-médiévisme religieux, pimenté quelques fois de ce gauchisme hystérique et incapacitant, ramené par certains étudiants iraniens des campus ouest-européens ou américains. Bernard Hourcade rappelle d’ailleurs fort judicieusement que c’est l’antenne iranienne de la BBC qui a fait la promotion de Khomeiny et non pas une quelconque station soviétique ou chinoise (on dit en Iran aujourd’hui: “Rasez la barbe d’un mollah et vous verrez apparaître la mention “made in Britain” estampillée sur ses joues”, cf. Molavi, cit. infra). Mais finalement, le pouvoir islamique ne s’est pas aligné sur les positions américaines, n’a pas renoncé à certaines revendications territoriales iraniennes, a tenté de nouer des relations avec l’Europe et la Russie. L’Iran islamiste-révolutionnaire est dès lors mis au ban des nations parce qu’il reste finalement, comme l’explique fort bien l’iranologue français Bernard Hourcade, fidèle à une sorte d’exception persane au beau milieu de cette région centrale du continent asiatique, située sur l’ancienne Route de la Soie.

L’affrontement entre Rome et les Parthes

L’importance du passé perse pour comprendre la situation actuelle nous oblige à procéder à une longue rétrospective historique et à nous remémorer les événements qui ont secoué la région immédiatement avant la conquête arabe, tout juste après la mort de Mahomet. L’empire romain uni s’était heurté aux Parthes pendant des siècles. On se rappelle les expéditions de Lucullus en Asie Mineure entre 74 et 68 av. J. C., amenant la puissance romaine aux confins de l’Arménie du Roi Tigrane, qu’elle a vaincu, et de l’empire parthe. César, dans les mois qui ont précédé son assassinat aux Ides de Mars -44, carressait le dessein de conquérir les pays des Daces sur le Danube et de repousser les Parthes plus à l’Est. Bien plus tard, Trajan réalise ce projet géopolitique: il bat les Daces de Décébale, pénètre en Arabie Pétrée (autour du centre caravanier de Pétra) et entre en contact avec les Parthes. C’est lui qui pousse les frontières de l’empire romain jusqu’au Golfe Persique, en annexant successivement l’Arménie, la Mésopotamie et la Syrie, à la suite d’une campagne de trois ans (de 113 à 116 ap. J. C.). Son successeur, Hadrien, ne parvint pas à s’y maintenir, à la suite de contre-attaques parthes et d’une révolte juive dans tout le Levant. En 253, les Parthes prennent Antioche. En 259, l’empereur Valérien fait face à la nouvelle dynastie parthe, les Sassanides, est pris prisonnier, humilié. Les armées parthes pénètrent en Asie Mineure, tandis que les Germains harcèlent l’empire du Pas-de-Calais à l’embouchure du Danube. En 297, la victoire revient aux Romains, mais les Parthes conservent le monopole du commerce de la soie, qui vient de Chine. L’empereur sassanide Chahpuhr II envahit ensuite l’Arabie, et plus particulièrement le Yémen, puis bat les Romains en Mésopotamie, au cours d’une guerre de huit ans (337-339). L’empereur Julien meurt au combat contre les Parthes sassanides en 363.

La menace des Huns Hephtalites

Il faudra un danger extérieur, l’arrivée des Huns Hephtalites en 484 pour voir Romains d’Orient et Parthes unir leurs efforts contre l’ennemi commun, non indo-européen. Nous sommes en 505. Mais dès le danger des Huns Hephtalites conjuré, les Sassanides reprennent et pillent Antioche en 540. Ils s’allient ensuite aux Turcs (avant l’islam) pour battre les Hephtalites, abandonnant l’alliance byzantine. Les Sassanides s’allient alors aux Avars, établis en Pannonie (la Hongrie actuelle), pour prendre les Byzantins à revers dans les Balkans et sur le cours du Danube. Cette tribu hunnique faillit prendre Constantinople. Les Byzantins, Romains d’Orient, en profitent pour tenter de reconquérir l’Occident, sous l’impulsion de leur empereur Justinien (qui règna de 527 à 565); sous le commandement de Bélisaire, ils prennent Rome en 536 et battent les Wisigoths d’Espagne en 552. Ils christianisent les tribus africaines de la vallée du Nil en Nubie et au Soudan. Ils parviennent ainsi à établir une jonction permanente avec l’Ethiopie chrétienne, alors appelée empire d’Axoum, et à envahir le Yémen entre 522 et 525. L’objectif était de prendre les Perses à revers en contrôlant et en christianisant la péninsule arabique.

Abraha, gouverneur axoumite/éthiopien du Yémen, marche ainsi sur La Mecque encore arabe-païenne, flanqué de ses alliés arabes pro-byzantins, unis au sein de la Confédération de Kinda. Les Ethiopiens persécutent les païens et les juifs, tandis que les Perses, lors de leurs contre-attaques, persécutent les chrétiens. Ces événements se déroulèrent en 570, année de la naissance de Mahomet, dite l’”année de l’éléphant” (“Huluban”), parce que l’armée d’Abraha comprenait au moins un éléphant de guerre. Les Perses répliquent et envahissent le Yémen éthiopien, allié de Byzance en 575 et en font une province perse en 597. Tout au long de cette longue guerre entre Byzance et la Perse, les peuples sémitiques du Proche- et du Moyen-Orient sont soit les alliés de Byzance, tels les Nabatéens et les Ghassanides, soit les alliés des Perses, telles les tribus du Royaume Lakhmide. Les peuples sémitiques sont donc divisés, non seulement par leurs allégences politiques, mais aussi sur le plan religieux (ils sont païens, juifs ou chrétiens).

L’empereur perse Khosru II, entre 612 et 615, envahit la Syrie, la Palestine, l’Asie Mineure et pousse des pointes avancées en Egypte et jusqu’en Cyrénaïque. Héraclius, fils du gouverneur militaire byzantin d’Afrique du Nord, reprend l’empire en mains, rétablit une économie prospère, achète les Avars et prépare la revanche. En 627, les Byzantins, qui ont mis peu de temps à se redresser, contre-attaquent vigoureusement et mettent Ctésiphon, la capitale sassanide, à sac. Les deux empires de souche européenne sont exsangues face au monde extérieur.

La lutte entre Byzance et la Perse : arrière-plan de l’émergence de l’Islam

Ce conflit interminable a marqué le jeune Mahomet, caravanier d’Arabie. La péninsule est envahie au Sud et, au Nord, les peuples sémitiques, parlant l’araméen, chez lesquels aboutissent les caravanes, participent à la guerre. Mahomet doit trouver une formule pour rétablir les communications puis pour unir des populations hétéroclites, fragmentées en tribus hostiles les unes aux autres, hostilité sur laquelle se greffent encore des clivages religieux. Cette guerre permanente de tous contre tous ne permet aucun projet: ni politique ni économique ni commercial. Mahomet forge alors la foi islamique en écrivant en araméen le Coran, fait référence à l’archange Gabriel (“Jibraïl”); c’est une foi simplifiée, accessible, claire dans sa formulation, soustraite aux querelles des iconoclastes et des iconodules qui ravagent Byzance et la minent de l’intérieur. Son objectif est raisonnable et limité: pacifier, grâce à un code modèle, le territoire où circulent ses caravanes et celles de ses homologues. Les opérations militaires qu’il mène ne dépassent pas le cadre des routes et pistes de l’Ouest de la péninsule arabique. Il réussit à unir ce versant occidental de la péninsule d’Akaba à Aden. A l’Est, Bahrein et Oman reconnaissent le code suggéré par Mahomet. Jusqu’à la mort de ce dernier en 632, aucun prosélytisme extra-arabique ne semble poindre.

Les Arabes battent Byzantins et Perses exsangues

Après 632, Abou Bakr, son beau-père et successeur, unifie entièrement l’Arabie, parachève l’oeuvre politique et géopolitique de Mahomet, et envoie de petites armées vers le nord et bat, contre toute attente tant ses effectifs sont insignifiants, les Byzantins à Gaza en 633; peu après, les Byzantins, exsangues, sont une nouvelle fois battus par le Général arabe Khalid Ibn al-Walid, disposant d’effectifs à peine plus nombreux. Le sort des deux empires est scellé: les Arabes n’ont besoin que d’armées ridiculement réduites pour battre les deux colosses qui se sont entre-déchirés à mort. Ils en profitent. Tout naturellement. En 636, Damas et Antioche tombent entre leurs mains. En 637, après la bataille de Qadisiyya, l’armée sassanide est battue et la capitale perse, Ctésiphon, est prise, réduisant à néant l’oeuvre de plusieurs générations d’empereurs sassanides. En 638, c’est le tour de Jérusalem. Toute la frange sémitophone/araméenne des deux empires passe preque entièrement à l’islam, puis vient le tour de l’Egypte et du reste de la Perse.

La morale à tirer de cette victoire des maigres forces arabes est simple: les empires, de matrice européenne, n’ont jamais uni leurs forces contre les périphéries, ont ignoré l’émergence des peuples hunniques d’Asie centrale et des peuples sémitiques de la péninsule arabique. L’islam est donc né, et s’est ensuite consolidé, d’une lassitude légitime face à ces guerres inutiles, surtout que le danger des Huns et des Avars aurait dû unir les trois empires, romain-byzantin, perse et gupta en Inde (envahi entre 450 et 535 par les Huns Hephtalithes qui avaient été arrêtés par les Perses), exactement comme les Romains, les Francs, les Wisigoths et les Burgondes avaient tu leurs querelles et uni leurs armées pour arrêter Attila dans les Champs Catalauniques. La disparition de l’empire gupta, rappelons-le, est une tragédie culturelle, dans la mesure où il avait été le théâtre d’une véritable renaissance hindouiste, qui consolidée, aurait fait émerger un môle de résistance plus sûr face aux futures religions prosélytes de toutes provenances. Une alliance des trois empires aurait, en outre, rendu inexpugnable l’ensemble du “rimland” euroasiatique, de l’Ecosse au Bengale.

Des Karakhanides aux Seldjouks

Après la conquête arabe, la Perse conserve malgré tout sa personnalité politique. D’autres invasions l’attendent et d’abord celle des Turcs seldjoukides. Ils venaient de la steppe d’Asie centrale et on les appelait les “Karakhanides” ou les “Toghuz Oghuz” ou, plus simplement, les “Ghuzz”. Neuf tribus composaient cette fédération. Vers le milieu du 11ième siècle, elles se divisent en deux branches: l’une envahit le sud de la Russie et l’Ukraine actuelle, l’autre l’Iran. Les tribus qui envahissent la Russie prendront le nom de “Coumans” et resteront païennes. Les autres tribus, rassemblées autour des Seldjouks, se mettent au service de Mahmoud de Ghazni, qui leur donne des terres près de l’actuelle cité de Merv. A la mort de Mahmoud, les Turcs battent son fils Massoud et l’empire perse ghaznavide s’effondre définitivement en 1040, prouvant par là que les serments de fidélité ne valent qu’au sein des mêmes groupes de peuples. Les Seldjouks appellent d’autres tribus turques ghuzz de la région de la Mer d’Aral. Les derniers Ghazvenides se replient en Afghanistan. L’Iran tombe alors entièrement sous la tutelle d’une élite militaire turque ghuzz-seldjoukide.

Manzikert : désastre byzantin

En 1055, sous la conduite de leur chef Toghrul Bey, les Seldjouks prennent Bagdad, se mettent au service du calife puis, quelques années plus tard, arrachent aux Byzantins l’ensemble de la Transcaucasie chrétienne, à la suite de la bataille décisive de Manzikert (1071), livrée pour le contrôle des hautes terres d’Arménie. La victoire turque fait perdre à Byzance toutes ses provinces d’Asie Mineure. Les clans d’Asie centrale suivent l’armée d’Alp Arslan, fils de Toghrul Bey, poussent leurs troupeaux devant eux et chassent tout le paysannat helléno-européen d’Anatolie: une véritable colonisation de peuplement! Le remplacement systématique d’un peuple par un autre! Dans les années 1070, c’est au tour de la Syrie et du Hedjaz (Ouest de la péninsule arabique). Alp Arslan devint ainsi le maître d’un immense empire islamique, dont le tremplin territorial avait été une région centre-asiatique non encore islamisée au nord de l’espace perse.

Le système turc est clair: prendre le contrôle des empires en en constituant le fer de lance militaire et en faisant main basse sur l’administration, en multipliant les serments de fidélité et en les trahissant immédiatement dès que l’occasion et les rapports de forces le permettent. Mais l’intransigeance turque braquera l’Europe qui se défendait bien par ailleurs: les petits royaumes espagnols, fondés par des guerriers suèves, alains ou wisigothiques, unissent leurs forces, reprennent Tolède, centre névralgique de la péninsule ibérique en 1085 et Badajoz en 1092; une poignée de Normands intrépides, sous le commandement de Roger de Hauteville, reprend la Sicile et Malte (1091), après un demi-siècle de lutte; Henri de Bourgogne devient roi du Portugal, espace ibérique dégagé en 1097 de l’emprise maure. Après cette élimination de la présence musulmane sur de vastes territoires européens, l’heure de la contre-attaque contre les Seldjouks va sonner: les Byzantins font appel au Pape Urbain II en 1095. Il prêche la croisade à Clermont-Ferrand, appelant les peuples et les nobles de l’Europe occidentale germanisée à chasser de la Romania byzantine les Turcs, désignés comme étant une “race étrangère”. Il sera entendu. Des milliers de volontaires issus du peuple partent avant les autres: ils sont écrasés. Les Turcs cessent de prendre l’idée de croisade au sérieux. A tort. Les armées de métier, commandées par les ducs et les princes avancent le long du Danube et traversent le Bosphore. Les croisés engagent le combat contre le Sultan de Rum, prennent Nicée. Le Normand Bohémond de Tarente et l’Occitan Raymond de Toulouse, connaissant la tactique turque du harcèlement par les archers et d’évitement de tout choc frontal, ne se laissent pas surprendre, lors d’une bataille ultérieure à Dorylée: ils modifient leur stratégie, rusent et manoeuvrent habilement, encerclent et écrasent l’armée turque et marchent sur Antioche. La route de Jérusalem, occupée par les troupes arabes fatimides venues d’Egypte, était libre. Les Croisés dénoncent l’alliance qu’ils avaient conclue tacitement avec les Fatimides, ennemis des Seldjouks, et prennent Jérusalem.

vendredi, 15 mai 2009

Citaat van Lee Kuan Yew, premier van Singapore

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Citaat van Lee Kuan Yew, premier van Singapore

“Westerse idealen benadrukken de rechten en privileges van het individu boven die van de groep en in het bijzonder boven die van de staat.

Westerse samenlevingen waarderen individuele vervulling – wat de Amerikaanse Onafhankelijkheidsverklaring noemt “the pursuit of happiness” – en regelen hun zaken dienovereenkomstig. Oosterse samenlevingen geloven dat individuen zich vervullen doorheen de grotere identiteit van de groep.

In het Chinees zegt men: “de kleine zelf opofferen om de grote zelf te bereiken.” Deze nadruk op naar anderen gerichte waarden – op communautaire waarden en plichten boven rechten – is één van de onderscheidende kenmerken van de nieuwe industrielanden, en in de ogen van vele sociologen de sleutelfactor in hun succes. Ik beweer niet dat Westerlingen niet in staat zijn tot onbaatzuchtige dienstverlening aan anderen, of dat er geen egoïsten zijn in het Oosten. Maar er is een reëel verschil tussen Oost en West. Elke samenleving heeft natuurlijk zowel communautaire als individualistische drijfveren. Elke samenleving, tussen recht en verantwoordelijkheden en tussen concurrentie en samenwerking. Dat moeten wij ook. In dit opzicht zijn wij een Oosterse samenleving, en dat moeten we blijven. Als we naar het andere uiterste overhellen, en zonder veel kritiek de Westerse opvattingen aanvaarden over de absolute suprematie van individuele rechten en vrijheden – opvattingen die zelfs in het Westen ter discussie staan – dan wordt dit onze ondergang.”


Lee Kuan Yew, premier van Singapore, 1989

La Russie, l'Angleterre et l'Afghanistan

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Histoire : la Russie, l’Angleterre et l’Afghanistan

Ex: Bulletin d'avril 2009 de "La Gazette du centre de langue et de culture russes"

 

A la suite de la progression de la Russie en Asie Centrale dans les années 1860 à 1870 (1), l’Afghanistan est devenu le théâtre d’affrontements entre la Russie et l’Empire britannique ! La deuxième guerre anglo-afghane a commencé en 1878, lorsque l’émir afghan, Cher-Ali, a reçu l’ambassade russe après avoir refusé d’accueillir l’ambassade britannique. L’armée anglaise, bien supérieure à l’armée afghane, lui a infligé une série de défaites. Mais, après avoir quitté les villes de Kaboul et Kandahar, elle est tombée dans des pièges, dans les défilés des montagnes et a été victime de brusques chutes de pierres. Les Britanniques ont subi de lourdes pertes par suite de maladies, malaria et refroidissements, dues aux brutales chutes de températures dans les montagnes. Quant aux Russes, ils « n’ont pas pu » empêcher, en janvier 1880, la « fuite » de Tachkent de l’émir Abdourakhman qui avait été renversé par les Anglais. Sous son commandement, des détachements afghans ont anéanti, en juillet 1880, une brigade britannique près de Maïvand. « Nous avons été confrontés à quelque chose de bien plus grave qu’une explosion de fureur de tribus sauvages déversant leur haine sur notre envoyé, écrivait le journal « The Times ». Manifestement, nous avons affaire à un peuple qui se révolte, irrité par notre présence et enflammé de haine contre tous les Anglais. La conquête d’un pays désertique et peu peuplé, vaut-elle de si gros sacrifices matériels et humains ? » . A la suite de cela, le gouvernement libéral de Gladstone a renoncé à annexer l’Afghanistan aux Indes et n’a gardé que des passages à travers l’Hindu Kouch, ainsi que le contrôle général de la politique extérieure de l’Afghanistan.

Au début de l’année 1919, le fils d’Abdourakhman, qui avait des liens étroits avec Londres, a été tué à la suite d’un coup d’état, et son fils Amanoullah a proclamé l’indépendance de l’Afghanistan. La Russie soviétique, qui soutenait tout mouvement contre les pays de l’Entente, est devenue son allié naturel. L’armée anglo-indienne, soutenue par l’aviation et les voitures blindées, a envahi le pays par le Sud. Cependant, les innovations techniques se sont montrées impuissantes devant les montagnes afghanes et l’absence de routes. On découvrit que les chars blindés étaient facilement transpercés par les balles de vieux fusils. Quant aux avions, ils tombaient, après avoir heurté un sommet, ou abattus par des tirailleurs qui se trouvaient dans les montagnes à la même altitude qu’eux. L’Angleterre a reconnu l’indépendance de l’Afghanistan.

Mais l’affrontement continuait. En 1929, Amanoullah a été renversé grâce au soutien des services secrets britanniques. Le consul général d’Afghanistan, Goulam-Nabi-Khan, a formé avec l’aide de Moscou, un gouvernement en exil à Tachkent et a commencé à recruter des partisans d’Amanoullah. Le 14 avril 1929, des éclaireurs soviétiques ont pris un poste frontière afghan sur l’Amou-Daria. Le 22 avril, un détachement commandé par Vitali Primakov (pseudonyme de Raguib-Bey) a pris la capitale de l’Afghanistan du Nord, Mazari-Charif. Puis, Primakov a déclaré au Quartier d’Asie Centrale que « dès les premiers jours, il a fallu affronter une population hostile de Turkmènes, Tadjiks et Ouzbeks ». Le 30 mai 1929, tout le détachement est retourné sur le territoire soviétique. En octobre, l’insurrection sous le commandement de Nadir Chah, ancien ministre de la guerre d’Amanoullah, a balayé les partisans d’une union, tant avec l’URSS qu’avec l’Angleterre.

Il n’est pas étonnant que le Quartier Général soviétique et son général en chef Nicolas Ogarkov, connaissant les péripéties des invasions précédentes de l’Afghanistan, aient été catégoriquement opposés à la  campagne d’Afghanistan de l’année 1979. Le bureau politique ne les a pas écoutés, et 10 ans plus tard, l’armée soviétique a dû se retirer sans gloire de l’Afghanistan toujours insoumis.

T. Aptekar

« Vremia Novosteï », 09 octobre 2001

 

 



(1) La conquête, le plus souvent pacifique, de l’Asie Centrale par les Russes a duré de 1854 jusqu’à la fin des années 1880. en 1895, le traité signé entre l’Angleterre et la Russie a défini la frontière russo-afghane.

vendredi, 08 mai 2009

Guerre liquide: bienvenue au Pipelineistan

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Guerre liquide : Bienvenue au Pipelineistan

Ex: http://www.polemia.com/ 

C’est sur un ton badin et plaisant que Pepe Escobar présente l’épineuse question du pétrole et du gaz liquide aux confins de l’Eurasie, les enjeux russes et chinois, l’appétit bien connu des Etats-Unis, le jeu des influences, les concurrences politiques locales et les risques à tout moment de nouveaux conflits. Il est conseillé au lecteur d’avoir à portée de vue un atlas géographique pour suivre les itinéraires des pipelines traversant un certain nombre de pays dont on ignore parfois l’existence ou tout au moins leur situation.

Polémia


Ce qui se passe sur l’immense champ de bataille pour le contrôle de l’Eurasie permettra de comprendre l’intrigue qui se déroule dans la ruée tumultueuse vers un nouvel ordre mondial polycentrique, connue également sous le nom de « Nouvelle Partie Formidable » [New Great Game]

« Nouvelle Partie Formidable »

Notre bonne vieille amie, l’absurde « guerre mondiale contre la terreur » que le Pentagone a malicieusement rebaptisée « la Longue Guerre », porte en elle une jumelle beaucoup plus importante, même si cette dernière est à moitié cachée – la guerre mondiale pour l’énergie. J’aime la désigner sous le nom de Guerre Liquide, parce que son circuit sanguin est constitué des pipelines qui s’entrecroisent sur les champs de bataille impériaux potentiels de la planète. Pour le dire autrement, si sa lisière essentielle, assaillie ces temps-ci, est le Bassin de la Caspienne, l’ensemble de l’Eurasie est son échiquier. Au plan géographique, pensez-y comme du Pipelineistan.

Tous les junkies géopolitiques ont besoin de leur dose. Moi, depuis la seconde moitié des années 90, c’est aux pipelines que je suis devenu accro. J’ai traversé la Caspienne dans un bateau-cargo azéri juste pour suivre le pipeline Bakou/Tbilissi/Ceyhan à 4 milliards de dollars, mieux connu dans cette partie d’échec sous son acronyme « BTC », qui traverse le Caucase. (Au fait, soit dit en passant, la carte du Pipelineistan est gribouillée de sigles, alors mieux vaut vous y habituer !)

J’ai également sillonné diverses Routes de la Soie modernes qui se chevauchent – ou, peut-être, des Pipelines de la Soie –, de possibles futurs flux d’énergie depuis Shanghai jusqu’à Istanbul, annotant mes propres itinéraires bricolés pour le GNL (gaz naturel liquéfié). J’avais l’habitude de suivre avec ferveur les aventures de ce Roi-Soleil d’Asie Centrale, ce président à vie sans avenir, le Turkmenbachi aujourd’hui décédé, « le dirigeant des Turkmènes », Saparmourat Niazov, à la tête de la République du Turkménistan, immensément riche en gaz, comme s’il avait été un héros à la Conrad.

 A Almaty, l’ancienne capitale du Kazakhstan (avant que celle-ci ne soit déplacée à Astana, au milieu de nulle part), les habitants étaient perplexes lorsque j’exprimais l’envie irrésistible de me rendre en voiture dans cette ville pétrolière en plein essor, Aktau. (« Pourquoi ? Il n’y a rien là-bas ».) Entrer dans la salle de commandement, façon Odyssée de l’Espace, du siège moscovite du géant russe de l’énergie Gazprom – qui détaille par affichage numérique le moindre pipeline d’Eurasie – ou au siège de la Compagnie Nationale du Pétrole Iranien à Téhéran, avec ses rangs bien alignés d’expertes en tchador des pieds à la tête, équivalait pour moi à entrer dans la caverne d’Ali Baba. Et ne jamais lire les mots « Afghanistan » et « pétrole » dans la même phrase est toujours pour moi une source d’amusement.

L’année dernière, le pétrole valait l’équivalent d’une rançon de roi. Cette année, il est relativement bon marché. Mais ne vous méprenez pas ! Le prix n’est pas la question ici. Que vous le vouliez ou non, l’énergie est toujours ce sur quoi tout le monde veut mettre la main. Alors, considérez ce reportage comme étant juste le premier épisode d’une très longue histoire de quelques-uns des coups qui ont été portés – ou seront portés – dans cette « Nouvelle Partie Formidable » d’une complexité exaspérante, qui a cours de façon incessante, peu importe quoi d’autre s’immisce cette semaine dans les gros titres.

Oubliez l’obsession des médias du courant dominant avec al-Qaïda, Oussama ben Laden « mort ou vif », les Taliban – néo, modérés ou classiques – ou cette « guerre contre la terreur », quel que soit le nom qu’on lui donne. Ce sont des diversions comparées aux enjeux élevés de cette partie pure et dure de géopolitique qui se déroule le long des pipelines de la planète.

Qui a dit que le Pipelineistan ne pouvait pas être amusant ?

Dr Zbig entre en scène

Dans son œuvre maîtresse de 1997 The Grand Chessboard [Le Grand Echiquier], Zbigniew Brzezinski – extraordinaire praticien de la real-politique et ancien conseiller à la sécurité nationale de Jimmy Carter, le président qui a lancé les Etats-Unis dans ces guerres modernes pour l’énergie – a exposé avec quelques détails juste la façon de s’accrocher à la « suprématie mondiale » américaine. Plus tard, son plan d’ensemble allait dûment être copié par cette bande redoutable de Docteurs No, rassemblés au Project for a New American Century de Bill Kristoll. (Le PNAC, au cas où vous auriez oublié ce sigle depuis que son site internet a fermé et que ses partisans sont tombés)[1].

Pour Dr Zbig, qui, comme moi, se shoote à l’Eurasie – c’est-à-dire, en pensant grand – tout se réduit à encourager l’émergence du bon groupe de « partenaires stratégiquement compatibles » pour Washington, dans les endroits où les flux énergétiques sont les plus forts. Cela, comme il l’a si délicatement formulé à l’époque, devrait être accompli pour façonner « un système de sécurité trans-eurasien plus coopératif ».

 A présent, Dr Zbig – dont parmi les fans se trouve évidemment le Président Barack Obama – a dû remarquer que le train eurasien qui devait livrer les biens énergétiques a légèrement déraillé. La partie asiatique de l’Eurasie semble voir les choses différemment.

Crise financière ou non, le pétrole et le gaz naturel sont les clés à long terme du transfert inexorable du pouvoir économique de l’Ouest vers l’Asie. Ceux qui contrôlent le Pipelineistan – et malgré tous les rêves et les projets qui sont faits là-bas, il est improbable que ce sera Washington – auront le dessus sur tout ce qui arrivera et il n’y a pas un terroriste au monde ou même une « longue guerre » qui puisse changer cela.

L’expert en énergie Michael Klare a contribué à identifier les vecteurs clés de la course sauvage qui se déroule actuellement pour prendre le pouvoir sur le Pipelineistan. Ceux-ci vont de la pénurie croissante des ressources énergétiques primaires (et de la difficulté d’y accéder) aux « développements douloureusement lents d’alternatives énergétiques ». Bien qu’on ne l’ait peut-être pas remarqué, les premières escarmouches dans la Guerre Liquide du Pipelineistan ont déjà commencé et, même dans la pire période économique, le risque monte constamment, étant donné la concurrence acharnée que se livrent l’Ouest et l’Asie, tant au Moyen-Orient que sur le théâtre de la Caspienne ou dans les Etats pétroliers d’Afrique, comme l’Angola, le Nigeria et le Soudan.

Dans ces premières escarmouches du 21ème siècle, la Chine a vraiment réagi très rapidement. Avant même les attaques du 11 septembre 2001, les dirigeants chinois ont élaboré une riposte à ce qu’ils voyaient comme une intrusion reptilienne de l’Occident sur les terres pétrolières et gazières d’Asie Centrale, en particulier dans la région de la Mer Caspienne. Pour être précis, en juin 2001, les Chinois se sont joints aux Russes pour former l’Organisation de la Coopération de Shanghai (2). Son sigle, OCS, doit être mémorisé. On n'a pas fini d'en parler.

A l’époque, fait révélateur, les membres juniors de l’OCS étaient les « Stans », ces anciennes républiques de l’URSS riches en pétrole – le Kirghizstan, l’Ouzbékistan, le Kazakhstan et le Tadjikistan – que l’administration Clinton et, après elle, l’administration de George W. Bush, dirigée par d’anciens barons de l’industrie pétrolière, zyeutaient avec convoitise. L’OCS devait être une association de coopération économique et militaire régionale à plusieurs niveaux, laquelle, ainsi que les Chinois et les Russes la voyait, fonctionnerait comme une sorte de couverture de sécurité autour de la bordure septentrionale de l’Afghanistan.

L’Iran est évidemment un nœud énergétique crucial de l’Asie Occidentale et les dirigeants de ce pays, eux non plus, n’allaient pas rester à la traîne dans cette « Nouvelle Partie Formidable ». L’Iran a besoin d’au moins 200 milliards de dollars d’investissements étrangers pour moderniser véritablement ses fabuleuses réserves pétrolières et gazières – et il vend donc beaucoup plus [de pétrole] à l’Occident que ne le permettent actuellement les sanctions imposées par les Etats-Unis.

Il ne faut pas s’étonner que l’Iran soit rapidement devenu la cible de Washington. Il n’est pas étonnant non plus que tous les likoudniks, de même que l’ancien vice-président Dick Cheney (« le pêcheur ») et ses chambellans et compagnons d’armes néoconservateurs, se masturbent à l’idée d’une attaque aérienne contre ce pays. Comme le voient les élites, de Téhéran à Delhi et de Pékin à Moscou, une telle attaque de la part des Etats-Unis, à présent improbable au moins jusqu’en 2012, serait une guerre non seulement contre la Russie et la Chine, mais contre l’ensemble du projet d’intégration asiatique que l’OCS entend représenter.

Le bric-à-brac mondial

Pendant ce temps, alors que l’administration Obama essaye de réparer sa politique iranienne, afghane et centre-asiatique, Pékin continue de rêver d’une version énergétique sûre et coulant à flot depuis l’ancienne Route de la Soie, qui s’étend du Bassin de la Caspienne (les Stans riches en hydrocarbures, plus l’Iran et la Russie) jusqu’à la province du Xinjiang, à l’extrême ouest de la Chine.

Depuis 2001, l’OCS a élargi ses objectifs et ses compétences. Aujourd’hui, l’Iran, l’Inde et le Pakistan bénéficient du « statut d’observateurs » dans une organisation dont l’objectif consiste de plus en plus à contrôler et à protéger non seulement les approvisionnements énergétiques régionaux, mais le Pipelineistan dans toutes les directions. C’est évidemment le rôle que les élites de Washington aimeraient que l’OTAN joue dans toute l’Eurasie. Etant donné que la Russie et la Chine espèrent de leur côté que l’OCS jouera un rôle similaire à travers l’Asie, diverses sortes de confrontations sont inévitables.

Demandez à n’importe quel expert de l’Académie Chinoise de Sciences Sociales à Pékin en rapport avec le sujet et il vous dira que l’OCS devrait être comprise comme une alliance historiquement unique de cinq civilisations non occidentales – russe, chinoise, musulmane, hindou et bouddhiste – et, à cause de cela, capable d’évoluer en un cadre pour un système collectif de sécurité en Eurasie. Il est certain que cette façon de voir mettra mal à l’aise les stratèges globaux classiques de l’establishment à Washington, comme le Dr Zbig et le conseiller à la sécurité nationale du Président George H W Bush, Brent Scowcroft.

Selon le point de vue de Pékin, l’ordre mondial du 21ème siècle en train de s’installer sera significativement déterminé par un quadrilatère de pays, le BRIC – pour ceux d’entre vous qui collectionnez à présent les sigles de la « Nouvelle Partie Formidable », cela veut dire : Brésil, Russie, Inde et Chine –, plus le futur triangle islamique constitué de l’Iran, de l’Arabie Saoudite et de la Turquie. Ajoutez-y une Amérique du Sud unifiée, qui n’est plus sous l’emprise de Washington, et vous aurez une OCS-plus mondiale. En théorie, du moins, c’est un rêve à indice d’octane élevé.

 La clé pour que cela se produise est la poursuite de l’entente cordiale sino-russe.

 Déjà en 1999, observant l’OTAN et les Etats-Unis qui s’étendaient agressivement dans les lointains Balkans, Pékin a identifié cette nouvelle partie pour ce qu’elle était : une guerre en développement pour l’énergie. Et, en jeu, étaient les réserves de pétrole et de gaz naturel de ce que les Américains allaient bientôt appeler « l’arc d’instabilité », une vaste bande de terre s’étendant de l’Afrique du Nord jusqu’à la frontière chinoise.

Non moins importants allaient être les itinéraires que les pipelines emprunteraient pour acheminer vers l’Ouest l’énergie enfouie dans ces terres. Là où ces pipelines seraient construits et les pays qu’ils traverseraient détermineraient une grande partie du monde à venir. Et c’est là où les bases militaires de l’empire américain (comme le Camp Bondsteel au Kosovo) (3) rencontraient le Pipelineistan (représenté, loin en arrière, en 1999, par le pipeline AMBO).

 AMBO, raccourci pour Albanian Macedonian Bulgarian Oil Corporation, une entité enregistrée aux Etats-Unis, construit un pipeline à 1,1 milliard de dollars, alias « le trans-Balkan », qui pourrait être achevé en 2011. Il fera venir le pétrole de la Caspienne vers l’Ouest, sans le faire passer ni par la Russie ni par l’Iran. En tant que pipeline, AMBO s’insère bien dans une stratégie géopolitique consistant à créer un quadrillage de sécurité énergétique contrôlée par les Etats-Unis. Ce quadrillage a d’abord été développé par le secrétaire à l’énergie de Bill Clinton, Bill Richardson, et plus tard par Dick Cheney.

 Derrière l’idée de ce « quadrillage » repose le va-tout de la militarisation d’un couloir énergétique qui s’étirerait de la Mer Caspienne en Asie Centrale jusqu’à la Turquie, en passant par une série d’anciennes républiques soviétiques désormais indépendantes, et, de là, rejoindrait les Balkans (puis l’Europe). Ce quadrillage était destinée à saboter les plans énergétiques plus vastes, à la fois de la Russie et de l’Iran. AMBO lui-même acheminerait le pétrole depuis le bassin de la Caspienne vers un terminal situé dans l’ancienne république soviétique de Géorgie dans le Caucase, le transportant ensuite par bateau citerne à travers la Mer Noire jusqu’au port bulgare de Burgas, où un autre pipeline assurerait la connexion jusqu’en Macédoine et ensuite jusqu’au port albanais de Vlora.

Quant au Camp Bondsteel, c’est la base militaire « durable » que Washington a gagnée des guerres pour les restes de la Yougoslavie. Ce serait la plus grande base à l’étranger que les Etats-Unis auraient construite depuis la guerre du Vietnam. La filiale d’Halliburton Kellogg Brown & Root l’aurait montée avec le Corps des Ingénieurs de l’Armée sur 400 hectares de terres agricoles près de la frontière macédonienne au sud du Kosovo.

Pensez-y comme d’une version conviviale cinq étoiles de Guantanamo avec des avantages pour ceux qui y sont stationnés, incluant massage thaïlandais et des tonnes de nourriture industrielle. Bondsteel est l’équivalent dans les Balkans d’un porte-avions géant immobile, capable d’exercer une surveillance non seulement sur les Balkans, mais également sur la Turquie et la région de la Mer Noire (considérée en langage néocon des années Bush comme « la nouvelle interface entre la « communauté euro-atlantique » et le « grand Moyen-Orient »).

Comment la Russie, la Chine et l’Iran ne pouvaient-ils pas interpréter la guerre au Kosovo, puis l’invasion de l’Afghanistan (où Washington avait auparavant essayé de faire équipe avec les Taliban et encouragé la construction d’un autre de ces pipelines qui évitent l’Iran et la Russie), suivie par l’invasion de l’Irak (ce pays aux vastes réserves pétrolières) et, finalement, le conflit récent en Géorgie (cette jonction cruciale pour le transport de l’énergie) comme des guerres directes pour le Pipelineistan ?

Bien que nos médias du courant dominant l’aient rarement imaginé de cette manière, les dirigeants russes et chinois y ont vu une « continuité » saisissante de la politique de l’impérialisme de Bill Clinton s’étendant à la « guerre mondiale contre la terreur » de Bush. Un retour de bâton, comme a prevenu publiquement le président russe d’alors Vladimir Poutine, était inévitable – mais c’est une autre histoire de tapis volant, une autre caverne dans laquelle nous entrerons une autre fois.

Nuit pluvieuse en Géorgie

Si l’on veut comprendre la version washingtonienne du Pipelineistan, on doit commencer avec la Géorgie, où règne la mafia. Bien que son armée ait été ratatinée dans sa récente guerre avec la Russie, la Géorgie reste cruciale pour la politique énergétique de Washington, dans ce qui est désormais devenu un véritable arc d’instabilité – à cause de l’obsession continuelle [des Américains] de couper l’Iran des flux énergétiques.

 C’est autour du pipeline BTC (Bakou-Tbilissi-Ceyhan), ainsi que je le faisais remarquer en 2007 dans mon livre Globalistan, que la politique américaine s’est figée. Zbig Brzezinski en personne s’est envolé pour Bakou en 1995, en tant que « conseiller à l’énergie », moins de quatre ans après l’indépendance de l’Azerbaïdjan, pour vendre cette idée aux élites azéries. Le BTC devait partir du terminal de Dangachal, à une demi-heure de Bakou, et traverser la Géorgie voisine jusqu’au terminal naval situé dans le port turc de Ceyhan, sur la Méditerranée.

A présent opérationnel, ce serpent de métal de 1.767 kilomètres de long et de 44 mètres de large passe à proximité de pas moins de six zones de guerre, en cours ou potentielles : Nagorno-Karabakh (une enclave arménienne en Azerbaïdjan), la Tchétchènie et le Daguestan (deux régions russes assiégées), l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie (où s’est déroulée en 2008 la guerre entre la Russie et la Géorgie) et le Kurdistan turc.

D’un point de vue purement économique, le BTC n’avait aucun sens. Un pipeline « BTK », partant de Bakou et passant par Téhéran pour rejoindre l’Ile de Kharg en Iran, aurait pu être construit pour, toutes proportions gardées, presque rien – et il aurait eu l’avantage de contourner à la fois la Géorgie corrompue par la mafia et l’Anatolie orientale instable peuplée de Kurdes. Cela aurait été le moyen réellement bon marché d’acheminer vers l’Europe le pétrole et le gaz de la Caspienne.

Cette « Nouvelle Partie Formidable » a fait en sorte que ce ne soit pas le cas et beaucoup de choses ont fait suite à cette décision. Même si Moscou n’a jamais prévu d’occuper la Géorgie à long terme dans sa guerre de 2008 ou de prendre le contrôle du pipeline BTC qui traverse désormais son territoire, l’analyste pétrolier d’Alfa Bank, Konstantin Batounine, a fait remarquer l’évidence : en coupant brièvement le flux pétrolier du BTC, les soldats russes ont fait comprendre très clairement aux investisseurs mondiaux que la Géorgie n’était pas un pays fiable pour le transit énergétique. Autrement dit, les Russes ont tourné en dérision le monde selon Zbig.

Pour sa part, l’Azerbaïdjan représentait jusqu’à récemment la véritable réussite dans la version étasunienne du Pipelineistan. Conseillé par Zbig, Bill Clinton a littéralement « volé » Bakou du « voisinage proche » de la Russie, en encourageant le BTC et les richesses qui en couleraient. Cependant, à présent, avec le message de la guerre russo-géorgienne qui s’est immiscé, Bakou s’autorise à nouveau à se laisser séduire par la Russie. Pour compléter le tableau, le président de l’Azerbaïdjan, Ilham Aliyev, ne peut pas piffer le président bravache de la Géorgie, Mikhaïl Saakachvili. Ce n’est guère surprenant. Après tout, les manœuvres militaires irréfléchies de Saakachvili ont causé à l’Azerbaïdjan la perte d’au moins 500 millions de dollars lorsque le BTC a été fermé durant la guerre.

Le blitzkrieg de séduction russe pour l’énergie est également concentré comme un laser sur l’Asie Centrale. (Nous en parlerons plus en détail dans le prochain épisode du Pipelineistan.) Cette séduction tourne autour de l’offre d’acheter le gaz kazakh, ouzbek et turkmène aux prix européens, au lieu des prix précédents russes beaucoup plus bas. Les Russes, en fait, ont fait la même proposition aux Azéris : donc, à présent, Bakou négocie un accord impliquant plus de capacité pour le pipeline Bakou-Novorossisk, qui se dirige vers les frontières russes de la Mer Noire, tout en envisageant de pomper moins de pétrole pour le BTC.

Obama a besoin de comprendre les graves implications de tout ceci. Moins de pétrole azéri pour le BTC – sa pleine capacité est d’un million de barils par jour, essentiellement acheminés vers l’Europe – signifie que ce pipeline pourrait faire faillite, ce qui est exactement ce que veut la Russie.

En Asie Centrale, quelques-uns des plus gros enjeux tournent autour du champ pétrolier monstre de Kashagan situé dans le « léopard des neiges » d’Asie Centrale, le Kazakhstan, le joyaux absolu de la couronne de la Caspienne, avec des réserves atteignant 9 milliards de barils. Comme d’habitude au Pipelineistan, tout se résume à savoir quels itinéraires livreront le pétrole de Kashagan au monde après le démarrage de la production en 2013. Cela est bien sûr annonciateur de la Guerre Liquide. Le Président Kazakh Nursultan Nazarbayev, rusé comme un renard, aimerait utiliser le Consortium du Pipeline de la Caspienne (CPC) contrôlé par les Russes pour déverser le brut de Kashagan vers la Mer Noire.

 Dans ce cas, les Kazakhs détiendraient tous les atouts. La façon dont le pétrole s’écoulera depuis Kashagan décidera de la vie ou de la mort du BTC – autrefois vanté par Washington comme l’échappatoire occidentale ultime de la dépendance sur le pétrole du Golfe Persique.

 Alors, bienvenue au Pipelineistan ! Que nous l’aimions ou pas, en période faste comme en période difficile, nous pouvons raisonnablement parier que nous allons tous devenir des touristes de Pipeline. Donc, suivez le flux ! Apprenez les acronymes cruciaux, gardez un œil sur ce qui va arriver à toutes ces bases étasuniennes dans tous les fiefs pétroliers de la planète, observez là où les pipelines seront construits et faîtes de votre mieux pour garder l’œil sur la prochaine série d’accords énergétiques monstres chinois et des coups fabuleux du Russe Gazprom.

 Et, pendant que vous y êtes, considérez ceci comme juste la première carte postale envoyée de notre tournée au Pipelineistan. Nous reviendrons (comme disait Terminator). Pensez à cela comme à une porte s’ouvrant sur un futur dans lequel où et vers qui ce qui s’écoulera pourrait s’avérer être la question la plus importante sur la planète.

Pepe Escobar
Asia Time Online,
1/04/09
article original : "Liquid war: Welcome to Pipelineistan"
Traduction : JFG pour Questions critiques

Pepe Escobar est le correspondant itinerant de l’Asia Times Online et analyste pour Real News. Cet article est tiré de son nouveau livre, Obama does Globalistan. Il est également l’auteur de Globalistan: How the Globalized World is Dissolving into Liquid War [Globalistan : Comment le Monde Globalisé se Dissout dans la Guerre Liquide] (Nimble Books, 2007) et de Red Zone Blues: a snapshot of Baghdad during the surge [Le Blues de la Zone Rouge : un instantané de Bagdad durant le Surge - la montée en puissance de l’armée américaine].

Notes :
 
[1] Voir "PNAC, le programme pour un nouveau siècle américain"

[2]OCS :
http://
www.polemia.com/article.php?id=1722
http://
www.polemia.com/article.php?id=1267
http://
www.polemia.com/article.php?id=951

[3] camp Bondsteel :
http://
www.polemia.com/article.php?id=1634
http://
www.polemia.com/article.php?id=1747

Pepe Escobar

jeudi, 30 avril 2009

Pakistan puede perder control de su arma nuclear

Pakistán puede perder control de su arma nuclear

Pakistán puede perder el control de su arma nuclear. El movimiento Talibán que antes operaba en el vecino Afganistán toma bajo su control cada vez más comarcas del país, monta allí tribunales de shariat e ignora a los funcionarios del Gobierno central. Pero lo fundamental consiste en que sus “militantes” se encuentran a 60 km de Islamabad. Y su toma es cuestión de tiempo, de continuar la situación de hoy.

La parte de Pakistán conocida como la Zona Tribal: el valle de Svat y el Distrito de Buner, está de hecho ocupada por talibes. Las autoridades centrales se muestran complacientes con ello, esperando evitar así la violencia. La secretaria de Estado de EEUU Hillary Clinton en su entrevista del domingo al canal de TV Fox calificó lo que acaece en Pakistán de peligro mortal para el mundo. Manifestó inquietud frente a la posibilidad de que las armas nucleares vayan a parar a manos de los talibes. Aquí es oportuno recordar que Washington por enésima vez “recoge” los frutos de su política anterior. Pakistán creó su arma nuclear en connivencia con EEUU. Islamabad ha sido siempre el baluarte de la influencia estadounidense en la región y la Casa Blanca prefería hacer la vista gorda a sus ambiciones nucleares. Ahora las llaves de los arsenales nucleares pueden caer en manos de los terroristas. Y hecho curioso: terroristas pagados, armados y adiestrados en su tiempo por los servicios de inteligencia de EEUU y de Pakistán para que hicieran frente a la presencia rusa en Afganistán. ¡Vaya qué carambola ha salido! ¿Acaso tenía sentido multiplicar monstros para luego combatirlos?


Pakistán tropieza de hecho con la eventualidad de perder su estateidad. Como es lógico, esto preocupa mucho a Washington, que, en el decir de la señora Clinton, no puede admitirlo. De ahí la presión que ejerce EEUU sobre las autoridades centrales: recuperar el control en las provincias perdidas. Los expertos coinciden en que la Casa Blanca incluso cerrará los ojos ante un posible golpe militar en Pakistán. He aquí la opinión emitida a La Voz de Rusia por Vladimir Sotnikov, especialista en seguridad internacional:

EEUU no admitirán que pierdan Pakistán y me parece que EEUU posean un plan de acción al respecto junto con el ejército pakistaní, o bien independiente. Me parece que en los próximos tiempos pueda producirse la toma de Islamabad. A mi entender, las fuerzas armadas pakistaníes, al derrocar al Gobierno de Zardari, rechazarán a los talibes junto con EEUU o sin ellos tratarán de sobreponerse al Talibán.

La realidad objetiva muestra que la coalición militar internacional en el vecino Afganistán, bajo la égida de EEUU, es la única fuerza en la región capaz de hacer frente a la expansión del terrorismo. Moscú apoya a la coalición, habiendo abierto sus corredores aéreos para su abastecimiento.- En todo caso, la brega contra el extremismo islamita no tiene solución rápida, y su expansión puede ser contrarrestada tan solo por esfuerzos de la comunidad mundial.

Extraído de La Voz de Rusia.

~ por LaBanderaNegra en Abril 27, 2009.

mardi, 28 avril 2009

Trois livres pour comprendre le Japon aujourd'hui

Trois livres pour comprendre le Japon d'aujourd'hui

Ex: http://ettuttiquanti.blogspot.com/
Signe de la fascination et de la curiosité que suscite le Pays du soleil levant en Europe, plusieurs livres ayant pour objectif d'expliquer le Japon ont récemment été publiés :

Enigmatique Japon, d'Alan Macfarlane, est le fruit de la rencontre d'un anthropologue britannique réputé avec un pays qui lui est absolument étranger. "J'ignorais presque tout du Japon avant notre premier séjour. Je savais que c'était un chapelet d'îles situées à l'est de la Chine. Je me figurais plus ou moins une Chine en miniature" écrit l'auteur. La rencontre avec cet archipel oriental déboussole l'universitaire, qui a le sentiment, comme Alice aux pays des merveilles, de passer de l'autre côté du miroir. "J'étais plein de certitudes, de confiance et de présomption infondées sur mes propres catégories de perception du monde. Je ne pensais même pas que le Japon risquait de les bousculer" écrit-il. En un peu plus de 200 pages, il se fonde sur ses expériences personnelles, passées au crible de la méthode universitaire et anthropologique, pour déchiffrer l'énigme japonaise pour le lecteur.






L'Atlas du Japon de Philippe Pelletier propose plus de 120 cartes, sur l'histoire, la démographie, l'économie, l'urbanisation ou encore les relations extérieures de l'archipel. Le choix de la présentation cartographique permet de mettre en relief certains éléments caractéristiques du Japon d'aujourd'hui. Outre ses contraintes géographiques et l'héritage historique, les cartes claires, didactiques et bien documentées réalisées par Carine Fournier et Donatien Cassan mettent en avant les éléments qui font du Japon une société "post-moderne" : population vieillissante, hyper-urbanisation, forte tertiarisation de l'économie, etc... L'approche cartographique a également le mérite de faire ressortir certaines données, telles que les écarts sociaux ou la répartition géographique du vote, auxquelles le lecteur n'aurait pas nécessairement été sensible sans carte. L'ouvrage, riche en informations, satisfera quiconque est amené à étudier le Japon.






Enfin, comme son titre l'indique, Les Japonais de Karyn Poupée ne se focalise pas sur le pays mais sur ses habitants. Le livre permet de comprendre cette société, si intrigante aux yeux des étrangers et qui est devenue ce qu'elle est du fait de contraintes et d'une histoire particulière. L'auteur dit s'être lancée dans la rédaction du livre pour avoir trop lu par le passé de choses insensées, de clichés racoleurs ou, au contraire, de textes reflétant une fascination absolue sur les Japonais. Ici, les clichés ne sont pas niés, leurs fondements sont expliqués. L'auteur, qui connaît le Japon depuis 12 ans et y travaille en tant que journaliste pour l'Agence France Presse, réussit à expliquer les réalités socio-économiques du pays tout en les illustrant avec des éléments du vécu, des constats du quotidien, qui rendent le livre accessible à tous et prenant. Etoffé d'exemples concrets et parlants, l'ouvrage dense en informations revient sur l'histoire contemporaine du pays pour mieux nous expliquer son présent. L'auteur se fonde sur les spécificités, géographiques et culturelles, qui rendent le Japon si différent. Probablement parce qu'elle a pour métier de rendre accessible aux lecteurs de la presse la complexité japonaise, Karyn Poupée sait utiliser des exemples concrets et parlants pour montrer pourquoi et comment les Japonais sont comme ils sont. L'ouvrage devrait satisfaire tous ceux qui souhaitent comprendre les Japonais d'aujourd'hui. Il est enfin doté d'une qualité extrêmement rare pour un livre si riche en informations : il se lit avec le même plaisir que l'on aurait à parcourir un bon roman.

Alan Macfarlane, Enigmatique Japon, Ed. Autrement, 2009.

Philippe Pelletier, Atlas du Japon, Ed. Autrement, 2008.

Karyn Poupée, Les Japonais, Tallandier, 2008.

mardi, 07 avril 2009

Nouvelles concessions faites aux Turcs

Nouvelles concessions faites aux Turcs

Ex: http://www.insolent.fr/

090406Les historiens du futur retiendront peut-être l'image du président du Conseil italien téléphonant sur les bords du Rhin ce 4 mars au matin. Durant 32 minutes Silvio Berlusconi s'est ainsi entretenu à distance avec le premier ministre Erdogan. Scène d'autant plus émouvante et insolite que la Turquie se trouvait représentée à Strasbourg. Son président de la république Abdullah Gül figurait parmi les participants, en bonne place sur les photos et en bonne santé. Certains ont donc pu imaginer, mais je ne puis me résoudre à le croire, qu'il ne faisait office que de marionnette, sous les ordres de la confrérie islamique, dans laquelle il se trouverait subordonné à son dynamique camarade de parti.

On doit sans doute exprimer une certaine reconnaissance à la très efficace diplomatie italienne d'avoir su sortir de l'impasse l'Europe et l'occident, mais aussi le bon déroulement de la cérémonie de Strasbourg.

La non-moins efficace diplomatie turque a su accepter le principe d'une nomination de M. Rasmussen. Cela ne lui coûtera rien. Reste cependant à savoir, en contrepartie, quelles dispositions ultérieures, elle a entrepris d'extorquer à ses partenaires. Confrontée à des négociateurs collectifs, divisés, autrement moins redoutables que le chef du gouvernement de Rome, elle ne manquera jamais de ressources. Avec 520 000 hommes, elle dispose de la plus grosse armée de terre de l'Otan. Et bien que les 130 000 soldats turcs escomptés par les stratèges anglo-américains ait fait défaut en Mésopotamie en raison du vote négatif du Majlis d'Ankara en mars 2003, ce potentiel d'intervention demeure séduisant auprès des États-Unis. Les Européens ont encore démontré à Strasbourg, au contraire, malgré toute leur bonne volonté, qu'ils ne peuvent leur faire numériquement concurrence sur le terrain miné d'une plus grande implication en Afghanistan.

L'AFP et Le Monde en ligne à 10 h 24 ce 5 avril 2009 dressaient ainsi le tableau des conditions drastiques que cherche à imposer Ankara en échange de la nomination de Rasmussen au secrétariat général de l'Otan.

Reprenons-les point par point :

1° Ankara aurait obtenu en premier lieu l'assurance que la chaîne de télévision Roj TV, tribune des rebelles kurdes du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), soit prochainement interdite d'émettre depuis le Danemark.

2° Ankara aurait, d'autre part, obtenu que M. Rasmussen "adresse au monde musulman un message positif par rapport à la crise des caricatures". Le quotidien à grand tirage Hürriyet évoque pour sa part des "excuses" prochaines de M. Rasmussen au monde musulman. Le journal populaire Aksam croyait savoir que de telles "excuses" pourraient même être présentées lors du sommet de ce qu'on appelle pompeusement "l'Alliance des civilisations".

3° Ankara aurait enfin obtenu la promesse que des Turcs seraient nommés à des postes clés dans l'appareil pratique de l'Otan. Un Turc devrait ainsi devenir l'adjoint du secrétaire général, un autre devrait représenter l'Alliance atlantique en Afghanistan et un troisième devrait être nommé responsable du désarmement.

Certes, on pourra juger sévèrement, ou au contraire comprendre, sinon applaudir, que des compromis de cette nature aient pu intervenir entre l'alliance atlantique et son partenaire d'Asie mineure.

Ainsi par exemple, s'agissant du PKK, cette petite armée se trouve désormais officiellement combattue par les autorités kurdes d'Irak. Aussi bien l'Union patriotique du Kurdistan de Jalal Talabani qui assume à Bagdad depuis 2005 la présidence fédérale du pays, que le Parti Démocratique du Kurdistan de Massoud Barzani, qui a pris le contrôle de la région autonome du nord, la rejettent. On voit donc assez mal comment l'OTAN, l'Europe ou le Danemark accorderaient dès lors un soutien à une organisation qui se réclame par ailleurs officiellement du marxisme-léninisme.

Donner un message positif en direction du "monde musulman" : mais quel pays engagé dans la guerre d'Afghanistan ne s'y est-il pas préparé d'une manière ou d'une autre ?

Il existe d'ailleurs de nombreuses manières d'entendre ce concept de "message positif".

On pourrait considérer comme tel, et même comme un "message extrêmement fort et positif", montrant la confiance que nous investissons dans la faculté d'émancipation et de progrès de ces nations, le fait pour citer quelques exemples :
- d'appeler tous les pays, y compris par conséquent ceux du "monde musulman" à respecter les droits élémentaires de l'enfance en interdisant de pratiques telles que l'enseignement forcé du Coran par cœur, même lorsqu'ils ne parlent pas l'arabe, et la mendicité imposés aux petits garçons des madrassas ;
- d'arracher les signes humiliants de la condition féminine appelés mensongèrement "voiles" ;
- de mettre un terme aux pratiques esclavagistes que, sous couvert de religion, certains pays du Golfe imposent encore aux Noirs d'Afrique.

Certains vont même plus loin. Après la révolution de velours de 1989 en Tchécoslovaquie on demandait ainsi au nouveau président tchèque Vaclav Havel quel geste fort il se proposait d'accomplir en direction du tiers-monde. Il semble, 20 ans après, que sa réponse mérite réflexion : car, a-t-il répondu, "nous avons fait quelque chose pour le tiers-monde, nous avons reconnu l'État d'Israël !" Ce message positif à l'égard de ses frères musulmans et anciens sujets de l'empire et du califat ottomans, les Arabes, la Turquie a su, elle aussi, le délivrer en son temps. Dès 1949 elle reconnaissait le jeune État sioniste, et encore en 1996 elle signait avec lui un important accord stratégique. Cela ne semble pas l'empêcher d'occuper depuis 2004 un "poste clef", celui de secrétaire général, au sein de l'Organisation de la conférence islamique en la personne d'Ekmeleddin Ihsanoglun.

Mais d'autres formes de messages, des signes de faiblesse, particulièrement peu appropriés dans cette famille de peuples, peuvent hélas être délivrés, comme, par exemple, Barack Obama dans sa déclaration introductive au sommet Europe-Etats-Unis, le 5 mars à Prague :
"Les Etats-Unis et l'Europe doivent considérer les musulmans comme des amis, des voisins et des partenaires pour combattre l'injustice, l'intolérance et la violence, et forger une relation fondée sur le respect mutuel et des intérêts communs.

"Aller vers une entrée de la Turquie dans l'Union européenne constituerait un signe important de votre engagement dans cette direction et assurerait que nous continuons à ancrer la Turquie fermement en Europe"
.On ne peut donc qu'approuver le président français Nicolas Sarkozy d'avoir rejeté clairement, publiquement et immédiatement, dans deux interventions télévisées à Prague d'abord, puis sur TF1,le principe même d'une telle déclaration nord-américaine :
"S'agissant de l'Union européenne, a-t-il rappelé, c'est aux pays membres de l'Union européenne de décider".
Ces excellents et fermes propos vont sans doute tendre à replacer cette question au cœur du débat européen, et probablement aussi, de cette campagne électorale qui s'annonçait un peu terne en vue du scrutin de juin.

On regrettera d'autant plus une autre concession faite de manière juridiquement souveraine par Paris et sans aucune relation avec la négociation du 4 mars.

En marge de la réunion de l'Otan à Strasbourg, notre ministre des Affaires étrangères Kouchner rencontrait dès le 2 mars son homologue turc M. Ali Babacan. Le contexte explique en partie l'information qui va suivre. À ce jour je n'en ai pas encore retrouvée la trace via aucune source habituelle de l'information parisienne mais seulement sur l'excellent site anglophone du quotidien conservateur de Turquie Zaman Today.

En effet jusqu'ici la France bloquait l'entrée de la gendarmerie turque dans la Force de gendarmerie européenne (Eurogendfor ou FGE) créée en septembre 2004 et dont le siège est à Vicenza, où, dirigée par le colonel Giovanni Truglio depuis juin 2007, elle est l'hôte de l'arme prestigieuse des Carabinieri italiens. Kouchner, au nom de la France, vient de donner le feu vert à l'entrée des Turcs dans cette communauté.

On peut comprendre que la gendarmerie d'Ankara, dont les exploits de Sisirlik restent présents dans toutes les mémoires, l'impliquant dans la protection des trafics de drogue, illustrée dans le complot d'Ergenekon via son ancien patron le général Sener Eryugur, participe aux opérations d'Afghanistan au titre de l'Otan puisqu'elle appartient à cette alliance.

On comprend moins bien qu'elle puisse y figurer au titre de l'Europe.

JG Malliarakis

jeudi, 02 avril 2009

Pékin soutient Moscou dans sa recherche d'une alternative au dollar

Crise: Pékin soutient Moscou dans sa recherche d’alternatives au dollar

fin-du-dollar

Le président de la Banque populaire de Chine Zhou Xiaochuan appuie l’initiative russe visant à créer une monnaie de réserve alternative au dollar américain, est-il indiqué dans un article mis en ligne sur le site internet de la banque.

“Le système financier international doit avoir une monnaie de réserve supranationale qui ne serait pas liée à un pays et resterait stable à long terme”, lit-on dans l’article de M.Xiaochuan.

Le banquier soutient la proposition de Moscou de charger le Fonds monétaire international (FMI) d’étudier la création d’une monnaie de réserve supranationale. Selon la Russie, les droits de tirage spéciaux pourraient jouer ce rôle, ceux-ci constituant actuellement une monnaie de réserve pour certains pays.

Dans le même temps, il a reconnu que la mise en place d’une nouvelle monnaie de réserve était “un projet de longue haleine”, la communauté internationale devant faire preuve de perspicacité et de fermeté pour le mener à bien.

A l’heure actuelle, il convient d’améliorer “la gestion des risques dans le cadre du système financier existant”, a conclu le président de la banque.


Article printed from AMI France: http://fr.altermedia.info

URL to article: http://fr.altermedia.info/general/crise-pekin-soutient-moscou-dans-sa-recherche-dalternatives-au-dollar_21649.html

vendredi, 20 mars 2009

Eurasisme et atlantisme: quelques réflexions intemporelles et impertinentes

iran-turan.jpg

 

 

Robert STEUCKERS:

Eurasisme et atlantisme: quelques réflexions intemporelles et impertinentes

 

Préface à un ouvrage de Maître Jure Vujic (Zagreb, Croatie)

 

Il y a plusieurs façons de parler de l’idéologie eurasiste, aujourd’hui, après l’effondrement du bloc soviétique et la disparition du Rideau de Fer: 1) en parler comme s’il était un nouvel avatar du soviétisme; 2) en faisant référence aux idéologues russes de l’eurasisme des années 20 et 30, toutes tendances idéologiques confondues; 3) en adoptant, par le truchement d’un eurasisme synthétique, les lignes de force d’une stratégie turco-mongole antérieure, qui deviendrait ainsi alliée à la spécificité russe; un tel eurasisme est finalement une variante du pantouranisme ou du panturquisme; 4) faire de l’idéologie eurasiste le travestissement d’un traditionalisme révolutionnaire, reposant in fine sur la figure mythique du “Prêtre Jean”, évoquée par René Guénon; cet eurasisme-là prendrait appui sur deux pôles religieux: l’orthodoxie russe et certains linéaments de l’islam centre-asiatique, mêlant soufisme et chiisme, voire des éléments islamisés du chamanisme d’Asie centrale. Ces quatre interprétations de l’eurasisme sont certes séduisantes sur le plan intellectuel, sont, de fait, des continents à explorer pour les historiens qui focalisent leurs recherches sur l’histoire des idées, mais d’un point de vue realpolitisch européen, elles laissent le géopolitologue, le stratège et le militaire sur leur faim.

 

L’eurasisme, dans notre optique, relève bien plutôt d’un concept géographique et stratégique: il tient compte de la leçon de John Halford Mackinder qui, en 1904, constatait que l’espace centre-asiatique, alors dominé par la Russie des Tsars, était inaccessible à la puissance maritime anglaise, constituait, à terme, un môle de puissance hostile aux “rimlands”, donc, du point de vue britannique, une menace permanente sur l’Inde. L’eurasisme des géopolitologues rationnels, s’inscrivant dans le sillage de John Halford Mackinder, n’est pas tant, dans les premières expressions de la pensée géopolitique, l’antipode d’un atlantisme, mais l’antipode d’une puissance maritime centrée sur l’Océan Indien et possédant le sous-continent indien. Si l’Angleterre est, dès l’époque élisabéthaine, une puissance nord-atlantique en passe de conquérir toute l’Amérique du Nord, au faîte de sa gloire victorienne, elle est essentiellement une thalassocratie maîtresse de l’Océan Indien. La clef de voûte de son empire est l’Inde, qui surplombe un “arc” de puissance dont les assises se situent en Afrique australe et en Australie et dont les points d’appui insulaires sont les Seychelles, l’Ile Maurice et Diego Garcia.

 

Le premier couple de concepts antagonistes en géopolitique n’est donc pas le dualisme eurasisme/atlantisme mais le dualisme eurasisme/indisme. L’atlantisme ne surviendra qu’ultérieurement avec la guerre hispano-américaine de 1898, avec le développement de la flotte de guerre américaine sous l’impulsion de l’Amiral Alfred Thayer Mahan, avec l’intervention des Etats-Unis dans la première guerre mondiale, avec le ressac graduel de l’Angleterre dans les années 20 et 30 et, enfin, avec l’indépendance indienne et la relative neutralisation de l’Océan Indien. Qui ne durera, finalement, que jusqu’aux trois Guerres du Golfe (1980-1988, 1991, 2003) et à l’intervention occidentale en Afghanistan suite aux “attentats” de New York de septembre  2001.

 

Route de la Soie et “Greater Middle East”

 

Avec l’indépendance des anciennes républiques musulmanes de l’ex-URSS, la Russie cesse paradoxalement d’être une véritable puissance eurasienne, car elle perd les atouts territoriaux de toutes ses conquêtes du XIX° siècle, tout en redécouvrant le punch de l’idéologie eurasiste. Donc la fameuse “Terre du Milieu”, inaccessible aux marines anglo-saxonnes, comprenant le Kazakhastan, le Turkménistan, l’Ouzbékistan, le Tadjikistan et le Kirghizistan, est théoriquement indépendante de toute grande puissance d’Europe ou d’Asie. Un vide de puissance existe ainsi désormais en cette Asie centrale, que convoitent les Etats-Unis, la Chine, l’Iran et la Turquie, au nom de concepts tour à tour anti-russes, panasiatiques, panislamistes ou pantouraniens. Les Etats-Unis parlent tout à la fois, avec Zbigniew Brzezinski, de “Route de la Soie” (“Silk Road”), et, avec d’autres stratégistes, de “Greater Middle East”, comme nouveau débouché potentiel pour une industrie américaine enrayée dans ses exportations en Europe, avec l’émergence d’une UE à 75% autarcique, et en Amérique ibérique avec l’avènement du Mercosur et d’autres regroupements politico-économiques.

 

Vu la population turcophone des anciennes républiques musulmanes d’Asie centrale, cet espace, hautement stratégique, ne partage plus aucune racine, ni culturelle ni linguistique, avec l’Europe ou avec la Russie. Un barrage turcophone et islamisé s’étend de l’Egée à la Muraille de Chine, empêchant le regroupement de puissances à matrice européenne: l’Europe, la Russie, la Perse et l’Inde. La conscience de ce destin raté n’effleure même pas l’immense majorité des Européens, Russes, Perses et Indiens.

 

L’idée-force qui doit, tout à la fois, ressouder l’espace jadis dominé par les Tsars, de Catherine II à Nicolas II, et donner une conscience historique aux peuples européens, ou d’origine européenne, ou aux peuples d’aujourd’hui qui se réfèrent à un passé historique et mythologique européen, est celle d’un eurasisme indo-européanisant. Cet eurasisme trouve son origine dans la geste des vagues successives de cavaliers et de charistes, dites “proto-iraniennes”, parties de l’ouest de l’Ukraine actuelle pour se répandre en Asie centrale entre 1800 et 1550 avant J. C. Deux historiens et cartographes nous aident à comprendre cette dynamique spatiale, à l’aurore de notre histoire: le Britannique Colin McEvedy (1) et le Suisse Jacques Bertin (2).

 

L’aventure  des cavaliers indo-européens dans la steppe centre-asiatique

 

Pour McEvedy, la césure dans le bloc indo-européen initial, dont le foyer primordial se situe en Europe centrale, survient vers 2750 av. J. C. quand le groupe occidental (cultures de Peterborough et de Seine-Oise-Marne) opte pour un mode de vie principalement sédentaire et le groupe oriental, de l’Elbe à la Mer d’Aral, pour un mode de vie semi-nomade, axé sur la domestication du cheval. Bien que la linguistique contemporaine opte pour une classification des langues indo-européennes plus subtile et moins binaire, reposant sur la théorie des ensembles, McEvedy retient, peu ou prou, l’ancienne distinction  entre le groupe “Satem” (oriental: balto-slave, aryen-iranien-avestique, aryen-sanskrit-védique) et le groupe “Centum” (occidental: italique, celtique, germanique), selon le vocable désignant le chiffre “100” dans ces groupes de langues. Pour McEvedy, à cette même époque (-2750), un bloc hittite commence à investir l’Asie Mineure et l’Anatolie; le groupe tokharien, dont la langue est “indo-européenne occidentale”, s’installe en amont du fleuve Syr-Daria, en direction de la “Steppe de la Faim” et à proximité des bassins du Sari-Sou et du Tchou. Récemment, l’archéologie a exhumé des momies appartenant aux ressortissants de ce peuple indo-européen d’Asie centrale et les a baptisées “Momies du Tarim”. A cette époque, les peuples indo-européens orientaux occupent toute l’Ukraine, tout l’espace entre Don et Volga, de même que la “Steppe des Kirghiz”, au nord de la Caspienne et de la Mer d’Aral. De là, ils s’élanceront vers 2250 av. J. C. au delà de l’Aral, tandis que les Tokhariens entrent dans l’actuel Sinkiang chinois et dans le bassin du Tarim, à l’époque assez fertile. La “Terre du Milieu” de John Halford Mackinder a donc été d’abord indo-européenne avant de devenir altaïque et/ou turco-mongole. A partir de 1800 av. J. C., ils font mouvement vers le Sud et pénètrent en Iran, servant d’aristocratie guerrière, cavalière et chariste, à des peuples sémitiques ou élamo-dravidiens. Vers 1575 av. J. C., ils encadrent les Hourrites caucasiens lors de leurs conquêtes au Proche-Orient et en Mésopotamie, pénètrent dans le bassin de l’Indus et dans le Sinkiang et le Gansou.

 

Ces peuples domineront les steppes centre-asiatiques, des Carpathes à la Chine jusqu’à l’arrivée des Huns d’Attila, au IV° siècle de l’ère chrétienne. Cependant, les empires sédentaires et urbanisés du “rimland”, pour reprendre l’expression consacrée, forgée en 1904 par Mackinder, absorberont très tôt le trop plein démographique de ces cavaliers de la steppe: ce seront surtout les Perses, Parthes et Sassanides qui les utiliseront, de même que les Grecs qui auront des mercenaires thraces et scythes et, plus tard, les Romains qui aligneront des cavaliers iazyges, roxolans et sarmates. Cette réserve militaire et aristocratique s’épuisera progressivement; pour Jacques Bertin, l’expansion vers l’Océan Pacifique de ces peuples cavaliers sera contrecarrée  par des bouleversements climatiques et un assèchement graduel de la steppe, ne permettant finalement plus aucune forme, même saisonnière, de sédentarité. A l’Est, le premier noyau mongol apparaît entre 800 et 600 av. J. C., notamment sous la forme de la culture dite “des tombes à dalles”.

 

Le reflux vers l’ouest

 

Les peuples cavaliers refluent alors principalement vers l’Ouest, même si les Yuezhi (on ne connaît plus que leur nom chinois) se heurtent encore aux Mongols et à la Chine des Qin. La pression démographique des Finno-Ougriens (Issédons) et des Arimaspes de l’Altaï et la détérioration générale des conditions climatiques obligent les Scythes à bousculer les Cimmériens d’Ukraine. Quelques éléments, après s’être heurtés aux Zhou chinois, se seraient retrouvés en Indochine, à la suite de ce que les archéologues nomment la “migration pontique”. De 600 à 200 av. J.C., la culture mongole-hunnique des “tombes à dalles” va accroître, graduellement et de manière non spectaculaire, son “ager” initial. Vers –210, les tribus mongoles-hunniques forment une première confédération, celle des Xiongnu, qui font pression sur la Chine mais bloquent définitivement l’expansion des cavaliers indo-européens (Saces). C’est là que commence véritablement l’histoire de l’Asie mongole-hunnique. Vers 175 av. J.C., les Xiongnu dirigés par Mao-Touen, véritables prédécesseurs des Huns, s’emparent, de tout le Gansu, chassent les Yuezhi indo-européens et occupent la Dzoungarie. La vaste région steppique entourant le Lac Balkach cesse d’être dominée par des peuples indo-européens. La Chine intervient et bat la Confédération des Xiongnu, donnant aux empires romain et parthe un répit de quelques centaines d’années.

 

Le potentiel démographique indo-européen des steppes se fonde dans les empires périphériques, ceux du “rimland”: les Sarmates de l’Ouest, connus sous les noms de Roxolans et de Iazyges s’installent en Pannonie et, après un premier choc avec les Légions de l’Urbs, deviendront des “foederati” et introduiront les techniques de la cavalerie dans l’armée romaine et, partant, dans toutes les régions de l’Empire où ils seront casernés. L’épopée arthurienne découlerait ainsi d’une matrice sarmate. Les Alains, ancêtres des Ossètes, entrent en Arménie. Les Yuezhi envahissent l’Inde et y fondent l’Empire Kusana/Kouchan. De l’an 1 à l’an 100, trois blocs  impériaux de matrice indo-européenne se juxtaposent sur le rimland eurasien, face aux peuples hunniques désorganisés par les coups que lui ont porté les armées chinoises de Ban Chao, qui poussent jusqu’en Transoxiane. Nous avons l’Empire romain qui inclut dans ses armées les “foederati” sarmates. Ensuite, l’Empire perse qui absorbe une partie des peuples indo-européens de la steppe centre-asiatique, dont les Scythes, qu’il fixera dans la province du Sistan. Enfin l’Empire kouchan, sous l’impulsion des tribus yuezhi réorganisées, englobe toutes les terres de l’Aral au cours moyen du Gange, l’Afghanistan et le Pakistan actuels et une vaste portion de l’actuel Kazakhstan.

 

Les Huns arrivent dans l’Oural et dans le bassin de la Volga

 

Au cours du II° siècle de l’ère chrétienne, les Xianbei, issus des forêts, deviennent le peuple dominant au nord de la Mandchourie, provoquant, par la pression qu’ils exercent sur leur périphérie occidentale, une bousculade de peuples, disloquant les restes des Xiongnu qui, d’une part, entrent en Chine, et d’autre part, se fixent en Altaï, patrie des futurs peuples turcs (les “Tujue” des chroniques chinoises). Les Huns arrivent dans l’Oural, approchent du bassin de la Volga et entrent ainsi dans les faubourgs immédiats du foyer territorial originel des peuples indo-européens que l’archéologue allemand Lothar Kilian situe du Jutland au Don, les peuples préhistoriques et proto-historiques se mouvant sur de vastes territoires, nomadisme oblige. Thèse qu’adopte également Colin McEvedy.

 

En 285, les derniers Tokhariens font allégeance aux empereurs de Chine. Sassanides zoroastriens et Kouchans bouddhistes s’affrontent, ce qui conduit au morcellement de l’ensemble kouchan et, ipso facto, à la fragilisation de la barrière des Empires contre les irruptions hunniques venues de la steppe. Chahpour II, Empereur perse, affronte les Romains et les restes des Kouchans. L’Empereur Julien meurt en Mésopotamie en 373 face aux armées sassanides. Dans la patrie originelle des peuples hunniques-mongols, les Ruan Ruan bousculent les Xianbei qui refluent vers l’ouest, bousculant les Turcs, ce qui oblige les Huns à franchir la steppe sud-ouralienne et à se heurter en 375 aux Alains et aux Goths. Le glas de l’Empire romain va sonner. Les Huns ne seront arrêtés qu’en Champagne en 451 (Bataille des Champs Catalauniques). Les Kouchans, désormais vassaux des Sassanides, doivent céder du terrain aux Hephtalites hunniques. Les Tokhariens se soumettent aux Gupta d’Inde.

 

D’Urbain II à l’échec de la huitième Croisade

 

La chute de l’Empire romain, les débuts chaotiques de l’ère médiévale signalent un ressac de l’Europe, précisément parce qu’elle a perdu l’Asie centrale, le contact avec la Perse et la Chine. L’émergence de l’islam va accentuer le problème en donnant vie et virulence à la matrice arabique des peuples sémitiques. L’invasion de l’Anatolie byzantine par les Seldjouks au XI° siècle va provoquer une première réaction et enclencher une guerre de près de 900 ans, brièvement interrompue entre la dernière guerre de libération balkanique en 1913 et l’ère de la décolonisation. Le pape Urbain II, dans son discours de Clermont-Ferrand (1095) destiné à galvaniser la noblesse franque pour qu’elle parte en croisade, évoque nettement “l’irruption d’une race étrangère dans la Romania”, prouvant que l’on raisonnait encore en terme de “Romania”, c’est-à-dire d’impérialité romaine, cinq ou six cents ans après la chute de l’Empire romain d’Occident. En 1125, Guillaume de Malmesbury, dans sa “Gesta Regum”, déplore que la “chrétienté”, donc l’Europe, ait été chassée d’Asie et d’Afrique et que, petite en ses dimensions, elle est constamment harcelée par les Sarazins et les Turcs, qui veulent l’avaler toute entière. Les propos de Guillaume de Malmesbury expriment fort bien le sentiment d’encerclement que ressentaient les Européens de son époque, un sentiment qui devrait réémerger aujourd’hui, où les peuples de la périphérie ne cachent pas leur désir de grignoter notre territoire et/ou de l’occuper de l’intérieur par vagues migratoires ininterrompues, en imaginant que notre ressac démographique est définitif et inéluctable.

 

L’épopée des Croisades ne s’achève pas par l’échec total de la huitième croisade, prêchée par Urbain IV en 1263 et où meurt Saint Louis (1270). La chute d’Acre en 1291 met fin aux Etats latins d’Orient: seul ultime sursaut, la prise de Rhodes en 1310, confiée ensuite aux Hospitaliers. Détail intéressant: en 1274, Grégoire X, successeur d’Urbain IV, tentera en vain d’unir les empires du rimland en un front unique: les Mongols de Perse, les Byzantins et les Européens catholiques (3). Les guerres contre les Ottomans à partir du XIV° siècle et le fiasco de Nicopolis en 1396, à la suite de la défaite serbe du Champs des Merles en 1389, sont des guerres assimilables à des croisades. Le XV° siècle ne connaît pas de répit, avec la défaite européenne de Varna en 1444, prélude immédiat de la chute de Constantinople en 1453. Les XVI° et XVII° siècles verront l’affrontement entre l’Espagne d’abord, l’Autriche-Hongrie ensuite, et les Ottomans. La défaite des Turcs devant Vienne en 1683, puis la Paix de Karlowitz en 1699, scellent la fin de l’aventure ottomane et le début de l’expansion européenne. Ou, plus exactement, le début d’une riposte européenne, enfin victorieuse depuis les premiers revers des Saces.

 

Les Portugais contournent l’Afrique et arrivent dans l’Océan Indien

 

Deux réactions ont cependant été déterminantes: d’abord, l’avancée des Russes sur terre, séparant les Tatars de Crimée du gros de la Horde d’Or et du Khanat de Sibir par la conquête du cours de la Volga jusqu’à la Caspienne. Le réveil de la Russie indique le retour d’un peuple indo-européen dans l’espace steppique au sud de l’Oural et un reflux des peuples hunniques et mongols. La Russie poursuivra la conquête jusqu’au Pacifique en deux siècles. Puis reprendra toute l’Asie centrale. Nous avons affaire là au même eurasisme que celui des Proto-Iraniens à l’aurore de notre histoire. Ensuite, deuxième réaction, la conquête portugaise des eaux de l’Atlantique sud et de l’Océan Indien. Elle commence par une maîtrise et une neutralisation du Maroc, d’où disparaissent les Mérinides, remplacés par les Wattasides qui n’ont pas eu les moyens d’empêcher les Portugais de contrôler le littoral marocain. A partir de cette côte, les Portugais exploreront tout le littoral atlantique de l’Afrique avec Cabral et franchiront le Cap de Bonne Espérance avec Vasco de Gama (1498). Les Européens reviennent dans l’Océan Indien et battent la flotte des Mamelouks d’Egypte au large du Goujarat indien. La  dialectique géopolitique de l’époque consiste, peut-on dire, en une alliance de l’eurasisme européanisant des Russes et de l’indisme thalassocratique des Portugais qui prennent un Empire musulman du rimland en tenaille, une empire à cheval sur trois continents: l’Europe, l’Asie et l’Afrique. Le tandem Ottomans-Mamelouks disposait effectivement de fenêtres sur l’Océan Indien, via la Mer Rouge et le Golfe Persique et était en quelque sorte “hybride”, à la fois tellurique, avec ses armées de janissaires dans les Balkans, et thalassocratique par son alliance avec les pirates barbaresques de la côte septentrionale de l’Afrique et avec les flottes arabe et mamelouk de la Mer Rouge. Les Portugais ont donc réussi, à partir de Vasco de Gama à parfaire une manoeuvre d’encerclement maritime du bloc islamique ottoman et mamelouk, puisque les entreprises terrestres que furent les croisades et les expéditions malheureuses de Nicopolis et de Varna avaient échoué face à l’excellence de l’organisation militaire ottomane. Les héritiers d’Henri le Navigateur, génial précurseur du retour des Européens sur les mers du monde, ont réduit à néant, par leur audace, le sentiment d’angoisse des Européens devant l’encerclement dont ils étaient les victimes depuis l’irruption des Seldjouks dans cette partie de la Romania, qui était alors byzantine.

 

L’indisme thalassocratique et l’eurasisme tellurique/continental sont alors alliés, en dépit du fait que les Portugais sont catholiques et honorent le Pape de Rome et que les Russes se proclament les héritiers de Byzance, en tant que “Troisième Rome”, depuis la chute de Constantinople en 1453. Après les succès flamboyants d’Albuquerque entre 1503 et 1515 et la pénétration du Pacifique, les Portugais s’épuiseront, ne bénéficieront plus de l’apport de marins hollandais après le passage des Provinces-Unies des Pays-Bas au calvinisme ou au luthérisme; les Hollandais feront brillamment cavaliers seuls avec leur “Compagnie des Indes Orientales” fondée en 1602, s’empareront de l’Insulinde, deviendront pendant les deux tiers du XVII° une puissance à la fois “indiste” et atlantiste, et même partiellement pacifique vu leurs comptoirs au Japon, mais ne disposant que d’une base métropolitaine bien trop exigüe, ils cèderont graduellement le gros de leurs prérogatives aux Anglais dans l’Océan Indien et autour de l’Australie.

 

Le premier “atlantisme” ibérique: un auxiliaire du dessein “alexandrin”

 

L’atlantisme naît évidemment de la découverte des Amériques par Christophe Colomb en 1492. Mais l’objectif premier des puissances européennes, surtout ibériques, sera d’exploiter les richesses du Nouveau Monde pour parfaire un grand dessein romain et “alexandrin”, revenir en Méditerranée orientale, reprendre pied en Afrique du Nord, libérer Constantinople et ramener l’Anatolie actuelle dans le giron de la “Romania”. Le premier atlantisme ibérique n’est donc que l’auxiliaire d’un eurasisme “croisé” ibérique et catholique, allié à la première offensive de l’eurasisme russe, et portée par un dessein “alexandrin”, qui espère une alliance euro-perse. Une telle alliance aurait reconstitué le barrage des empires contre la steppe turco-hunnique, alors que les empires antérieurs, ceux de l’antiquité, se nourrissaient de l’énergie des cavaliers de la steppe quand ceux-ci étaient indo-européens.

 

L’atlantisme proprement dit, détaché dans un premier temps de tout projet continentaliste eurasien, nait avec l’avènement de la Reine Elisabeth I d’Angleterre. Elle était la fille d’Anne Boleyn, deuxième épouse d’Henri VIII et pion du parti prostestant qui avait réussi  à évincer la Reine Catherine, catholique et espagnole. Après la décollation d’Anne Boleyn, la jeune Elisabeth ne devait pas monter directement sur le trône à la mort de son père: son demi-frère Edouard VI succède à Henri VIII, puis, à la mort prématurée du jeune roi, sa demi-soeur Marie Tudor, fille de Catherine d’Espagne, qui déclenche une virulente réaction catholique, ramenant l’Angleterre, pendant cinq ans dans le giron catholique et l’alliance espagnole (1553-1558). Le décès prématuré de Marie Tudor amène Elisabeth I sur le trône en 1558; elle y restera jusqu’en 1603: motivée partiellement par l’ardent désir de venger sa mère, la nouvelle reine enclenche une réaction anti-catholique extrêmement violente, entraînant une cassure avec le continent qui ne peut être compensée que par une orientation nouvelle, anglicane et protestante, et par une maîtrise de l’Atlantique-Nord, avec la colonisation progressive de la côte atlantique, prenant appui sur la réhabilitation de la piraterie anglaise, hissée au rang de nouvelle noblesse après la disparition de l’ancienne aristocratie et chevalerie anglo-normandes suite à la Guerre des Deux Roses, à la fin du XV° siècle (4).

 

L’expansion anglaise en Amérique du Nord

 

C’est donc une vendetta familiale, un schisme religieux et une réhabilitation de la piraterie qui créeront l’atlantisme, assorti d’une volonté de créer une culture ésotérique différente de l’humanisme continental et catholique. Elle influence toujours, dans la continuité, les linéaments ésotériques de la pensée des élites anglo-saxonnes (5), notamment ceux qui, en sus du puritanisme proprement dit, sous-tendent la théologie politique américaine. Sous le successeur faible d’Elisabeth commence la colonisation de l’Amérique du Nord, par la fondation d’un premier établissement en 1607 à Jamestown. Elle sera complétée par l’annexion des comptoirs hollandais en 1664, dont “Nieuw Amsterdam” qui deviendra New York. L’inclusion du Delaware et des deux Carolines permet l’occupation de tout le littoral atlantique des futurs Etats-Unis. En 1670, l’Angleterre patronne la fondation de l’Hudson  Bay Company qui lui permet de coincer la “Nouvelle-France”, qui s’étend autour de Montréal, entre les Treize colonies et cette portion importante de l’hinterland du futur territoire canadien. Les liens avec l’Angleterre et l’immigration homogène et massive de Nord-Européens font de l’Atlantique-Nord un lac britannique et le socle d’une future puissance pleinement atlantique.

 

L’Angleterre en s’emparant de la totalité du Canada par le Traité de Paris en 1763 consolide sa puissance atlantique. Mais les jeux ne sont pas encore faits: lors de la révolte des “Treize colonies” en 1776, les flottes alliées de la France, de l’Espagne et de la Hollande volent au secours des insurgés américains et délogent les Anglais qui, dans les décennies suivantes, redeviendront une puissance principalement indienne, c’est-à-dire axée sur la maîtrise de l’Océan Indien. A partir du développement de la flotte russe sous Catherine la Grande, la Russie devient une menace pour l’Inde et surtout pour la route maritime qui y mène. Quand le Tsar Paul I propose à Napoléon Bonaparte de marcher de conserve, à travers la steppe, vers l’Inde, source de la puissance anglaise, en bousculant la Perse, Londres focalise toute son attention sur le maintien de son hégémonie sur le sous-continent indien et met en sourdine son ancienne vocation atlantique. C’est le “Grand Jeu”, le “Great Game” disent les historiens anglo-saxons, qui oppose, d’une part, une thalassocratie maîtresse de l’Océan Indien et de la Méditerranée, avec un appendice atlantique, comprenant le Canada comme réserve de matières premières et quelques comptoirs africains sur la route des Indes avant le creusement du Canal de Suez, et, d’autre part, une puissance continentale, tellurique, qui avance lentement vers le Sud et reconquiert la steppe d’Asie centrale sur les peuples turcs qui l’avaient enlevée aux Yuezhi, Saces, Tokhariens et Sarmates. Du coup, la Russie des Tsars devient l’héritière et la vengeresse de ces grands peuples laminés par les invasions hunniques, turques et mongoles. La Russie des Tsars développe donc un eurasisme indo-européanisant et se heurte à une thalassocratie qui a hérité de la stratégie de contournement des Portugais de la fin du XV° et du début du XVI° siècle. Mais cette stratégie de contournement est nouvelle, n’a pas de précédent dans l’histoire, ne s’identifie ni à l’Europe continentale ni à une Romania, disparue mais hissée au rang d’idéal indépassable, ni à un catholicisme qui en exprimerait l’identité sous des oripeaux chrétiens (comme dans le discours d’Urbain II ou le texte de Guillaume de Malmesbury). Le choc de cette thalassocratie et du continentalisme russe va freiner, enrayer et empêcher le parachèvement plein et entier d’un eurasisme indo-européanisant.

 

L’affrontement entre l’Empire continental des Tsars et l’Empire maritime des Britanniques

 

L’affrontement entre la thalassocratie anglaise et le continentalisme russe débute dès les premières conquêtes de Nicolas I, qui règna de 1825 à 1855 et consolida les conquêtes d’Alexandre I dans le Caucase, tout en avançant profondément dans les steppes du Kazakhstan, entre 1846 et 1853. Nicolas I désenclave également la Mer Noire, en fait un lac russe: alarmée, l’Angleterre fait signer une convention internationale en 1841, interdisant le franchissement des détroits pour tout navire de guerre non turc. Elle avait soutenu le Sultan contre le Pacha d’Egypte, Mehmet Ali, appuyé par la France. En 1838, elle s’installe à Aden, position stratégique clef dans l’Océan Indien et à la sortie de la Mer Rouge. C’est le début d’une série de conquêtes territoriales, en réponse aux avancées russes dans le Kazakhstan actuel: sont ainsi absorbés dans l’Empire thalassocratique anglais, le Baloutchistan en 1876 et la Birmanie intérieure en 1886. Pour contrer les Russes au nord de l’Himalaya, une expédition est même lancée en direction du Tibet en 1903.

 

Dans ce contexte, la Guerre de Crimée (1853-1855), suivie du Traité de Paris (1856), revêt une importance toute particulière. L’Angleterre entraîne la France de Napoléon III et le Piémont-Sardaigne dans une guerre en Mer Noire pour soutenir l’Empire ottoman moribond que la Russie s’apprête à absorber. Les intellectuels russes, à la suite de cette guerre perdue, vont cultiver systématiquement une méfiance à l’égard de l’Occident, posé comme libéral, “dégénéré” et “sénescent”, sans pour autant abandonner, dans les cinq dernières décennies du XIX° leur eurasisme indo-européanisant: l’obsession du danger “mongol”, qualifié de “panmongoliste”, demeure intacte (6). L’Orient de ces intellectuels orthodoxes et slavophiles est russe et byzantin, les référents demeurent donc de matrice grecque-chrétienne et européenne. Dans ce contexte, Vladimir Soloviev prophétise une future nouvelle invasion “mongole” en 1894, à laquelle la Russie devra faire face sans pouvoir compter sur un Occident décadent, prêt à trahir son européanité. Neuf ans plus tard, la défaite russe de Tchouchima laisse entrevoir que cette prophétie était juste, du moins partiellement.

 

La thématique du “péril panmongol” dans la littérature russe

 

Gogol, dans deux récits fantastiques, “Le portrait” et “Une terrible vengeance”, aligne des personnages de traîtres, dont l’anti-héros Petromihali, qui infusent dans l’âme russe des  perversités asiatiques et les préparent ainsi à la soumission. Dostoïevski, dans “La légende de l’Antéchrist”, faire dire à son “Grand Inquisiteur” que le Christ, auquel la Russie doit s’identifier jusqu’à accepter le martyre, a eu tort de refuser une “monarchie universelle” à la Gengis Khan ou à la Tamerlan. Satan l’a proposée au Christ, et le “Grand Inquisiteur” qui est une incarnation du Malin sous le déguisement d’un dignitaire de l’Eglise du Fils de Dieu, reproche au Christ, revenu sur Terre et qu’il va juger, d’avoir refusé ce pouvoir absolu, séculier et non spirituel. La Russie doit donc refuser un pouvoir de type asiatique, rester fidèle à ses racines européennes et chrétiennes, c’est-à-dire à une liberté de l’âme, à une liberté intérieure qui se passe de l’Etat ou, du moins, ne le hisse pas au rang d’idole absolue car, sinon, l’humanité entière connaîtra le sort peu enviable de la “fourmilière rassassiée”. La liberté scythe et cosaque, en lutte contre les ténèbres asiatiques, doit prévaloir, se maintenir envers et contre tout, même si elle n’est plus qu’une petite flamme ténue. Plus tard, le “totalitarisme” communiste et les dangers impitoyables du “panmongolisme”, annoncés par Soloviev, fusionneront dans l’esprit de la dissidence, jusqu’à l’oeuvre de Soljénitsyne. Dimitri Merejkovski ira même plus loin: le monde “s’enchinoisera”, l’Europe sombrera dans la veulerie et la léthargie et le monde entier basculera dans un bourbier insondable de médiocrité. “L’enchinoisement”, craint par Merejkovski, peut certes s’interpéréter de multiples manières mais une chose est certaine: il implique un oubli dramatique de l’identité même de l’homme de qualité, en l’occurrence de l’homme russe et européen, oubli qui condamne l’humanité entière à une sortie hors de l’histoire et donc à une plongée dans l’insignifiance et la répétition stérile de modes de comportement figés et stéréotypés. En ce sens, la figure du “Chinois” est métaphorique, tout aussi métaphorique qu’elle le sera chez un Louis-Ferdinand Céline après 1945.

 

Jusqu’à la révolution bolchevique, l’eurasisme russe demeure indo-européanisant: il reste dans la logique de la reconquête de l’espace scythique-sarmate, “proto-iranien” dirait-on de nos jours. La Russie est revenue dans les immensités sibériennes et centre-asiatiques: ce n’est pas pour en être délogée comme en furent délogés les peuples cavaliers, à partir du déploiement de la puissance de la Confédération des Xiongnu. Toutefois cet anti-asiatisme, réel ou métaphorique, et cette volonté d’être européen sur un mode non plus repu, comme les Occidentaux, mais sur un mode énergique et héroïque, ne touche pas l’ensemble de la pensée stratégique russe: au lendemain de la Guerre de Crimée, où le Tsar Nicolas I avait délibérément voulu passer sur le corps de l’Empire Ottoman pour obtenir une “fenêtre” sur la Méditerranée, Konstantin Leontiev suggère une autre stratégie. Il vise une alliance anti-moderne des chrétiens orthodoxes et des musulmans contre le libéralisme et le démocratisme modernes, diffusés par les puissances occidentales. On ne déboulera pas sur les rives de  l’Egée par la violence, en allant soutenir des nationalismes balkaniques ou helléniques  entachés de modernisme occidental, mais en soutenant plutôt la Sublime Porte contre les subversions intérieures qui la minent, de façon à apaiser toutes les tensions  qui  pourraient survenir dans le vaste espace musulman et turcophone fraîchement conquis en Asie centrale et à obtenir des concessions portuaires et navales en Egée et en Méditerranée orientale, tout en annulant les contraintes des traîtés fomentés par l’Angleterre pour bloquer le passage des Détroits. Leontiev suggère dès lors une alliance entre Russes et Ottomans, qui constituerait un bloc de Tradition contre le modernisme occidental. Cette idée, conservatrice, est reprise aujourd’hui par les néo-eurasistes russes.

 

L’idée de Leontiev peut bien sûr se conjuguer à certaines visions de l’anti-mongolisme littéraire, surtout si elle vise, comme ennemi premier, le libéralisme et le positivisme occidentaux, pendants néo-kantiens de l’immobilisme “jaune”, qui engourdissent les âmes. Avec la révolution bolchevique et la rupture avec l’Occident qui s’ensuivit, l’anti-asiatisme va s’estomper et, comme la nouvelle URSS est de facto une synthèse d’Europe et d’Asie, on élaborera, dans un premier temps, “l’idée scythe”. Les “Scythes”, dans cette optique, sont les “Barbares de l’Ouest” dans l’espace russo-sibérien, tandis que les “Barbares de l’Est” sont les cavaliers turco-mongols. On ne spécule plus sur les différences raciales, posées comme fondamentales dans l’eurasisme indo-européanisant, mais sur les points communs de cette civilisation non urbanisée et non bourgeoise, qui abhorre la quiétude et portera l’incendie révolutionnaire dans le monde entier, en balayant toutes les sociétés vermoulues. Du “scythisme”, dont le référent est encore un peuple indo-européen, on passe rapidement à un idéal fusionniste slavo-turc voire slavo-mongol, qui unit dans une même idéologie fantasmagorique tous les peuples de l’URSS, qu’ils soient slaves-scythes ou turco-mongols.

 

Du scythisme des années 20 au néo-eurasisme actuel

 

Jusqu’à l’effondrement de l’Union Soviétique, l’élément slave et scythe reste implicitement dominant. Quand les républiques musulmanes centre-asiatiques de l’éphémère CEI obtiennent une indépendance pleine et entière, la Russie perd tous les glacis conquis par les Tsars de Catherine la Grande à Nicolas II. Le néo-eurasisme est une réaction face à la dislocation d’un bloc qui fut puissant: il cherche à rallier tous ceux qui en ont fait partie au nom d’une nouvelle idéologie partagée et à constituer ainsi un ersatz à l’internationalisme communiste défunt.

 

D’un point de vue eurasiste indo-européanisant, cette position peut se comprendre et s’accepter. Le néo-eurasisme refuse de voir se reconstituer, dans les steppes centre-asiatiques, un môle anti-russe, porté par un nouveau panmongolisme, un pantouranisme, un panislamisme ou une idéologie occidentaliste. L’eurasisme indo-européanisant, le “scythisme” des premières années du bolchevisme et le néo-eurasisme actuel, dont la version propagée par Alexandre Douguine (7) ont pour point commun essentiel de vouloir garder en une seule unité stratégique l’aire maximale d’expansion des peuples indo-européens, en dépit du fait qu’une portion majeure, stratégiquement primordiale, de cette aire soit occupée désormais par des peuples turcophones islamisés, dont le foyer originel se trouve sur le territoire de l’ancienne culture dite des “tombes à dalles” ou dans l’Altaï et dont la direction migratoire traditionnelle, et donc la cible de leurs attaques, porte dans l’autre sens, non plus d’ouest en est, mais d’est en ouest.

 

L’idéologie néo-eurasienne, avec sa volonté de consolider un bloc russo-asiatique, s’exprime essentiellement dans les stratégies élaborées par le Groupe de Changhaï et dans les réponses que celui-ci apporte aux actions américaines sur la masse continentale eurasienne.

 

L’expansion “bi-océanique” des Etats-Unis au XIX° siècle

 

Face à cet eurasisme, qui se conjugue en trois modes (indo-européanisant, scythique et russo-turco-mongol), qu’en est-il exactement de l’atlantisme, posé comme son adversaire essentiel sinon métaphysique? A l’aube du XIX° siècle, les “Treize colonies” américaines, qui ont fraîchement acquis leur indépendance face à l’Angleterre, ne possèdent pas encore un poids suffisant pour s’opposer  aux puissances européennes. Leur premier accroissement territorial vient de l’acquisition de la Louisiane, qui leur donne une plus grande profondeur territoriale sur le continent nord-américain. En Europe, l’effondrement du système napoléonien fait éclore, avec le Traité de Vienne de 1815, qui ménage la France redevenue royale, une “Sainte-Alliance” ou une “Pentarchie” qui est, ipso facto, eurasienne. La “Pentarchie”  s’étend, de fait, de l’Atlantique au Pacifique, puisque la Russie du Tsar Alexandre I en fait partie, en constitue même la masse territoriale la plus importante. On oublie trop souvent que l’Europe a été eurasienne et que l’eurasisme n’est pas une lubie nouvelle, imaginée par des intellectuels en mal d’innovation à la suite de la chute du Mur de Berlin et de la disparition du système soviétique. La Pentarchie, système unifiant l’Europe, n’a pas duré longtemps mais elle a existé et rendu notre sous-continent et la Russie-Sibérie inviolables et invincibles. Elle est par conséquent un modèle à imiter, une situation idéale à restaurer.

 

Face à ce bloc euro-pentarchique, en apparence inexpugnable, les Etats-Unis se sentent minorisés, craignent pour leur subsistance et, par une audace inouïe, leur Président, James Monroe proclame sa célèbre Doctrine en 1823 en imaginant, dans un premier temps, que le monde sera divisé en un “ancien monde” et un “nouveau monde”, dont il s’agira d’interdire l’accès à toutes les puissances de la Pentarchie et à l’Espagne, où elle était intervenue pour rétablir l’ordre (8). La proclamation de la Doctrine de Monroe est un premier grand défi au bloc pentarchique eurasiatique, avant même que les Etats-Unis ne soient devenus une puissance bi-océanique, à la fois atlantique et pacifique. Ils ne possèdent pas encore, en 1823, le Texas, le Nouveau-Mexique, la Californie et l’Alaska. En 1848, suite à la défaite du Mexique, ils deviennent bi-océaniques, ce qui revient à dire qu’ils ne sont pas exclusivement “atlantistes” mais constituent aussi une puissance intervenante dans les immensités du plus grand océan de la planète. Déjà, certains sénateurs envisagent de réorganiser la Chine pour qu’elle devienne le premier débouché des Etats-Unis et de leur industrie naissante. Le Commodore Matthew C. Perry, dès 1853-54, force, sous la menace, le Japon à s’ouvrir au commerce américain: première manifestation musclée d’une volonté claire et nette de dominer le Pacifique, contre les pays riverains du littoral asiatique de ce grand océan. Il faudra attendre la guerre hispano-américaine de 1898 pour que les Etats-Unis s’emparent d’un territoire insulaire face à l’Asie, en l’occurrence les Philippines, pour donner du poids à leurs revendications. Sous la présidence de Théodore (Teddy) Roosevelt, les Etats-Unis jettent les bases, non d’un atlantisme, mais d’un mondialisme offensif. L’instrument de cette politique mondialiste sera la flotte que l’Amiral Alfred Thayer Mahan appelle à constituer pour que les Etats-Unis puissent faire face, avec succès, au reste du monde. En 1912, Homer Lea, officier américain formé à Westpoint mais démis de ses fonctions pour raisons de santé, théorisera, immédiatement après John Halford Mackinder, les règles de l’endiguement de l’Allemagne et de la Russie, avant même que l’alliance anglo-américaine ne soit devenue une réalité.

 

Une thalassocratie pluri-océanique

 

Avec Teddy Roosevelt et avec Mackinder, nous avons affaire, dans la première décennie du XX° siècle à un mondialisme thalassocratique américain, maître depuis 1898 des Caraïbes et de la “Méditerranée américaine”, mais sans aucune présence dans l’Océan Indien, et à une thalassocratie britannique, présente dans l’Atlantique Nord, dans l’Atlantique Sud (où l’Argentine est un de ses débouchés), dans l’Océan Indien et dans le Pacifique Sud. La puissance découle des capacités des marines de guerre et des fameux “dreadnoughts”, mais elle est toujours au moins bi-océanique, sinon pluri-océanique. Les Centraux en 1918 et l’Axe en 1945 perdent la guerre parce qu’ils ne maîtrisent aucune mer, même pas la Méditerranée, la Mer du Nord et les zones chevauchant l’Atlantique Nord et l’Océan Glacial Arctique, puisque Malte, Gibraltar, Chypre et l’Egypte (avec Suez) resteront toujours aux mains des Britanniques et que le trafic maritime des “liberty ships”, en dépit des pertes infligées par les sous-marins allemands, ne sera jamais interrompu entre l’Amérique du Nord et le port soviétique de Mourmansk. La seconde guerre mondiale est une lutte entre, d’une part, les thalassocraties anglo-saxonnes maîtresses des océans et alliées à la puissance eurasiatique soviétique, et, d’autre part, une péninsule européenne riche mais dépourvue d’une réelle puissance navale, alliée à un archipel du Pacifique, surpeuplé et dépourvu de matières premières.

 

Le terme d’atlantisme apparaît lors des accords entre Churchill et Roosevelt, scellés au beau milieu de l’Océan en 1941. En 1945, l’Amérique du Nord et l’Europe occidentale forment un ensemble, qui deviendra l’OTAN, une alliance centrée sur l’Atlantique-Nord, que l’on qualifiera rapidement, dans les écrits polémiques, d’ “atlantisme”. Mais l’Atlantique, en tant qu’espace océanique, est-il si déterminant que cela dans les atouts, multiples et variés, qui confèrent aujourd’hui la puissance aux Etats-Unis? Non. Car, si la puissance de la Russie, des Tsars à la perestroïka, repose, comme l’avait constaté Mackinder en 1904, sur la possession de la “Terre du Milieu”, celle de l’Empire britannique reposait sur la maîtrise complète de l’ “Océan du  Milieu”, l’Océan Indien. En 1947, quand l’Inde accède à l’indépendance mais subit simultanément une partition dramatique, opposant une Inde nouvelle majoritairement hindoue à un Pakistan presque totalement musulman, l’Océan Indien, débarrassé de ses maîtres britanniques épuisés par deux guerres mondiales, entre dans une phase de neutralisation provisoire. Il est alors l’espace du non-alignement. L’Inde de Nehru, clef de voûte géographique de l’ancien arc de puissance britannique (du Cap à Perth), propage une logique politique détachée des blocs issus de la bipolarisation de la Guerre Froide. Dès les années 60, Mohammed Reza Pahlavi, Shah d’Iran, théorise l’idéal d’une “Grande Civilisation” dans l’Océan Indien, tout en multipliant les démarches diplomatiques pacifiantes avec ses voisins, y compris soviétiques. A Washington, on comprend rapidement que la Guerre Froide ne se gagnera pas en Europe, sur un front qui correspond au Rideau de Fer, mais qu’il faut endiguer l’URSS, en renouant avec la Chine, comme le fit le tandem Nixon-Kissinger au début des années 70; en tablant sur les peuples installés le long de la Route de la Soie et en éveillant les forces centrifuges au sein même de l’Union Soviétique, comme l’envisageait Zbigniew Brzezinski; en entraînant l’URSS dans le bourbier afghan; en tablant sur le fanatisme musulman pour lutter contre l’athéisme communiste et pour briser l’alternative locale proposée par le Shah d’Iran, car, en dépit des affrontements irano-américains largement médiatisés depuis la prise d’otages à l’ambassade américaine de Téhéran au début de l’ère khomeyniste, il ne faut pas oublier que la “révolution islamiste” d’Iran a d’abord été une création des services américains, pour briser la politique énergétique du Shah, casser les relations qu’il entretenait avec l’Europe et mettre l’Iran et ses potentialités au “frigo”, le plus longtemps possible. Ces stratégies avaient toutes pour but de revenir dans l’Océan Indien et dans le Golfe Persique. Elles ont contribué à la reconquête de l’Océan Indien et fait des Etats-Unis une puissance désormais tri-océanique.

 

La maîtrise de l’Océan Indien reste la clef de la puissance mondiale

 

La dialectique atlantisme/eurasisme, dont les néo-eurasiens russes actuels font usage dans leurs polémiques anti-américaines, oublie que l’Amérique ne tient pas sa puissance aujourd’hui de sa maîtrise de l’Atlantique, océan pacifié où ne se joue pas l’histoire qui est en train de se faire, mais de son retour offensif dans l’Océan du Milieu. L’abus du vocable “atlantiste” risque de provoquer une sorte d’illusion d’optique et de faire oublier que ce n’est pas la maîtrise des Açores, petit archipel portugais au centre de l’Atlantique, qui a provoqué la désagrégation de l’URSS, puissance eurasienne, mais la maîtrise de Diego Garcia, île au centre de l’Océan Indien, d’où partaient les forteresses volantes qui bombardaient l’Afghanistan et l’Irak. C’est au départ des forces aéronavales massées à Diego Garcia qu’adviendra peut-être le “Greater Middle East”. Si c’est le cas, l’Europe et la Russie seront condamnées à l’isolement, à n’avoir aucune fenêtre sur les espaces où s’est toujours joué, et se joue encore, le destin du monde. 

 

Certes, l’atlantisme est, pour les Européens, une idéologie engourdissante, aussi engourdissante, sinon plus, que “l’enchinoisement”, réel ou métaphorique, dénoncé par Soloviev ou Merejkovski: Danilevski, lui, parlait de l’Occident comme d’un cimetière pour les plus sublimes vertus spirituelles humaines et l’écrivain russe provocateur et contemporain, Edouard Limonov, parle, lui, d’un “Grand Hospice occidental”. Mais ce n’est pas là un problème géopolitique, c’est un problème théologique, métaphysique, philosophique et éthique. Qu’il convient d’aborder avec force et élan. Pour dégager l’humanité des torpeurs et des enlisements du consumérisme.

 

Robert STEUCKERS.

(fait à Forest-Flotzenberg, du 11 au 15 février 2009).

 

Notes:

(1)       Cf. Colin McEVEDY, “The New Penguin Atlas of Ancient History”, Penguin, London, 2nd ed., 2002.

(2)       Cf. Jacques BERTIN, “Atlas historique universel – Panorama de l’histoire du monde”, Minerva, Genève, 1997.

(3)       Robert DELORT (Éd.), “Les croisades”, Seuil, coll. “Points”, 1988.

(4)       Vicente FERNANDEZ & Dionisio A. CUETO, “Los perros de la Reina – Piratas ingleses contra España (s. XVI)”, Almena Ed., Madrid, 2003.

(5)       Frances A. YATES, “Cabbala e occultismo nell’età elisabettiana”, Einaudi, Torino, 1982.

(6)       Cf. Georges NIVAT, “Vers la fin du mythe russe – Essais sur la culture russe de Gogol à nos jours”, Lausanne, L’Age d’Homme, 1988.

(7)       Cf. Mark J. SEDGWICK, “Contre le monde moderne – Le traditionalisme et l’histoire intellectuelle secrète du XX° siècle”, Ed. Dervy, Paris, 2008.

(8)       Dexter PERKINS, “Storia della Dottrina di Monroe”, Societa Editrice Il Mulino, Bologne, 1960.

 

samedi, 14 mars 2009

Kirguistan : epicentro de intereses geopoliticos en Asia central

Kirguistán: epicentro de intereses geopolíticos en Asia central

La decisión de Kirguistán de cerrar la base militar de Manas para Estados Unidos y la OTAN en sus operaciones intervencionistas en Afganistán sitúa hoy a ese país en el centro de la geopolítica en Asia central.

El enclave aéreo que ocupa un aérea de 224 hectáreas en las afueras de Bishkek, dejará de ser en los próximos 180 días un puente para el trasiego de tropas del Pentágono y de la coalición occidental que apoya a Washington hacia suelo afgano, de cumplirse una resolución del gobierno kirguiz, aprobada por el parlamento.

La comunidad parlamentaria, con respaldo mayoritario del gobernante partido Ak Zhol del presidente Kurmanbek Bakíev, dio el visto bueno el 19 de febrero a un proyecto del Ejecutivo para anular el pacto bilateral con el gobierno estadounidense, rubricado en diciembre de 2001.


Con igual apoyo el legislativo adoptó el pasado viernes la propuesta oficial para dejar sin efecto legal los respectivos convenios con 11 países de la OTAN.

Tras firmar un pacto base con Estados Unidos, el gobierno kirguiz extendió por separado las prerrogativas para el emplazamiento de tropas de Australia, Dinamarca, España, Corea del Sur, Holanda, Noruega, Nueva Zelanda, Polonia, Francia y Turquía, cuyos gobiernos se sumaron al Pentágono en la cruzada contra Afganistán.

Para dejar claridad en la posición de Kirguistán, Bakíev declaró recientemente a la corporación británica BBC que la decisión de cerrar la base de Manas era irreversible, aunque dio pie a pensar en posibles negociaciones con Washington.

De hecho, varios funcionarios del gobierno estadounidenses mostraron confianza en que hallarán una solución con Bishkek.

Tanto es así que el vocero del Pentágono Geoff Morrell declaró que aún quedaba mucho tiempo para cerrar Manas o encontrar una base sustituta. Con formulaciones repetidas, Morrell también admitió que la Casa Blanca estudiaba otras variantes de rutas para el traslado de tropas y avituallamiento logístico.

Al parecer la administración norteamericana no quiere admitir públicamente el revés implícito en la pérdida de Manas para los intereses geopolíticos y militares del Pentágono en Asia central. La embajadora de la norteña nación en Tayikistán, Treisi Enn Jackobson, se apresuró a aclarar que no existen planes en la cúpula castrense de abrir otra base militar en la región.

No he oído una sola palabra de quienes trabajan en el Pentágono sobre las intensiones de crear en Asia central otro enclave alternativo, dijo al periódico tayiko Acontecimientos.

Sí se conoce que desde fines del pasado año la diplomacia norteamericana trabaja con intensidad para sellar acuerdos con Rusia, Uzbekistán, Tayikistán y Kazajstán para la transportación de cargamentos civiles hacia Afganistán, según la publicación digital uzbeka Fergana.ru.

El jefe del Estado Mayor ruso, Nikolai Makarov, aseveró en diciembre que el gobierno saliente de George W. Bush se estaba jugando las últimas cartas en Asia central con sus presiones sobre Tashkent y Astaná, para garantizar las rutas de suministro a las fuerzas de ocupación.

Según notificó el cotidiano ruso Kommersant a mediados de diciembre, las pláticas de misioneros estadounidenses en Asia central corroboran que existen tales planes. Dos meses después el parlamento kazajo aprobó un memorando que permite el acceso al aeropuerto de Almaty para el aterrizaje de emergencia de aviones del Pentágono.

El director del centro analítico sobre estudios de procesos en el espacio postsoviético de la Universidad Estatal Lomonosov, de Moscú, Alexei Vlasov, sostuvo durante una mesa redonda que la crisis económica actual ha puesto a los socios de Rusia en esa región al borde de la cesación de pagos (default).

Para Kirguistán, uno de los aliados claves de Moscú en Asia central, la situación es hoy bastante crítica y no se descartan presiones de todo tipo sobre Bishkek, afirma el politólogo ruso, en alusión a decisiones de carácter geopolítico.

Vlasov aludió que no son pocos los analistas que asocian la postura del gobierno kirguiz respecto a la clausura de Manas con el ofrecimiento de un crédito ruso de 300 millones de dólares y posibles inversiones en ese país calculadas en mil 700 millones de dólares.

Unido a ello, el presidente Bakíev firmó en febrero un convenio con Moscú sobre la concesión de 150 millones de dólares en calidad de donativos y un esquema concertado de reestructuración de la deuda con Rusia.

Con todo ello Kirguistán es pieza clave dentro del tablero geopolítico centro- asiático de Estados Unidos, cuya prioridad sigue siendo obtener el control de los recursos naturales, con el ojo en los hidrocarburos en el Mar Caspio, del antiguo camino de la seda.

Odalys Buscarón Ochoa

Extraído de Prensa Latina.

jeudi, 12 mars 2009

Golfe: la Pax Americana contre l'Europe et le Japon

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ARCHIVES DE SYNERGIES EUROPEENNES - 1995

 

Golfe: la pax americana contre l'Europe et le Japon

Entretien avec Stefano Chiarini

 

Stefano Chiarini, envoyé spécial au Moyen-Orient du journal Il Manifesto, est aussi le directeur des Editions Gamberetti qui, depuis trois ans, se sont spécialisées dans les thématiques de politique interna­tionale, en s'intéressant plus particulièrement à la problématique Nord/Sud, à la question palestinienne et aux minorités ethniques en Europe. Parmi les titres les plus significatifs parus dans leurs collections “Orienti” et “Equatori”, signalons "Amicizie pericolose" d'Andrew et Leslie Cockburn, sur les rapports entre la CIA et le Mossad, "Anno 501, la conquista continua" de Noam Chomsky et l'anthologie de récits "Strade di Belfast", dû à la plume du leader du Sinn Fein, Gerry Adams.

 

Q.: Quand sont nées les Editions Gamberetti?

 

SC: En gros, après la Guerre du Golfe. J'y avais été envoyé spécial. Revenu en Italie, j'ai participé à de nombreux débats sur la question et je me suis aperçu combien la réalité des faits avait été manipulée. Les mass media, le télévision en tête, mais aussi les quotidiens et les revues, nous ont donné une image complètement distordue de ce conflit. Nous avons donc voulu répondre à une exigence intellectuelle: ap­profondir le sujet et fournir une documentation adéquate sur ces événements en particulier et, de façon plus générale, sur tout ce qui se passe sur la scène moyen-orientale.

 

Q.: Que s'est-il passé réellement à Bagdad en 1991?

 

SC: On a surtout pu constater les premiers effets de la disparition de l'URSS. Quand l'Union Soviétique était là, et qu'elle était forte, les Américains n'auraient jamais osé entreprendre ce qu'ils ont entrepris. Autre aspect à prendre en considération: la guerre du Golfe a davantage été une guerre contre l'Europe et le Japon que contre l'Irak; cette guerre a été menée par l'Amérique pour qu'elle puisse contrôler directe­ment les sources d'approvisionnement énergétique. Les Etats-Unis n'ont plus agi par l'intermédiaire d'Israël. Leur rôle dans la région où se trouvent les principales sources de pétrole de la planète est apparu en pleine lumière. Depuis lors leur mainmise sur la région est allée en s'accélérant. Enfin, pour imposer la pax americana entre Israël et les Palestiniens, les Etats-Unis devaient nécessairement “redimensionner” l'unique pays encore en mesure de leur provoquer des problèmes dans la région, c'est-à-dire l'Irak, riche en pétrole, disposant d'une armée capable d'intimider ses adversaires potentiels, présentant une cohé­rence interne assez satsifaisante. Le pétrole doit donc rester aux mains des émirats et des cheiks, de tous les pays possédant des régimes de ce type, forts sur le plan économique mais faibles sur le plan mili­taire. L'Irak était l'unique pays arabe qui avait et de l'eau et du pétrole, une population assez nombreuse, un bon niveau technologique et une armée relativement solide. En puissance, c'était le pays le plus indé­pendant et le moins facile à faire chanter de toute la zone.

 

Q.: Et l'Iran?

 

SC: Je ne me réfère qu'aux seuls pays arabes. L'Iran avait été détruit préalablement par l'Irak, manifes­tement sur ordre des Américains eux-mêmes. Dont la duplicité comportementale est désormais évidente. La diplomatie américaine est prête dorénavant à détruire ou à aider les intégrismes au gré de ses conve­nances. N'oublions pas que l'Arabie Saoudite est nettement plus intégriste que l'Iran, tout en entretenant des rapports optimaux avec les Etats-Unis, au point d'être son meilleur allié dans la région.

 

Q.: Il me semble que les éditions Gamberetti ont évité jusqu'ici d'aborder le problème “islamique”, et se sont concentrées exclusivement sur les pays et les mouvements “laïques”...

 

SC: Nous nous sommes préoccupés par exemple de la question palestinienne qui est en quelque sorte la clef de voûte de la région. D'après moi, le problème n'est pas tant celui de l'intégrisme, car, comme on le voit, les Etats-Unis tentent de se rapprocher de l'Arabie Saoudite, mais bien plutôt celui de la distribution des ressources. Le thème des mouvements islamiques est certes un thème fort important, mais ne cons­titue nullement le nœud gordien du Moyen-Orient. Le nœud du problème est celui de l'accès aux plus im­portantes sources énergétiques de la planète et de la distribution des ressources. Les Etats-Unis sont tout prêts à s'allier avec ceux, intégristes ou laïcs, qui leur consentiront l'accès et le contrôle du pétrole; et sont prêts à annihiler militairement et politiquement ceux qui tenteraient de leur barrer la route.

 

(propos recueillis par Pietro Negri, pour le magazine romain Pagine Libere, n°2/1995).

mercredi, 11 mars 2009

Turkey is not Europe

 

TURKEY IS NOT EUROPE
by Robert Edwards

Many mainstream politicians throughout Europe hold very serious reservations concerning the Turkish application to become a member state of the European Union and so it is vital that a serious debate is stimulated now without any fear or favour to partisan thinking.
Has the EU lost all sense of the true historical meaning of being European or has it become a willing tool of a bankers’ racket tied to the globalist monoculture? We believe that in order to be a true European, it is necessary to feel as such. That is to say, our identity must be one based on an ancestral kinship, with each of us aware of being an unbroken link in the eternal chain of European history. This aspect of Europeanism is not being promoted by the bureaucrats and time-servers of the EU ... and this is where we differ profoundly and fundamentally. So all the old claptrap concerning “racism” and all sorts of imagined phobias are trotted out to prevent opposition to this proposed anomaly within the EU, that Turkey should somehow become part of Europe.
Before anyone thinks I am going to go on about a “clash of civilisations” or the “evils of Islam”, this question of the meaning of being European is not so much about what we are against or what threatens us, as is the way of some nationalistic people, but it is more a question of what we embrace, love and hold dear. Let us make that clear from the very beginning. Our political creed is a purely positive Europeanism that regards all other cultures and religious systems as equally valid in their own right. There is no place for supremacism in our political outlook.
We regard the Islamic world as the natural ally to our Europe a Nation ... more so than the United States could ever be, which has been rampaging around the world trying to recruit all and sundry into its apocalyptic mission to “democratise” the world in the interests of the prices at the petrol pumps at home.
If anything, it is the resistance to the global American culture that will assist to define a European of the future and if there is a clash of cultures it is between our Europe and the distinctly alien values of American super-capitalism with its total disregard for human values where money is concerned. As result, we are in danger of going down that same road as Europe adopts the principle that everything has its price and where nothing has any real value. As true National Europeans we stand opposed to these alien values.
To the East, stands a world of very many other values and we do not oppose them simply because they are of another world other than that of Europe. They have existed throughout the entire history of Europe, from those earliest stirrings of classic Greece to the present day.
When Islam emerged, it spread across the north of Africa and into Spain ... at the same time reaching India and China. Its impact on Spain was far from malevolent and the rest of Europe would have been the poorer if it had not benefited from the mass of science, mathematics, medicine, philosophy and much more that the Arab Empire bestowed on Europe in the Dark Ages and long after. That has to be said in order to maintain a sense of proportion. Much of classic Greek learning would have been lost without the intervention of Islam.
The world of Islam has been in a state of flux and turmoil for many centuries, always very close and near to Europe, so that each eruption and upheaval has never failed to leave its impact upon us. This relationship with Europe goes back to the time of the creation of Andalusia in Spain lasting centuries with the eternal vigilance of a Europe fearful of the further encroachment of Islam upon our continent. The Christian church had its interests to preserve, of course, and its contribution to science was occasionally one of obstruction and proscription ... Galileo springing to mind.
Turkey is one of the nearest nations to Europe with an overwhelmingly Muslim population and was one of the largest expressions of modern Islamic imperialism in the form of the Ottoman Empire. The Ottoman Empire was never regarded as European even though Hungary and Serbia were once vassal states ... European states that were eventually liberated.
In the 1930s, Kemal Ataturk attempted a Westernisation of Turkey, dragging her into the Twentieth Century, adopting the Roman script, banning the fez, adopting Western standards of dress for both men and women and constructing the secular state.
Yet, with all that, it remains Asiatic and essentially so. It never pretended to be European ... until the European Union of the bankers and the globalists suggested that Europe was nothing more than a money market and an economic orbital planet around the sphere of global capitalism.
To these capitalists, there is no Europe as an identifiable cultural entity with a people inextricably linked to history through ancestry and blood. To them, it is a trade name for a bankers’ racket that neither desires nor will permit such a thing as a national consciousness and therefore an awareness of what these parasites are doing.
Turkey is slowly being invited into our continent at the expense of our very identity and by that very act it is denying that Europe, as we know and love it, ever existed.
On the more mundane level, it leaves open the question of why Israel or even Canada should be participants in the Eurovision Song Contest ... and why no one has the guts to challenge these plainly absurd anomalies.
At least there are some voices of protest within mainstream European politics but, I fear, not enough. That is the reason the process of Turkish entry has been slowed down rather than being terminated altogether, as it should have been.
Just as Europe a Nation should be created as a federation of existing nation-states within Europe, with Britain playing a leading role, then so should Turkey be a leading player in a Central Asian federation of existing nation-states within that region. That would very easily solve the problem of the proposed current anomaly. Such federations would be allied to Europe but not submerged into it.
We in European Action have always maintained the principle that national consciousness is the first consideration in politics and that this national consciousness entails placing the greatest value on our own people regardless of class, party allegiance or religious faith.
All we ask is that the people of Europe recognise this sense of communion and embrace it in the fullest meaning of European brotherhood. Because it is only solidarity in action that can guarantee our survival, acting together in common interest.
This does not mean antagonism towards people outside Europe, as with a siege mentality ever suspicious of the movements of others. Once America is forced back within its own borders then the rest of the world can be organised on the similar lines to Europe a Nation ... large, self-sufficient economies composed of similar peoples, totally free of the caprice of free-for-all international trading and able to organise the creation and growth of wealth within its own economic sphere without outside interference. These large federations would replace the United Nations and make the World Bank and the International Monetary Fund totally redundant. The “global economy” would be a thing of the past.
Therefore, our opposition to Turkish entry into Europe is not one based on aggressive antagonism towards a different culture or even a religion. It is simply a matter of defining Europe and placing all these questions into their proper context.
Turkey does not belong here ... it belongs elsewhere. That is the essence of what it means to be European and what it means to be Turkish. Our place in the world must be determined by that very sense of kinship that connects us to history, culture and the sacred soil of our ancestors, made red with the blood of its defenders and made fertile by the creative energy of the European.
Europe is not at war with Islam. It is America that embarked on this insane “crusade” for its own selfish interests and by so doing embroiled Britain and other countries in a “war against terrorism” that positively reeks of Zionist manipulation.
It follows that Europe should be a power unto itself with all the conditions that go with a major force in the world, Such a power bloc shall determine its own foreign policy and world agenda, totally independent of the Neo-cons in Washington and the predatory manoeuvring of the World Bank, whose president was once a principal player in White House war games.
When Europe stretches out the hand of friendship to the Islamic world, it will be a gesture of mutual respect and understanding ... knowing that we have different roots to preserve and nurture but, also, to accept a responsibility to world peace.

mardi, 10 mars 2009

Un nouvel écrit libre dirigé par A. Chauprade

Un nouvel écrit libre dirigé par Aymeric Chauprade

 

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vendredi, 20 février 2009

Lev Nikolaevic Gumilëv

Martino Conserva / Vadim Levant, Lev Nikolaevic Gumilëv, pp. 83.

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Quarto titolo della collana “Quaderni di Geopolitica”, quest’opera differisce dalle precedenti perché non è la pubblicazione commentata d’un testo inedito, bensì una biografia. Anche la scelta del soggetto, a prima vista, potrebbe apparire insolita per l’argomento della collana; ma ciò, appunto, solo a prima vista, a quanti volessero ridurre la geopolitica ad una pura analisi contingente dei rapporti internazionali. Tale, evidentemente, non è l’opinione degli Autori: Vadim Levant e Martino Conserva. Quest’ultimo è un economista milanese, già specialista d’analisi di rischio paese e dei mercati finanziari internazionali presso una delle maggiori banche italiane, ancora oggi collaboratore di riviste finanziarie, ma appassionato di arte, filosofia e storia.

Egli risiede, con la famiglia, a San Pietroburgo, dove, quando ancora si chiamava Leningrado, Vadim Ridovic Levant ha condotto i suoi studi storici. Per una curiosa inversione di tendenze, se l’economista Conserva ha finito con lo scrivere di storia e filosofia, lo storico Levant è oggi dirigente d’una società russo-cinese! Dicevamo, dunque, che i due Autori non hanno questa visione riduttiva della geopolitica, ma la estendono anche all’indagine storica della vicenda umana relazionata all’ambiente. Tale è senz’altro il caso di Lev Nikolaevic Gumilëv, celeberrimo storico, filosofo e geografo russo. Una piccola parte della propria notorietà, egli la dovette all’uomo e alla donna che lo generarono nel 1912, i poeti Nikolaj Stepanovic Gumilëv e Anna Andreevna Achmatova. Purtroppo per lui, in vita questi nobili natali finirono col perseguitarlo: dalla fucilazione del padre nel 1921, il nuovo corso bolscevico fu per il giovane Gumilëv un vero e proprio incubo. Dal 1935 iniziò a fare avanti e indietro dalle carceri ai lavori forzati (in totale, tra prigionia, campi di lavoro e confino, 13 anni di segregazione), sempre per delazioni che il più delle volte la stessa giustizia sovietica avrebbe poi riconosciute come infondate. Ma, riabilitazione o no, resta il fatto che il pur geniale Gumilëv riuscì a laurearsi solo a 36 anni, non ottenne mai la carica di professore universitario e poté tenere i propri corsi di “studio dei popoli” solo in maniera informale, semiclandestina. Fondatore della scuola etnologica russa, elaboratore di teorie originalissime, Lev Nikolaevic rimase sempre un intellettuale isolato perché troppo indipendente, spesso e volentieri attaccato dalla intelligencija ufficiale. Basti per tutti l’aneddoto, nello stesso tempo divertente e tragico, riportato da Levant e Conserva. Nel 1974 Gumilëv, che già s’era imposto all’attenzione per diverse pubblicazioni, decise di conseguire il dottorato in geografia, siccome, essendo nell’organico di quella facoltà ma laureato in storia, rischiava d’esserne espulso col pretesto che non era “specialista”. La sua dissertazione di dottorato, L’etnogenesi e la biosfera della terra (fulcro dell’omonimo capolavoro che avrebbe pubblicato in seguito), fu riconosciuta dagli stessi esaminatori come un’opera d’altissimo profilo, ma, proprio per questo, ritenuta «superiore al livello di una elaborazione di dottorato e, pertanto, non una tesi di dottorato»; come dire: bocciato perché troppo bravo! Eppure lo studioso, che nel frattempo cominciava già a mietere riconoscimenti all’estero, rifiutò sempre di fuggire e di lasciare il paese che, nonostante tutti i torti e i soprusi arbitrariamente inflittigli, amava intensamente. Tanto più dolorosa dovette apparirgli, allora, la campagna denigratoria condotta negli anni ‘80 contro di lui da sedicenti “patrioti”, in realtà vetero-nazionalisti con sfumature xenofobe, che l’accusavano d’essere un nemico della Russia. Nel frattempo, proseguiva contro di lui l’ostracismo degli accademici, e nel 1981 gli fu anzi vietato di pubblicare alcunché. Gumilëv accolse con scetticismo anche la perestrojka, e fu proprio Juri Afanas’ev, uno dei suoi teorici, a condurre l’ultimo grande attacco contro il pensiero dello storico e geografo. Lev Nikolaevic giunse vecchio e malato alla caduta della “cortina di ferro”: innumerevoli inviti gli giungevano dall’estero, ma le sue condizioni di salute, e non più il regime, gl’impedivano ora di muoversi. Per lo meno, dal 1992 la Russia cominciò a tributare a Gumilëv i sacrosanti onori che meritava: successi editoriali per i suoi libri, inviti a dibattiti televisivi e radiofonici, lezioni pubbliche delle sue teorie. Ma l’anziano studioso, amareggiato dal tragico crollo di quella patria che, come Socrate, aveva amata benché gli fosse stata carnefice, riuscì solo ad assaggiare la tanto sospirata popolarità, perché proprio nel 1992 terminò la sua esistenza terrena. I concittadini pietroburghesi parteciparono commossi e in massa ai funerali, accompagnando la bara fino alla tumulazione nel Monastero Aleksandr Nevskij, dove riposa anche il celebre eroe eponimo. In Italia una sola opera di Gumilëv è stata finora pubblicata: Gli Unni, dalla Einaudi nel 1972. L’aspetto del suo pensiero che interessa più gli Autori, e che viene analizzato nella seconda parte dell’opera, è invece la teoria dell’etnogenesi. In estrema sintesi (chi leggerà l’opera potrà avere maggiori e più esatti particolari), Gumilëv vedeva i popoli come organismi collettivi viventi, i quali attraversano diverse fasi di crescita e caduta, regolate dall’elemento della passionarietà (ch’è sentimento sia individuale sia collettivo), ossia «l‘aspirazione ad agire, senza alcuno scopo evidente, o in base a scopi illusori», incontrollabile e inevitabile. Non poteva mancare, inoltre, un capitolo su Gumilëv e la geopolitica. A differenza degli studiosi già presi in esame dai “Quaderni di Geopolitica” (Haushofer e Von Leers), Gumilëv si guardò sempre bene dall’elaborare tesi propriamente geopolitiche (un po’ perché non gli interessava, un po’ perché aveva già problemi a sufficienza con le autorità sovietiche). Tuttavia, i suoi studi sono stati fondamentali per la nascita della contemporanea scuola geopolitica russa. Innanzitutto, Gumilëv con le sue opere ha rivalutato senza mezzi termini i popoli orientali e il loro apporto alla nascita della Russia: non a caso l’Università Nazionale Eurasiatica di Astana (capitale del Kazakistan) è stata intitolata proprio a lui. Ne consegue, inoltre, ch’egli ha svuotato il patriottismo russo delle possibilità d’una deriva xenofoba e piccolo-nazionalistica, riconoscendo il carattere multietnico e le molteplici radici culturali della Russia - o, per altri versi, l’unità indissolubile dell’Eurasia, quell’Eurasia che era già da decenni al centro dell’elaborazione geopolitica anglosassone e che ora, finalmente, veniva riconosciuta nella sua unità d’insieme anche a Mosca. Notano gli Autori come la concezione gumilëviana dell’Eurasia quale unione tra “Foresta” (gli Slavi) e “Steppa” (i nomadi turanici) ricalchi esattamente il tema di Halford Mackinder della Russia quale grande nemica degli Anglosassoni, in quanto riunificatrice delle forze del “Cuore della Terra” (Heartland). Lev Nikolaevic fu anche definito “l’ultimo eurasiatista”, ed egli accettò di buon grado questo titolo. Ci piace allora concludere con una frase dello stesso Gumilëv (non prima di segnalare che l’opera comprende anche un Glossario dei concetti e dei termini e una Bibliografia scientifica, un esplicito invito all‘approfondimento rivolto al lettore): «Tesi eurasiatista: occorre cercare non tanto nemici - ce ne sono tanti! - quanto amici, questo è il supremo valore nella vita». Un insegnamento di Gumilëv che meriterebbe davvero d’essere appreso e fatto proprio da tutti. Daniele Scalea ("Eurasia. Rivista di Studi Geopolitici", 1/2006)

El viento divino o la muerte voluntaria

 

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EL VIENTO DIVINO O LA MUERTE VOLUNTARIA

ISIDRO JUAN PALACIOS

Nuestra sombría discusión fue interrumpida por la llegada de un automóvil negro que venía por la carretera, rodeado de las primeras sombras del crepúsculo".

Rikihei Inoguchi, oficial del estado mayor y asesor del grupo Aéreo 201 japonés, charlaba con el comandante Tamai sobre el giro adverso que había tomado la guerra. Aquel día, 19 de octubre de 1944, había brillado el Sol en Malacabat, un pequeño pueblo de la isla de Luzón, en unas Filipinas todavía ocupadas por los ejércitos de Su Majestad Imperial, Hiro-Hito. "Pronto -recuerda Inoguchi- reconocimos en el interior del coche al almirante Takijiro Ohnishi..." Era el nuevo comandante de la fuerzas aeronavales japonesas en aquel archipiélago. "He venido aquí -dijo Ohnishi- para discutir con ustedes algo de suma importancia. ¿Podemos ir al Cuartel General?"

El almirante, antes de comenzar a hablar, miró en silencio al rostro de los seis oficiales que se habían sentado alrededor de la mesa. "Como ustedes saben, la situación de la guerra es muy grave. La aparición de la escuadra americana en el Golfo de Leyte ha sido confirmada (...) Para frenarla -continuó Ohnishi- debemos alcanzar a los portaviones enemigos y mantenerlos neutralizados durante al menos una semana". Sin una mueca, sentados con la espalda recta, los militares de las fuerzas combinandas seguían el curso de las palabras del almirante. Y entones vino la sorpresa.

"En mi opinión, sólo hay una manera de asegurar la máxima eficiencia de nuestras escasas fuerzas: organizar unidades de ataque suicidas compuestas por cazas Zero armados con bombas de 250 kilogramos. Cada avión tendría que lanzarse en picado contra un portaviones enemigo... Espero su opinión al respecto".

Tamai tuvo que tomar la decisión. Fue así como el Grupo Aéreo 201 de las Filipinas se puso al frente de todo un contingente de pilotos que enseguida le seguirían, extendiéndose el gesto de Manila a las Marianas, de Borneo a Formosa, de Okinawa al resto de las islas del Imperio del Sol Naciente, el Dai Nippon, sin detenerse hasta el día de la rendición.

Tras celebrar una reunión con todos los jefes de escuadrilla, Tamai habló al resto de los hombres del Grupo Aéreo 201; veintitrés brazos jóvenes, adolescentes, "se alzaron al unísono anunciando un total acuerdo en un frenesí de emoción y de alegría". Eran los primeros de la muerte voluntaria. Pero, ¿quién les mandaría e iría con ellos a la cabeza, por el cielo, y caer sobre los objetivos en el mar? El teniente Yukio Seki, el más destacado, se ofreció al comandante Tamai para reclamar el honor. Aquel grupo inicial se dividiría en cuatro secciones bautizadas con nombres evocadores: "Shikishima" (apelación poética del Japón), "Yamato" (antigua designación del país), "Asahi" (Sol naciente) y "Yamazukura" (cerezo en flor de las montañas).

Configurado de este modo el Cuerpo de Ataque Especial, sólo restaba buscarle una identidad también muy especial, como indicó oportunamente Inoguchi; y fue así como se bautizó a la "Unidad Shimpu". Shimpu, una palabra repleta de la filosofía del Zen. En realidad no tiene ningún sentido, es una mera onomatopeya, pero es otra de las formas de leer los ideogramas que forman la palabra KAMIKAZE, "Viento de los Dioses".

"Está bien -asintió Tamai-. Después de todo, tenemos que poner en acción un Kamikaze". El comandante Tamai dio el nombre a las unidades suicidas japonesas, llamando a sus componentes los "pilotos del Viento Divino".

La escuadrilla Shikishima, al frente de la cual se hallaba el teniente Seki, salió, para ya no regresar, el 25 de octubre de 1944, desde Malacabat, a las siete y veinticinco de la mañana. Sobre las once del día, los cinco aparatos destinados divisaron al enemigo en las aguas de las Filipinas. El primero en entrar en picado y romperse súbitamente, como un cristal, fue el teniente Seki, seguido de otro kamikaze a corta distancia, hundiendo el portaviones "St.Lo", de la armada norteamericana. Ante los ojos incrédulos de los yanquis, los restantes tres pilotos se lanzaron a toda velocidad en su último vuelo, a 325 kilómetros por hora en un ángulo de 65 grados, hundiendo el portaviones "Kalinin Bay" y dejando fuera de combate los destructores "Kitkun" y "White Plains". Siguiendo su ejemplo, la unidad Yamato emprendió vuelo un día después, el 26 de octubre, al encuentro certero con la muerte, después de brindar con sake y entonar una canción guerrera por aquel entonces muy popular entre los soldados:

"Si voy al mar, volveré cadáver sobre las olas.

Si mi deber me llama a las montañas,

la hierba verde será mi mortaja .

Por mi emperador no quiero morir en la paz del hogar".

Tras el primer asombro, un soplo gélido de terror sacudió las almas del enemigo, los soldados de la Tierra del Dólar.

Lo asombroso del Cuerpo Kamikaze de Ataque Especial no fue su novedad, ni siquiera durante la Segunda Guerra Mundial. Fue su especial espíritu y sus numerosísimos voluntarios lo que les distinguió de otras actitudes heroicas semejantes, de igual o superior valor. La invocación del nombre del Kamikaze despertaba en los japoneses la vieja alma del Shinto, los milenarios mitos inmortales anclados en la suprahistoria, y recordaba que cada hombre podía convertirse en un "Kami", un dios viviente, por la asunción enérgica de la muerte voluntaria como sacrificio, y alcanzar así la "vida que es más que la vida".

De hecho, la táctica del bombardeo suicida ("tai-atari") ya había sido utilizada por las escuadrillas navales en sus combates de impacto aéreo contra los grandes bombarderos norteamericanos. Pero aisladamente. Asímismo, otros casos singulares de enorme heroísmo encarando una muerte segura tuvieron lugar durante esa guerra. Yukio Mishima, en sus "Lecciones espirituales para los jóvenes samurai", nos narra una anécdota entre un millón que, por su particular belleza, merece ser aquí recordada. Y dice de este modo: "Se ha contado que durante la guerra uno de nuestros submarinos emergió frente a la costa australiana y se arrojó contra una nave enemiga desafiando el fuego de sus cañones. Mientras la Luna brillaba en la noche serena, se abrió la escotilla y apareció un oficial blandiendo su espada catana y que murió acribillado a balazos mientras se enfrentaba de este modo al poderoso enemigo".

Más lejos y mucho antes, también entre nosotros, tan acostumbrados a la tragedia de antaño, de siempre, en la España medieval, se produjo un caso parecido a este del Kamikaze, salvando, claro está, las distancias. Con los musulmanes dominando el sur de la Península, surgieron entre los cristianos mozárabes, sometidos al poder del Islam, unos que comenzaron a llamarse a sí mismos los "Iactatio Martirii", los "lanzados", los "arrojados al martirio", es decir, a la muerte. Los guiaba e inspiraba el santo Eulogio de Córdoba, y actuaron durante ocho años bajo el mandato de los califas, entre el año 851 y el 859. Su modo de proceder era el siguiente: penetraban en la mezquita de manera insolente, siempre de uno en uno, y entonces, a sabiendas de que con ello se granjeaban una muerte sin paliativos, abominaban del Islam e insultaban a Mahoma. No tardaban en morir por degollamiento. Hubo por este camino cuarenta y nueve muertes voluntarias. El sello lo puso Eulogio con la suya propia el último año.

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Tampoco se encuentra exenta la Naturaleza de brindarnos algún que otro ejemplo claro de lo que es un kamikaze. De ello, el símbolo concluyente es el de la abeja, ese insecto solar y regio que vive en y por las flores, las únicas que saben caer gloriosas y radiantes, jóvenes, en el esplendor de su belleza, apenas han comenzado a vivir por primavera. Igual que la abeja, que liba el néctar más dulce y está siempre dispuesta para morir, así actúa también el kamikaze, cayendo en a una muerte segura frente al intruso que pretende hollar las tierras del Dai Nippon. El marco tiene todos los ingredientes para encarnar el misterio litúrgico o el acto del sacrificio, del oficio sacro.

En "El pabellón de oro", Yukio Mishima describe una misión simbólica. Una abeja vela en torno a la rueda amarilla de un crisantemo de verano (el crisantemo, la flor simbólica del Imperio Japonés); en un determinado instante -escribe Mishima- "la abeja se arrojó a lo más profundo del corazón de la flor y se embadurnó de su polen, ahogándose en la embriaguez, y el crisantemo, que en su seno había acogido al insecto, se transformó, asimismo, en una abeja amarilla de suntuosa armadura, en la que pude contemplar frenéticos sobresaltos, como si ella intentase echarse a volar, lejos de su tallo". ¿Hay una imagen más perfecta para adivinar la creencia shintoísta de la transformación del guerrero, del artesano, del príncipe, del que se ofrenda en el seno del Emperador, a su vez fortalecido por el sacrificio de sus servidores? Desde hace más de dos mil seiscientos años, el Trono del Crisantemo (una línea jamás ininterrumpida) es de naturaleza divina: ellos son descendientes directos de la diosa del Sol, Amaterasu-omi-Kami; los "Tennos", los emperadores japoneses, son las primeras manifestaciones vivientes de los dioses invisibles creadores, en los orígenes, de las islas del Japón. No son los representantes de Dios, son dioses... por ello, Mishima, en su obra "Caballos desbocados", define así, con absoluta fidelidad a la moral shintoísta, el principio de la lealtad a la Vía Imperial (el "Kodo"): "Lealtad es abandono brusco de la vida en un acto de reverencia ante la Voluntad Imperial. Es el precipitarse en pleno núcleo de la Voluntad Imperial".

Corría el siglo XIII, segunda mitad. El budismo no había conseguido todavía apaciguar a los mongoles, cosa de lo que más tarde se ha ufanado. Kublai-Khan, el nieto de Temujin, conocido entre los suyos como Gengis-Khan, acababa de sumar el reino de Corea al Imperio del Medio. Sus planes incluían el Japón como próxima conquista. Por dos veces, una en 1274 y otra en 1281, Kublai-Khan intentó llegar a las tierras del Dai Nippon con poderosos navíos y extraordinarios efectos psíquicos y materiales; y por dos veces fue rechazado por fuerzas misteriosas sobrehumanas. Primero, una tempestad y después un tifón desencadenados por los kami deshicieron los planes del Emperador de los mongoles. Ningún japonés olvidaría en adelante aquel portentoso milagro, que fue recordado en la memoria colectiva con su propio nombre: "Kamikaze", viento de los kami, Viento Divino.

El descubrimiento del país de Yamato, al que Cristobal Colón llamaba Cipango, y que fue conocido así también por los portugueses y después por los jesuitas españoles, por los holandeses e ingleses que les siguieron en el siglo XVI, no fue del todo mal recibido por los shogunes del Japón. Sin embargo, un poco antes de mediados de la siguiente centuria, el shogunado de Tokugawa Ieyashu había empezado a desconfiar de los "bárbaros" occidentales, por lo que decide la expulsión de los extranjeros, impide las nuevas entradas y prohibe la salida de las islas a todos los súbditos del Japón. En 1647 se promulga el "Decreto de Reclusión", por el cual el Dai Nippon se convertiría de nuevo en un mundo interiorizado, en un país anacoreta. Japón se cerró al comercio exterior y a las influencias ideológicas de Occidente, ya tocado irreversiblemente por el espíritu de la modernidad. De esta forma es como se vivió en aquellas tierras hasta bien entrado el siglo XIX, de espaldas a los llamados "progresos". Japón ignorará también el nacimiento de una nueva nación que para su desgracia no tardará en ser, con el tiempo, la expresión más cabal de su destino fatídico, como le sucedería igualmente a otros pueblos de formación tradicional. La nueva nación se autodenominará "América", pretendiendo asumir para sí el destino de todo un continente. Intolerable le resultará al Congreso y al presidente Filemore la existencia de un pueblo insolente, fiel a sí mismo, obstinado en seguir cerrado por propia voluntad al comercio y a las "buenas relaciones". Japón debía ser abierto, y, si fuera preciso, a fuerza de cañonazos. Todo muy democráticamente. Todavía hoy, en el Japón moderno y americanizado, los barcos negros del almirante Perry son de infausta memoria.

Los estruendos de la pólvora y el hierro hicieron despertar bruscamente a muchos japoneses, para quienes la presencia norteamericana indicaba con claridad que la Tierra del Sol Naciente había descendido a los mismos niveles que las naciones decadentes, de los que antes estuvieron preservados. Muchos pensaron que la causa de tal desgracia le venía al Dai Nippon por haberse olvidado de los descendientes de Amaterasu, del Emperador, recluido desde hacía centurias en su palacio de Kioto. Por ello se alzó enseguida una revuelta a los gritos de "¡Joy, joy!" (¡fuera, fuera!, referido a los extranjeros) y de "¡Sonno Tenno!" (¡venerad al Emperador!). La restauración Meiji de 1868 se apuntaló bajo el lema del "fukko", el retorno al pasado. Pero la tierra de Yamato tuvo que aceptar por la fuerza la nueva situación y ponerse a rivalizar con el mundo moderno, pero sin perder de vista su espíritu invisible, al que siguió siendo fiel. Cuando Yukio Mishima escribe sobre esa época, piensa lo que otros también pensaron como él. Y, así, anota: "Si los hombres fuesen puros, reverenciarían al Emperador por encima de todo. El Viento Divino (el Kamikaze) se levantaría de inmediato, como ocurrió durante la invasión mongola, y los bárbaros serían expulsados".

Año de 1944. Mes de octubre. El Japón se encuentra en guerra frente a las potencias anglonorteamericanas. La escuadra yanqui está cercando las islas Filipinas, y en sus aguas orientales se aproxima, golpe tras golpe, hacia el mismo corazón del Imperio... El almirante Onhisi concibe la idea de lanzar a los pilotos kamikaze...

El mismo día en que el Emperador Hiro-Hito decide anunciar la rendición incondicional de las armas japonesas y se lo comunica al pueblo entero por radio (¡era la primera vez que un Tenno hablaba directamente!), el comandante supremo de la flota, vicealmirante Matome Ugaki, había ordenado preparar los aviones bombarderos de Oita con el fin de lanzarse en vuelo kamikaze sobre el enemigo anclado en Okinawa. Era el 15 de agosto de 1945. En su último informe, incluyó sus reflexiones finales...: "Sólo yo, Majestad, soy responsable de nuestro fracaso en defender la Patria y destruir al ensoberbecido enemigo. He decidido lanzarme en ataque sobre Okinawa, donde mis valerosos muchachos han caído como cerezos en flor. Allí embestiré y destruiré al engreído enemigo. Soy un bushi, mi alma es el reflejo del Bushido. Me lanzaré portando el kamikaze con firme convicción y fe en la eternidad del Japón Imperial. ¡Banzai!". Veintidós aviadores voluntarios salieron con él, sólo por seguirle en el ejemplo de su última ofrenda. No estaban obligados. La guerra había concluido. Pero... no obstante, tampoco podían desobedecer las órdenes del Emperador, que mandaba no golpear más al adversario. Se estrellaron en las mismas narices de los norteamericanos, que contemplaron atónitos un espectáculo que no podían comprender... Ugaki hablaba del Bushido -el código de honor de los guerreros japoneses-. ¿Acaso no es el kamikaze, por esencia y por sentencia, un samurai?

En los botones de sus uniformes, los aviadores suicidas llevaban impresas flores de cerezo de tres pétalos, conforme al sentido del viejo haiku (poema japonés de dieciséis sílabas) del poeta Karumatu:

"La flor por excelencia es la del cerezo,

el hombre perfecto es el caballero"

El cerezo es una flor simbólica en las tierras japonesas, nace antes que ninguna otra, antes de iniciarse la primavera, para, en la plenitud de su gloria, caer radiante; es la flor de más corta juventud, que muere en el frescor de su belleza. Siempre fue el distintivo de los samurai.

Al encenderse los motores, los pilotos kamikaze se ajustaban el "hashimaki", la banda de tela blanca que rodea la cabeza con el disco rojo del Sol Naciente impreso junto a algunas palabras caligrafiadas con pincel y tinta negra, al modo como antaño lo usaron los samurai antes de entrar en batalla, al modo como cayeron los últimos guerreros japoneses del siglo XIX con sus espadas catana siguiendo al caudillo Saigo Takamori frente a los "marines" del almirante Perry. En la mente fresca y clara, iluminada por el Sol, no había sitio para las turbulencias. Sobre todos, unos ideogramas se repetían hasta la saciedad: "Shichisei Hokoku" ("Siete vidas quisiera tener para darlas a la Patria"). Eran los mismos ideogramas que por primera vez puso sobre su frente Masashige Kusonoki cuando se lanzó a morir a caballo, en un combate sin esperanzas, allá por el siglo XIV; los mismos ideogramas que se colocó alrededor de la cabeza Yukio Mishima en el día de su muerte ritual.

Yukio Mishima, obsesionado por la muerte ya desde su niñez y adolescencia, estuvo a punto de ser enrolado en el Cuerpo Kamikaze de Ataque Especial. Se deleitaba pensando románticamente que si un día se le diera la oportunidad se ser un soldado, pronto tendría una ocasión segura para morir. Sin embargo, cuando fue llamado a filas y se vio libre de ser incorporado al tomársele erróneamente por un enfermo de tuberculosis, el mejor escritor japonés de los tiempos modernos no hizo nada por deshacer el engaño del oficial médico, saliendo a la carrera de la oficina de reclutamiento. Aquello, pese a todo, le pareció a Mishima un acto de infamante cobardía, como lo confesará más tarde en repetidas ocasiones. El desprecio de su propia actitud fue uno de los factores de menor importancia en el día de su "seppuku" (el "hara-kiri", el suicidio ritual), pero que le llevó a meditar durante años sobre la condición interior del kamikaze. Para Mishima no cabía la menor duda: aquellos pilotos que hicieron ofrenda de sus vidas, con sus aparatos, eran verdaderos samurai. En "El loco morir", afirma que el kamikaze se encuentra religado al Hagakure, un texto escrito entre los siglos XVII y XVIII por Yocho Yamamoto, legendario samurai que tras la muerte de su señor se hizo ermitaño. El Hagakure llegó a ser el libro de cabecera de los samurai, el texto que sintetizó la esencia del Bushido. En cinco puntos finales, venía a decir:

- El Bushido es la muerte.

- Entre dos caminos, el samurai debe siempre elegir aquél en el que se

muere más deprisa.

- Desde el momento en que se ha elegido morir, no importa si la muerte

se produce o no en vano. La muerte nunca se produce en vano.

- La muerte sin causa y sin objeto llega a ser la más pura y segura,

porque si para morir necesitamos una causa poderosa, al lado

encontraremos otra tan fuerte y atractiva como ésta que nos impulse a vivir.

- La profesión del samurai es el misterio del morir.

Para el hombre que guarda la semilla de lo sagrado, la muerte es siempre el rito de paso hacia la trascendencia, hacia lo absoluto, hacia la Divinidad; por esa razón suenan, incluso hoy, sin extrañezas, las primeras palabras del almirante Ohnisi en su discurso de despedida al primer grupo de pilotos kamikaze constituido por el teniente Seki:

"Vosotros ya sois kami (dioses), sin deseos terrenales..."

Ya eran dioses vivientes, y como tales se les veneraba, aunque todavía "no hubieran muerto"; porque, sencillamente, "ya estaban muertos". Los resultados de sus acciones pasaban al último plano de las consideraciones a evaluar. No importaban demasiado... Aunque realmente los hubo: durante el año y medio que duraron los ataques kamikaze, fueron hundidos un total de 322 barcos aliados, entre portaviones, acorazados, destructores, cruceros, cargueros, torpederos, remolcadores, e, incluso, barcazas de desembarco; ¡la mitad de todos los barcos hundidos en la guerra!

Para Mishima, el caza Zero era semejante a una espada catana que descendía como un rayo desde el cielo azul, desde lo alto de las nubes blancas, desde el mismo corazón del Sol, todos ellos símbolos inequívocos de la muerte donde el hombre terreno, que respira, no puede vivir, y por los que paradójicamente todos esos hombres suspiran en ansias de vida inmortal, eterna. "Hi-Ri-Ho-Ken-Ten" fue la insignia de una unidad kamikaze de la base de Konoya. Era la forma abreviada de cuatro lemas engarzados: "La Injusticia no puede vencer al Principio. El Principio no puede vencer a la Ley. La Ley no puede vencer al Poder. El Poder no puede vencer al Cielo".

Aquel 15 de agosto de 1945, cuando el Japón se rendía al invasor, el almirante Takijiro Ohnishi se reunió por última vez con varios oficiales del Estado mayor, a quienes había invitado a su residencia oficial. ¿Una despedida? Los oficiales se retiraron hacia la medianoche. Ya a solas, en silencio, el inspirador principal del Cuerpo Kamikaze de Ataque Especial se dirigió a su despacho, situado en el segundo piso de la casa. Allí se abrió el vientre conforme al ritual sagrado del seppuku. No tuvo a su lado un kaishakunin, el asistente encargado de dar el corte de gracia separándole la cabeza del cuerpo cuando el dolor se hace ya extremadamente insoportable... Al amanecer fue descubierto por su secretario, quien le encontró todavía con vida, sentado en la postura tradicional de la meditación Zen. Una sola mirada bastó para que el oficial permaneciera quieto y no hiciera nada para aliviar o aligerar su sufrimiento. Ohnishi permaneció, por propia voluntad, muriendo durante dieciocho horas de atroz agonía. Igonaki, Inoguchi y otros militares que le conocían que el almirante, desde el mismo instante en que concibiera la idea de los ataques kamikaze, había decidido darse la muerte voluntaria por sacrificio al estilo de los antiguos samurai, incluso aunque las fuerzas del Japón hubieses alcanzado finalmente la victoria. En la pared, colgaba un viejo haiku anónimo:

"La vida se asemeja a una flor de cerezo.

Su fragancia no puede perdurar en la eternidad".

Poco antes de la partida, los jóvenes kamikaze componían sus tradicionales poemas de abandono del mundo, emulando con ello a los antiguos guerreros samurai de las epopeyas tradicionales. La inmensa mayoría de ellos también enviaron cartas a sus padres, novias, familiares o amigos, despidiéndose pocas horas antes de la partida sin retorno. Ichiro Omi se dedicó, después de la guerra, a peregrinar de casa en casa, pidiendo leer aquellas cartas. su intención era publicar un libro que recogiese todo aquel material atesorado por las familias y los camaradas, y fue así como muchas de aquellas cartas salieron a la luz. Bastantes de éstas y otras fueron a parar a la base naval japonesa de Etaji. Allí también peregrinó Yukio Mishima, poco antes de practicarse el seppuku, releyéndolas y meditándolas. Una, sobre las otras, le conmovió, actuando en su interior como un verdadero koan (el "koan" es, en la práctica del budismo Zen, la meditación sobre una frase que logra desatar el "satori", la iluminación espiritual). Mishima tuvo la tentación de escribir una obra sobre los pilotos del Viento Divino, y así apareció su obra "Sol y Acero". Un breve párrafo de estas cartas y algunos otros de las tomadas por Omi son las fuentes de esta antología:

"En este momento estoy lleno de vida. Todo mi cuerpo desborda juventud y fuerza. Parece imposible que dentro de unas horas deba morir (...) La forma de vivir japonesa es realmente bella y de ello me siento orgullo, como también de la historia y de la mitología japonesas, que reflejan la pureza de nuestros antepasados y su creencia en el pasado, sea o no cierta esa creencia (...) Es un honor indescriptible el poder dar mi vida en defensa de todo en lo creo, de todas estas cosas tan bellas y eminentes. Padre, elevo mis plegarias para que tenga usted una larga y feliz vida. Estoy seguro que el Japón surgirá de nuevo".

Teruo Yamaguchi.

"Queridos padres: Les escribo desde Manila. Este es el último día de mi vida. Deben felicitarme. Seré un escudo para Su Majestad el Emperador y moriré limpiamente, junto con mis camaradas de escuadrilla. Volveré en espíritu. Espero con ansias sus visitas al santuario de Kishenai, donde coloquen una estela en mi memoria ".

Isao Matsuo.

"Elevándonos hacia los cielos de los Mares del Sur, nuestra gloriosa misión es morir como escudos de Su Majestad. Las flores del cerezo se abren, resplandecen y caen (...) Uno de los cadetes fue eliminado de la lista de los asignados para la salida del no-retorno. Siento mucha lástima por él. Esta es una situación donde se encuentran distintas emociones. El hombre es sólo mortal; la muerte, como la vida, es cuestión de probabilidad. Pero el destino también juega su papel. Estoy seguro de mi valor para la acción que debo realizar mañana, donde haré todo lo posible por estrellarme contra un barco de guerra enemigo, para así cumplir mi destino en defensa de la Patria. Ikao, querida mía, mi querida amante, recuérdame, tal como estoy ahora, en tus oraciones".

Yuso Nakanishi

"Ha llegado la hora de que mi amigo Nakanishi y yo partamos. No hay remordimiento. Cada hombre debe seguir su camino individualmente (...) En sus últimas instrucciones, el oficial de comando nos advirtió de no ser imprudentes a la hora de morir. Todo depende del Cielo. Estoy resuelto a perseguir la meta que el destino me ha trazado. Ustedes siempre han sido muy buenos conmigo y les estoy muy agradecido. Quince años de escuela y adiestramiento están a punto de rendir frutos. Siento una gran alegría por haber nacido en el Japón. No hay nada especial digno de mención, pero quiero que sepan que disfruto de buena salud en estos momentos. Los primeros aviones de mi grupo ya están en el aire. Espero que este último gesto de descargar un golpe sobre el enemigo sirva para compensar, en muy reducida medida, todo lo que ustedes han hecho por mí. La primavera ha llegado adelantada al sur de Kyushu. Aquí los capullos de las flores son muy bellos. Hay paz y tranquilidad en la base, en pleno campo de batalla incluso. Les suplico que se acuerden de mí cuando vayan al templo de Kyoto, donde reposan nuestros antepasados".

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vendredi, 13 février 2009

Manifestation à Nagasaki contre la venue d'un navire de guerre américain

Japon: manifestation à Nagasaki contre la venue d'un navire de guerre US

AFP 5/2/2009 : "Des centaines de Japonais ont manifesté jeudi contre la venue d'un navire de guerre américain dans la ville martyre de Nagasaki, ravagée par une bombe atomique larguée par les Etats-Unis en 1945.

L'USS Blue Ridge, le navire-amiral de la 7e Flotte américaine basé dans le port de Yokosuka (région de Tokyo), est venu accoster à Nagasaki officiellement pour promouvoir l'amitié nippo-américaine. Mais des centaines d'habitants de la ville, y compris des survivants du bombardement atomique, ont accueilli le navire de 19.600 tonnes en criant leur hostilité à cette escale. "Nous ne voulons pas voir de drapeau américain dans ce port tant que les Etats-Unis n'auront pas décidé d'abandonner les armes nucléaires", a déclaré à l'AFP un responsable de la ville de Nagasaki, Osamu Yoshitomi. Le maire de Nagasaki et le gouverneur de la préfecture ont refusé de participer à une cérémonie de bienvenue, après avoir demandé, en vain, aux autorités japonaises et américaines d'annuler la visite. Le navire doit repartir lundi.

Les Etats-Unis ont de nombreuses bases et plus de 40.000 hommes stationnés dans l'archipel, au nom de l'alliance conclue au lendemain de la Seconde guerre mondiale. Un accord bilatéral de 1960 stipule que les autorités municipales n'ont pas le droit de refuser l'accostage d'un navire de guerre américain dans leur port. Le maire, Tomohisa Taue, a affirmé que cet accostage refroidissait l'enthousiasme de nombreux survivants de la bombe atomique, qui espèrent un geste du président Barack Obama en faveur de l'abandon des armes nucléaires. "Nagasaki ne peut accepter une escale qui réveille l'anxiété dans une ville frappée par une bombe atomique", a-t-il souligné dans un communiqué.

Quelque 70.000 personnes sont mortes lors du bombardement atomique américain de Nagasaki le 9 août 1945, trois jours après qu'une première bombe A ait été lâchée sur Hiroshima (ouest), faisant 140.000 morts. Le Japon a capitulé une semaine après, mettant fin à la Seconde guerre mondiale, mais la nécessité d'utiliser la bombe atomique pour faire plier l'archipel reste très controversée, a fortiori pour le second bombardement sur Nagasaki, jugé complètement inutile par de nombreux historiens."

mardi, 03 février 2009

Arnold J. Toynbee on Japan

The Laws of the Military Houses

Found on: http://davidderrick.wordpress.com

 In the Roman Empire and other universal states in the days of their decline, attempts were made to arrest the course of deterioration by “freezing” an existing legal or social situation. The Tokugawa Shogunate in Japan was perhaps unique among universal states in applying this prescription of “freezing” from first to last and in achieving the tour de force of arresting change in the outward forms of social life (though not, of course, in the inward realities) over a span of more than 250 years.

In the domain of law the Tokugawa régime, so far from regarding equality before a uniform law as being a desirable ideal, exerted itself to accentuate and perpetuate a caste division between the feudal aristocracy [daimyōs] and their [samurai] retainers on the one side and the rest of the population on the other which was one of the worst of the wounds that the Japanese Society had inflicted on itself during a foregoing Time of Troubles. The cue was given by Tokugawa leyasu’s predecessor and patron Hideyoshi in an edict of A.D. 1587 (popularly known as “the Taiko’s Sword Hunt”) [Taikō was a title given to a retired kampaku, or adviser to an emperor, and is often applied to Hideyoshi] ordering all non-samurai to surrender any weapons in their possession. The recently and arduously established central government further sweetened the pill for the feudal lords whom it had deprived of their long-abused de facto local independence by leaving them a very free hand to maintain and develop as they pleased, in all matters that the central government did not consider pertinent to the preservation of its own authority, the variegated “house laws” which the ruling family of each fief had gradually hammered out and enforced, within the limits of its own parochial jurisdiction, during the later stages of the foregoing Time of Troubles, particularly during the fifteenth and sixteenth centuries of the Christian Era. The edict entitled “the Laws of the Military Houses” which Tokugawa leyasu promulgated in A.D. 1615, on the morrow of his crushing retort to the last challenge to his absolute authority,

“is a document which, like the formularies and ‘house laws’ of earlier times, is not so much a systematic collection of specific injunctions and prohibitions as a group of maxims, in somewhat vague language, supported by learned extracts from the Chinese and Japanese classics.” [This quotation and those that follow are from Sansom, Sir G.: Japan, A Short Cultural History (London 1932, Cresset Press).]

“This ‘Constitution’ … was regarded by the Shogunate as fundamentally unchangeable. It was re-affirmed by each shogun on his succession, in a solemn ceremony attended by all his vassals; and, though circumstances sometimes forced them to alter it in detail, they never admitted or even contemplated any deviation from its essential principles, and they punished without mercy any breach of its commands.”

This in spite of the edict being vaguely-worded and in spite of the freedom allowed to the feudal lords in particular matters.

It is noteworthy that under this ultra-conservative régime a tendency towards the standardization of local laws did nevertheless declare itself.

“Within their own fiefs the barons enjoyed a very full measure of autonomy. … But the Shogunate, without interfering, used to keep a sharp watch on the conduct of the feudatories, and it was one of the chief duties of the censors (metsuke) and their travelling inspectors to report upon affairs in the fiefs. For this and similar reasons there was a general tendency among the daimyō to assimilate their administrative and judicial methods to those of the central authority, and the legislation in which the Shoguns freely indulged soon began to displace the ‘house laws’ of the fiefs where it did not clash with local sentiment and habit.”

A Study of History, Vol VII, OUP, 1954

We have [...] to explain why an Imperial House which exercised effective authority for less than three hundred years after the reorganization of the Imperial Government on a Chinese model in A.D. 645 should have survived for another thousand years in impotence as the sole fount of honour and dispenser of legitimacy. All the de facto rulers of Japan, since the time in the tenth century of the Christian Era when the Imperial Government had lost control, had felt it necessary to do their ruling in the Emperor’s name. At the time of writing, an utterly victorious occupying Power was finding it convenient to administer the country through a native Japanese Government acting in the name of the Emperor of the day.

This extraordinary vitality of the prestige of the Japanese Imperial House had been attributed by the Japanese themselves to their own official belief that the Imperial Family were descendants, in unbroken line, from the Sun Goddess Amaterasu. But, though, no doubt, this myth went back to the dawn of Japanese history, the deliberate exploitation of it for a political purpose seemed to be no older than the Meiji Period, when the new masters of Japan, who had wrested the de facto power from the last of the Tokugawa shoguns in A.D. 1868 and had appropriated to themselves the manipulation of the indispensable Imperial puppet under pretence of “restoring” him to the status enjoyed by his forefathers, were concerned to enhance the prestige of the institution in whose name they had to rule. Moreover, the Emperor Hirohito did not seem to have forfeited his hold on the allegiance of the Japanese people by his public declaration to them, on New Year’s Day 1946, that he was not a god but a man. [Footnote: In his rescript of that date, the Emperor Hirohito declared: “The ties between us and our people have always stood upon mutual trust and affection. They do not depend upon mere legends and myths. They are not predicated on the false conception that the Emperor is divine and that the Japanese people are superior to other races and fated to rule the World” (English text published in The New York Times, 1st January, 1946).] It therefore looked as if there were some firm foundation, other than the Sun Goddess myth, for the immense esteem which the Imperial House had continued to enjoy through all vicissitudes of their fortunes and Japan’s, and this foundation might perhaps be discovered in the historic “reception”, in A.D. 645, of the Chinese Imperial Constitution of that age. This bureaucratic system of administration was far too elaborate and refined to be practicable under the rude conditions of contemporary Japanese society. Yet its exotic character, which doomed it to a speedy failure in the field of practical politics, may have been the very feature that ensured its age-long preservation as a palladium of the Japanese polity; for the Japanese Imperial Constitution of A.D. 645 was modelled on that of the then reigning Chinese dynasty of the T’ang, and the T’ang Empire had been a resuscitation of the Han Empire, which had been the Sinic Society’s universal state. On this showing, the Japanese Imperial Office in the twentieth century of the Christian Era was living on political capital that had been accumulated by Han Liu Pang in the second century B.C.

A Study of History, Vol VII, OUP, 1954

Social change under the Tokugawa Shogunate

The Tokugawa régime [1603-1868] set itself to insulate Japan from the rest of the World, and was successful for nearly two and a half centuries [just over two if you reckon from 1641 to 1853] in maintaining this political tour de force; but it found itself powerless to arrest the course of social change within an insulated Japanese Empire, in spite of its efforts to petrify a feudal system, inherited from the preceding “Time of Troubles”, into a permanent dispensation.

“The penetration of money economy in Japan … caused a slow but irresistible revolution, culminating in the breakdown of feudal government and the resumption of intercourse with foreign countries after more than two hundred years of seclusion. What opened the doors was not a summons from without but an explosion from within. … One of [the] first effects [of the new economic forces] was an increase in the wealth of the townspeople, gained at the expense of the samurai and also of the peasants. … The daimyō and their retainers spent their money on luxuries produced by the artisans and sold by the tradesmen, so that by about the year [A.D.] 1700, it is said, nearly all their gold and silver had passed into the hands of the townspeople. They then began to buy goods on credit. Before long they were deeply indebted to the merchant class, and were obliged to pledge, or to make forced sales of, their tax-rice. … Abuses and disaster followed thick and fast. The merchants took to rice-broking, and then to speculating. … It was the members of one class only, and not all of them, who profited by these conditions. These were the merchants, in particular the brokers and money-lenders, despised chōnin or townsmen, who in theory might be killed with impunity by any samurai for mere disrespectful language. Their social status still remained low, but they held the purse and they were in the ascendant. By the year 1700 they were already one of the strongest and most enterprising elements in the state, and the military caste was slowly losing its influence.” [Square brackets in the original.] [Footnote: Sansom, G. B.: Japan: A Short Cultural History (London 1931, Cresset Press), pp. 460-2. See further eundem: The Western World and Japan (London 1950, Cresset Press), chaps. ix-xi (pp. 177-289).]

If we regard the year 1590 of the Christian Era, in which Hideyoshi overcame the last resistance to his dictatorship, as the date of the foundation of the Japanese universal state, we perceive that it took little more than a century for the rising of the lower layers of water from the depths to the surface to produce a bloodless social revolution in a society which Hideyoshi’s successor Tokugawa leyasu and his heirs had sought to freeze into an almost Platonically Utopian immobility. This social upheaval was a result of the operation of internal forces within a closed system, without any impulsion from outside the frontiers of the Japanese universal state.

The extent of the resultant change is impressive – and the more so, considering that, for a universal state, the Tokugawa Shogunate was culturally homogeneous to an unusually high degree. Apart from a little pariah community of Dutch business men who were strictly segregated on the islet of Deshima, the only heterogeneous element in the otherwise culturally uniform Japanese life of that age was a barbarian Ainu strain that was socially impotent in so far as it was not already culturally assimilated.

But the Dutch were not the only people permitted to trade: the Chinese traded, too, and lived in a special quarter of Nagasaki.

The Tokugawa Shoguns ruled from Edo or Tokyo. The rise of the merchants was the making of the city.

Deshima has since been absorbed by reclaimed land, becoming part of Nagasaki, but the settlement has been restored and can be visited.

The strictest period of isolation (sakoku) lasted from 1641, when Deshima was estabished, to 1853, when Commodore Perry arrived in Edo Bay with his warships. But a considerable branch of learning – Rangaku (literally “Dutch learning”, by extension “Western learning”) – was developed by Japan through its contacts with the Dutch enclave. Dutch learning allowed Japan to keep abreast of Western technology and medicine and was an incubator for the vaster project of learning and absorption which began after 1853 and gained strength after the Meiji restoration. It remained illegal for Japanese to leave Japan until after the restoration.

A Study of History, Vol VII, OUP, 1954

Deshima and Nagasaki Bay, c 1820 (British Museum). Chinese trading junks and two Dutch ships.

deshima

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vendredi, 19 décembre 2008

Géopolitique de l'Océan Indien - Pour une Doctrine de Monroe eurasiatique

 

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Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1986

Géopolitique de l'Océan Indien et destin européen - Pour une doctrine de Monroe eurasienne

par Robert Steuckers


Aborder la géopolitique de l'Océan Indien, c'est, en apparence, aborder un sujet bien éloigné des préoccupations de la plupart de nos concitoyens. C'est, diront les esprits chagrins et critiques, sacrifier à l'exotisme... Pourtant, l'Océan Indien mérite, plus que toute autre région du globe, de mobiliser nos attentions. En effet, il est la clef de voûte des relations entre l'Europe et le Tiers-Monde; son territoire maritime et ses rives sont l'enjeu du non-alignement, option que l'Europe aurait intérêt à choisir et, sur le plan historique, cet océan du milieu (entre l'Atlantique et le Pacifique) a été l'objet de convoitises diverses, convoitises qui ont suscité, partiellement, la première guerre mondiale, dont l'issue pèse encore sur notre destin.


Le Cadre de cette étude

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En nous situant en dehors de la dichotomie gauche/droite, qui stérilise les analyses politiques et leur ôte bien souvent toute espèce de sérieux, nous suivons attentivement les travaux d'organismes, cénacles, sociétés de pensée, etc. qui posent comme objet de leurs investigations les relations entre notre Europe et les Pays du "Tiers-Monde". Au-delà de la dichotomie sus-mentionnée, nous avons, sans a priori, étudié les ouvrages publiés aux Editions La Découverte, ceux du CEDETIM, de La Revue Nouvelle (Bruxelles), du Monde Diplomatique, les travaux d'écrivains, sociologues, philosophes ou journalistes comme Yves LACOSTE, Alain de BENOIST, Guillaume FAYE, Rudolf WENDORFF, Paul-Marie de la GORCE, Claude JULIEN, etc. Dans un réel souci d'éclectisme, nous avons couplé ces investigations contemporaines aux travaux des géopoliticiens d'hier et d'aujourd'hui.


Etudier les rapports entre l'Europe et le Tiers-Monde, comporte un risque majeur: celui de la dispersion. En effet, derrière le vocable "Tiers-Monde", se cache une formidable diversité de cultures, de religions, d'univers politiques, de sensibilités. Le vocable "Tiers-Monde" recouvre des espaces civilisationnels aussi divers et hétérogènes que l'Afrique, l'Amérique Latine, l'Asie chinoise, indochinoise, indonésienne, le pourtour de l'Océan Indien, le monde arabo-musulman (les "Islams", dirait Yves LACOSTE). Le vocable "Tiers-Monde" recouvre donc une extrême diversité. Sur le plan strictement économique, cette diversité comprend déjà quatre catégories de pays: 1) les pays pauvres (notamment ceux du Sahel); 2) les pays ayant pour seules richesses les matières premières de leur sous-sol; 3) les pays pétroliers ayant atteint un certain niveau de vie; 4) les pays pauvres disposant d'une puissance militaire autonome, avec armement nucléaire (Inde, par exemple).


Pourquoi choisir l'Océan Indien?


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En effet, pourquoi ce choix? Nos raisons sont triples. Elles sont d'abord d'ordre historique; l'Océan Indien a excité les convoitises des impérialismes européens et la dynamique du 19ème siècle "anglo-centré", avec prédominance de la Livre Sterling, s'explique par la maîtrise de ses eaux par la Grande-Bretagne. Cette dynamique a été contestée par toutes les puissances du globe, ce qui, ipso facto, a engendré des conflits qui ont culminé aux cours des deux guerres mondiales du 20ème siècle. Notre situation actuelle d'Européens colonisés, découle donc partiellement de déséquilibres qui affectaient jadis les pays baignés par l'Océan Indien.


Deuxième raison de notre choix: l'Océan Indien est un microcosme de la planète du fait de l'extrème diversité des populations qui vivent sur son pourtour. Il est l'espace où se sont rencontrées et affrontées les civilisations hindoue, arabo-musulmane, africaine et extrême-orientale. Si l'on souhaite échapper aux universalismes stérélisants qui veulent réduire le monde au commun dénominateur du consumérisme et du monothéisme des valeurs, l'étude des confrontations et des syncrétismes qui forment la mosaïque de l'Océan Indien est des plus instructives.


Troisième raison de notre choix: éviter une lecture trop européo-centrée des dynamiques politiques internationales. Le sort de l'Europe se joue actuellement sur tous les points du globe et, vu la médiocrité du personnel politique européen, les indépendantistes de notre continent, les esprits libres, trouveront tout naturellement une source d'inspiration dans le non-alignement préconisé jadis par le Pandit Nehru, Soekarno, Mossadegh, Nasser, etc. Le style diplomatique indien s'inspire encore et toujours des principes posés dans les années cinquante par Nehru. Une Europe non-alignée aura comme partenaire inévitable cette Inde si soucieuse de son indépendance. La diplomatie indienne s'avère ainsi pionnière et exemplaire pour les indépendantistes européens qui, un jour, sous la pression des nécessités, secoueront le joug américain et le joug soviétique.


Une histoire mouvementée


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Pour les Européens, l'Océan Indien devient objet d'intérêt à l'âge des grandes découvertes, quand Christophe Colomb aborde le Nouveau Monde en croyant aborder aux Indes, territoire où croissent les épices, pactole de l'époque. La perspective des Européens s'élargit brusquement. Le monde leur apparaît plus grand. En 1494, le Pape partage les nouvelles terres entre Portugais et Espagnols. Les géographes au service du pontife catholique tracent une ligne qui traverse l'Atlantique du Nord au Sud. Ce qui est à l'Ouest de cette ligne revient à l'Espagne; ce qui est à l'Est échoit au Portugal. C'est ainsi que le Brésil devient portugais et le reste des Amériques, espagnol. L'Océan Indien et l'Afrique reviennent, en vertu de ce partage, aux rois du Portugal. Les marins lusitaniens exploreront donc les premiers les eaux de l'Océan Indien.


La décision du Pape n'avait pas plu aux autres Européens, exclus du partage. Anglais et Néerlandais entreront en conflit avec les deux monarchies catholiques. L'objet de ce conflit inter-européen, ce sont bien entendu les nouvelles terres à conquérir. Rapidement, les Hollandais prennent la place des Portugais, incapables de se maintenir aux Indes et dans les Iles. Après les Hollandais, viendront les Anglais qui affermiront progressivement, en deux siècles, leur mainmise sur l'Océan.


La compétition engagée entre Catholiques et Protestants ouvre une ère nouvelle: celle de la course aux espaces vierges et aux comptoirs commerciaux. L'ère coloniale de l'expansion européenne s'ouvre et ne se terminera qu'en 1885, au Congrès de Berlin qui attribuera le Congo à Léopold II. A partir de 1885, les Congrès internationaux ne réuniront plus seulement des Européens, comme à Vienne en 1815. Désormais, tous les territoires du monde sont occupés et la course aux espaces est arrêtée. Le Japon, le Siam, la Perse, le Mexique et les Etats-Unis participent à diverses conférences internationales, notamment celle qui institue le système postal. Le monde cesse d'être européo-centré dans l'optique des Européens eux-mêmes. Ceux-ci ne déterminent plus seuls la marche du monde. Déjà un géant s'était affirmé: les Etats-Unis qui s'étaient posés comme un deuxième centre en proclamant dès 1823, la célèbre "Doctrine de Monroe". Les centres se juxtaposent et le "droit international", créé au XVIIème siècle pour règler les conflits inter-européens avec le maximum d'humanité, perd sa cohésion civilisationnelle. Dans ce "jus publicum europaeum" (Carl SCHMITT), les guerres étaient perçues comme des règlements de différends, rendus inévitables par les vicissitudes historiques. L'ennemi n'était plus absolu mais provisoire. On entrait en conflit avec lui, non pour l'exterminer, pour éradiquer sa présence de la surface de la Terre, mais pour règler un problème de mitoyenneté, avant d'éventuellement envisager une alliance en vue de règler un différend avec une tierce puissance. La civilisation européenne acquérait ainsi une homogénéité et les conflits ne pouvaient dégénérer en guerres d'extermination.


La révolution française, avec son idéologie conquérante, avait porté un coup à ces conventions destinées à humaniser la guerre. A Vienne, les puissances restaurent le statu quo ante. Mais les Etats-Unis, avec leur idéologie puritaine, actualisant une haine vétéro-testamentaire en guise de praxis diplomatique (les récents événements du Golfe de Syrte le prouvent), n'envisagent pas leurs ennemis avec la même sérénité. Les ennemis de l'Amérique sont les ennemis de Yahvé et méritent le sort infligé à Sodome et Gomorrhe. Les autres puissances extra-européennes n'ont pas connu le cadre historique où le "jus publicum europaeum" a émergé. Avec l'entrée des Etats-Unis sur la scène internationale, la guerre perd ses limites, ses garde-fous et redevient "exterminatrice".


Pendant que ces mutations s'opèrent sur le globe, l'Océan Indien vit à l'heure de la Pax Britannica. Les Européens y règlent leurs conflits selon les principes de courtoisie diplomatique du "jus publicum europaeum".


La Pax Britannica


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Arrivés dans l'Océan Indien dès le milieu du XVIIème, les Anglais consolideront très progressivement leurs positions et finiront par faire des Indes la clef de voûte de leur système colonial, le plus perfectionné que l'histoire ait connu. Avec la capitulation de la France, qui abandonne ses positions indiennes à l'Angleterre en 1763 ( mis à part quelques comptoirs comme Pondichéry), la Couronne britannique peut prendre pied successivement à Singapour, à Malacca, à Aden, en Afrique du Sud. En 1857, les Indes passent sous contrôle colonial direct et en 1877, Victoria est proclamée Impératrice des Indes. L'Angleterre poursuit alors sa progression en Afrique Orientale (Kenya, Zanzibar).


La France, en 1763, a commis une erreur fatale: elle a sacrifié ses potentialités mondiales au profit d'une volonté d'hégémonie en Allemagne. Elle a négligé deux atouts: celui qu'offraient les peuples de marins de ses côtes atlantiques, Bretons, Normands et Rochellois. Et celui qu'offraient son hinterland boisé (matières premières pour construire des flottes) et ses masses paysannes (réserves humaines), alors les plus nombreuses d'Europe.


Ce seront donc les Anglais qui occuperont le pourtour de l'Océan Indien. Cette occupation impliquera la protection du statu quo contre de nouveaux ennemis: les Russes, les Allemands, les Italiens et les Japonais.


Albion contre l'Empire des Tsars


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Au XIXème siècle, la Russie, qui connaît une explosion démographique spectaculaire, entreprend la conquête de l'Asie Centrale, peuplée par les ethnies turques (Tadjiks, Turkmènes, Ouzbekhs, etc.). Cette avance slave vers le centre de la masse continentale asiatique répond à un désir d'empêcher définitivement les invasions turco-mongoles dont la Russie a eu à souffrir tout au long de notre Moyen Age. Mais en progressant ainsi selon l'axe Aral-Pamir, la poussée russe butera contre les possessions britanniques qui lui barrent la route vers l'Océan Indien. La Russie, en effet, caresse depuis des siècles le désir de posséder des installations portuaires donnant sur une "mer chaude". Les deux impérialismes se rencontreront et s'affronteront (souvent par ethnies locales interposées) en Afghanistan. Le scénario s'est partiellement répété en 1978, quand la thalassocratie américaine, appuyant le Pakistan et les rebelles anti-soviétiques d'Afghanistan, s'opposait à l'URSS, appuyant, elle, sa stratégie sur certaines ethnies afghanes et sur le gouvernement pro-soviétique officiel.


Avec ces événements qui s'étendent sur quelques décennies (de 1830 à 1880), la Russie et l'Angleterre acquièrent une claire conscience des enjeux géopolitique de la région. Le géopoliticien britannique Homer LEA se rend compte que les Indes forment réellement la clef de voûte du système colonial britannique. Il écrivit à ce propos: "Mis à part une attaque directe et une conquête militaire des Iles Britanniques elles-mêmes, la perte des Indes serait le coup le plus mortel pour l'Empire Britannique". Plus tard, il confirmera ce jugement et lui donnera même plus d'emphase, en déclarant que l'Empire constituant un tout indivisible, les Iles Britanniques ne sont plus que quelques îles parmi d'autres et que la masse territoriale la plus importante, le centre du système colonial, ce sont les Indes. Par conséquence, la perte des Indes serait plus grave que la perte des Iles Britanniques.


Les Indes permettaient à l'Empire Britannique de surveiller la Russie qui dominait (et domine toujours) le Heartland -la Terre du Milieu sibérienne- et de contrôler la Heartsea, c'est-à-dire l'Océan du Milieu qui est l'Océan Indien situé entre l'Atlantique et le Pacifique. Le contrôle de "l'Océan du Milieu" permet de contenir la puissance continentale russe dans les limites sibériennes que lui a données l'histoire. La Russie, de son côté, se rend compte que si l'Inde lui échoit par conquête, par alliance ou par hasard, elle contrôlera et la Terre du Milieu et l'Océan du Milieu et qu'elle deviendra ainsi, ipso facto, la première puissance de la planète.


La configuration géographique de l'Afghanistan a permis à ce pays d'échapper à l'annexion pure et simple à l'un des deux Empires. De surcroît, Russes et Anglais avaient intérêt à ce qu'un Etat-tampon subsiste entre leurs possessions. En Perse, le nationalisme local émergera en déployant une double désignation d'ennemis: le Russe qui menace la frontière septentrionale et l'Anglais qui menace le Sud avec sa flotte et le Sud-Est avec son armée des Indes. Ce n'est pas un hasard si le nationalisme perse s'est toujours montré germanophile et si, aujourd'hui, l'intégrisme musulman de Khomeiny se montre également hostile aux Soviétiques et aux Américains qui, eux, ont pris le relais des Anglais.


L'avance allemande vers le Golfe Persique


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Les Anglais percevaient la politique "orientale" de Guillaume II comme une menace envers leur hégémonie dans l'Océan Indien. Cette menace prend corps par la politique de coopération amorcée entre le Reich, qui s'industrialise et concurrence sévèrement l'Angleterre, et l'Empire Ottoman. Les accords militaires et économiques entre l'Empire allemand, né à Versailles en 1871, et le vieil Empire Ottoman, usé par les guerres balkaniques et par les corruptions internes, permettent à l'industrie germanique en pleine expansion d'acquérir des débouchés, en passant outre les protectionnismes français, anglais et américains. La coopération se concrétisera par le projet de construction d'une ligne de chemin de fer reliant Berlin à Constantinople, Constantinople à Bagdad et Bagdad au Golfe Persique. Ce projet, strictement économique, inquiète les Anglais. En effet, l'émergence d'un port dans le Golfe Persique, qui tomberait partiellement sous contrôle allemand, impliquerait la maîtrise par l'axe germano-turc de la péninsule arabique, alors entièrement sous domination ottomane. Les Allemands et les Ottomans perceraient ainsi une "trouée" dans l'arc en plein cintre anglais, reliant l'Afrique australe à Perth en Australie. De plus, un autre point faible de "l'arc", la Perse, hostile aux Russes et aux Anglais, risque de basculer dans le camp germano-turc. Et ce, d'autant plus que la germanophilie faisait des progrès considérables dans ce pays à l'époque. Lord CURZON sera l'homme politique anglais qui mettra tout en œuvre pour torpiller la consolidation d'un système de coopération germano-turco-perse.


Pour les Anglais germanophiles, cette collaboration germano-turque était positive, car, ainsi, l'Allemagne s'intercalait entre l'Empire britannique et la Russie, empêchant du même coup tout choc frontal entre les deux impérialismes. La Turquie, affaiblie, surnommée depuis quelques décennies "l'homme malade de l'Europe", ne risquait plus, une fois sous la protection germanique, de tomber comme un fruit mûr dans le panier de la Russie.


Le contentieux anglo-allemand s'est également porté en Afrique. L'Angleterre échangera ainsi Heligoland en Mer du Nord contre Zanzibar, prouvant par là que l'Océan Indien était plus important à ses yeux que l'Europe. Ce qui corrobore les thèses d'Homer LEA. Lorsqu'éclate la Guerre des Boers en Afrique Australe, l'Angleterre craint que ne se forge une alliance entre les Boers et les Allemands, alliance qui ferait basculer l'ensemble centre-africain et sud-africain hors de sa sphère d'influence. L'hostilité à l'indépendance sud-africaine et à l'indépendance rhodésienne (à partir de 1961 et 1965) dérive de la crainte de voir s'instaurer un ensemble autonome en Afrique australe, qui romperait tous ses liens avec la Couronne et s'instaurerait comme un pôle germano-hollando-anglo-saxon aussi riche et aussi attirant que les Etats-Unis. En 1961 et en 1965, les craintes de l'Angleterre étaient déjà bien inutiles (l'Empire glissait petit à petit dans l'oubli); en revanche, les Etats-Unis ont tout intérêt à ce qu'un tel pôle ne se constitue pas car, pacifié, il attirerait une immigration européenne qui n'irait plus enrichir le Nouveau Monde.


Mais revenons à l'aube du siècle. Offensive, la diplomatie anglaise obligera l'Allemagne à renoncer à construire le chemin de fer irakien au-delà de Basra, localité située à une centaine de kilomètres des rives du Golfe Persique. De surcroît, l'Angleterre impose ses compagnies privées pour l'exploitation des lignes fluviales sur le Tigre et l'Euphrate. L'Allemagne est autorisée à jouer un rôle entre le Bosphore et Basra, mais ce rôle est limité; il est celui d'un "junior partner" à la remorque de la locomotive impériale britannique. L'analogie entre cette politique anglaise d'avant 1914 et celle, actuelle, des Etats-Unis vis-à-vis de l'Europe est similaire.


La règle d'or de la stratégie britannique concernant la rive nord de l'Océan Indien se résume à ceci: l'Allemagne ne doit pas franchir la ligne Port-Saïd/ Téhéran et la Russie ne doit pas s'étendre au-delà de la ligne Téhéran/Kaboul. Cette politique anglaise est une politique de "containment" avant la lettre.


Dominer le sous-continent indien implique de dominer un "triangle" maritime dont les trois sommets sont les Seychelles, l'Ile Maurice et Diego Garcia. Homer LEA a dressé une carte remarquable, nous montrant les lignes de force "géostratégiques" de l'Océan Indien et l'importance de ce "triangle" central. Rien n'a changé depuis et les Américains le savent pertinement bien. La puissance qui deviendra maîtresse des trois sommets de ce triangle dominera toute la "Mer du Milieu", autrement dit l'Océan Indien. Et si, par hasard, c'était l'URSS qui venait à dominer ce "triangle" et à coupler cette domination maritime à la domination continentale qu'elle exerce déjà en Asie Centrale et en Afghanistan, on imagine immédiatement le profit qu'elle pourra en tirer.


"Le danger italien"


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L'Italie devient "dangereuse", aux yeux de l'Angleterre, à partir du moment où elle tente d'entreprendre ou entreprend la conquête de l'Ethiopie. Par cette conquête, elle confère un "hinterland" à sa colonie somalienne et consolide, dans la foulée, sa position sur l'Océan Indien, opérant une percée dans "l'arc" Port Elisabeth/Perth, équivalente à la percée allemande dans le Golfe Persique et dans la Péninsule Arabique. Par ailleurs, la politique italienne de domination de la Méditerrannée menace, en cas de conflit, de couper la "route des Indes", c'est-à-dire la ligne Gibraltar/Suez. Cette éventualité, c'était le cauchemar de l'Angleterre.


La menace japonaise


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Quant au danger japonais, il résultait de l'acquisition, par le Japon, après la première guerre mondiale, de la Micronésie auparavant allemande. Au milieu de cette immense Micronésie, se situait la base de Guam, américaine depuis le conflit de 1898 entre les Etats-Unis et l'Espagne. Entre Guam et les Philippines, également américaines, les Japonais avaient construit la base aéronavale de Palau, proche des avant-postes britanniques de Nouvelle-Guinée et au centre du triangle Guam-Darwin (en Australie)-Singapour. Comme le Japon souhaitait la création d'une vaste zone de co-prospérité asiatique, risquant d'englober l'Indonésie et ses champs pétrolifères susceptibles d'alimenter l'industrie japonaise naissante, les Anglais craignaient à juste titre une "menace jaune" sur l'Australie et la conquête de la façade orientale de l'Océan Indien, moins solidement gardée que la façade afro-arabe.


Mais la menace qui pesait sur l'équilibre impérial britannique ne provenait pas seulement des agissements japonais ou italiens, mais aussi et surtout des mouvements de libération nationale qui s'organisaient dans les pays arabe (et notamment en Egypte) et dans les pays de l'Asie du Sud-Est. Les Anglais savaient très bien que les Allemands (très populaires auprès des Arabes et des Indiens), les Italiens et les Japonais n'auraient pas hésité à soutenir activement les révoltes "anti-impérialistes" voire à s'en servir comme "chevaux de Troie". Et effectivement, pendant la seconde guerre mondiale, Japonais et Allemands ont recruté des légions indiennes ou soutenu des révoltes comme celle des officiers irakiens en 1941.


La géopolitique de Haushofer


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Indépendamment des idées fixes d'Hitler, la géopolitique allemande, impulsée par Karl Ernst HAUSHOFER, esquisse, entre 1920 et 1941, un projet continental eurasien, c'est-à-dire un élargissement du "jus publicum europaeum" à toute le masse continentale eurasienne et africaine. Ce "jus publicum europaeum", défini par le juriste Carl SCHMITT, implique la création d'un espace sur lequel les différends politiques entre les Etats sont atténués selon des règles de courtoisie, éliminant les volontés exterminatrices et posant l'adversaire comme un adversaire temporaire et non un adversaire absolu. La géopolitique de HAUSHOFER comprenait notamment les trois projets suivants:

1) Gestion du Pacifique par le Japon, suivant le principe qu'une zone de co-prospérité économique ne doit jamais être unifiée sous l'égide d'une puissance étrangère à cet espace.

2) Alliance des Européens avec les indépendantistes turcs, iraniens, afghans et indiens, de façon à élargir la zone de sécurité européenne. Avec ce projet naît l'idée d'un axe "alexandrin", partant des Balkans pour s'élancer vers l'Indus et même au-delà. Nous l'appeleront "diagonale", car cette ligne part de l'Islande et traverse en diagonale la masse continentale eurasienne, telle qu'elle se perçoit sur une planisphère à la Mercator.

3) Formation d'un bloc eurasien porté sur trois piliers: l'Allemagne avec son armée de terre et sa flotte, constituée selon les règles de Tirpitz; l'URSS comme gardienne du cœur de la masse continentale; le Japon comme organisateur du Pacifique. Cette triple alliance doit créer une "Doctrine de Monroe" eurasienne, dirigée contre les immixtions américaines en Europe et en Asie.


Pour HAUSHOFER comme pour SCHMITT, ce projet vise la constitution d'un "nomos" eurasien où l'Europe (Russie comprise) pratiquerait une économie de semi-autarcie et d'auto-centrage, selon les critères en vigueur dans l'Empire Britannique. Fédéraliste à l'échelle de la grande masse continentale, ce projet prévoit l'autonomie culturelle des peuples qui y vivent, selon les principes en vigueur en Suisse et en URSS (qui est, ne l'oublions pas, une confédération d'Etats). Même si en URSS, le principe fédéral inscrit dans la constitution et hérité de la pensée de LENINE a connu des entorses déplorables, dont souffre d'ailleurs l'ensemble, surtout sur le plan du développement économique. HAUSHOFER agit ici en conformité avec les désirs de la "Ligue des Peuples Opprimés", constituée en Allemagne et à Bruxelles au début des années 20. HAUSHOFER pratiquait, à son époque, un "tiers-mondisme" réaliste et non misérabiliste, c'est-à-dire réellement anti-colonialiste. Le "tiers-mondisme" des Occidentaux, chrétiens ou laïcs, d'après 1945 cache, derrière un moralisme insipide, la volonté d'imposer aux peuples d'Afrique et d'Asie un statut de néo-colonialisme.


HAUSHOFER se heurtera à HITLER qui souhaite l'alliance anglaise ("Les Anglais sont des Nordiques") et la colonisation de la Biélorussie et de l'Ukraine ("Espace vital pour l'Allemagne"). Ce double choix de HITLER ruine le projet d'alliance avec les indépendantistes arabes et indiens et saborde la "Triplice" eurasienne, avec l'Allemagne, l'URSS et le Japon. Alors que STALINE était un chaleureux partisan de cette solution. C'est dans ces erreurs hitlériennes qu'il faut percevoir les raisons de la défaite allemande de 1945. ROOSEVELT, grand vainqueur de 1945, avait parfaitement saisi la dynamique et cherché à l'enrayer. Il a poursuivi deux buts: abattre l'Allemagne et le Japon, puissances gardiennes des façades océaniques (Atlantique et Pacifique) et éliminer l'autonomie économique du "Commonwealth". Face aux Etats-Unis, il ne resterait alors, espérait Roosevelt, qu'une URSS affaiblie par sa guerre contre l'Allemagne et les divisions de chars de von MANSTEIN.


Le rôle des Etats-Unis dans l'histoire de ce siècle est d'empêcher que ne se constituent des zones de co-prospérité économique. La guerre contre Hitler et la nazisme, la guerre contre le Japon le confirment. Immédiatement après la deuxième guerre mondiale, la guerre froide cherchait à mettre l'URSS à genoux car elle refusait le Plan Marshall, conjointement avec les pays est-européens. Ipso facto, une sphère de co-prospérité est-européenne voyait le jour, ce qui portait ombrage aux Etats-Unis. Face à la CEE, autre sphère économique plus ou moins auto-centrée, l'attitude des Etats-Unis sera ambigüe: elle favorise sa création de façon à rationaliser l'application du Plan Marshall mais s'inquiète régulièrement des tendances "gaullistes" ou "bonaparto-socialistes" (l'expression est de l'économiste britannique Mary KALDOR). Actuellement, la guerre économique bat son plein entre les Etats-Unis et la CEE dans les domaines de l'acier et des denrées agricoles. La nouvelle guerre froide inaugurée par REAGAN vise à empêcher un rapprochement entre Européens de l'Est et Européens de l'Ouest, donc à renouer avec la tradition haushoferienne ou avec une interprétation plus radicale de la Doctrine HARMEL.


Cette synthèse entre l'analyse géopolitique haushoférienne, le gaullisme de gauche et la Doctrine Harmel, nous espérons ardemment qu'elle se réalise pour le salut de nos peuples. Nous voulons une politique d'alliance systématique avec les peuples de la Diagonale, que nous évoquions plus haut. L'Océan Indien doit être libéré de la présence américaine au même titre que l'Europe de l'Ouest, ce qui réduira à néant la psychose de l'encerclement qui sévit en URSS et fera donc renoncer ce pays aux implications désastreuses de l'aventure afghane; ainsi, Moscou pourra s'occuper de son objectif n°1: la rentabilisation de la Sibérie.


Après 1945: le non-alignement


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Après 1945, l'Europe a perdu ce réalisme géopolitique. Le réalisme, dans sa traduction "nationaliste", est en revanche réapparu dans le "Tiers-Monde". Il était l'héritier direct des mouvements qui, aux Indes ou dans le monde arabo-musulman, s'étaient dressés entre 1919 et 1945 contre la tutelle britannique. En 1947, l'Inde acquiert l'indépendance. La clef de voûte du système impérial britannique s'effondre, entraînant le reste à sa suite. En 1949, la victoire de MAO en Chine empêche les Etats-Unis d'organiser la Chine comme un marché/débouché de 700 millions de consommateurs, au profit de l'industrie américaine. L'Indonésie proclame elle aussi son indépendance. En 1952, MOSSADEGH cherche à nationaliser les pétroles anglo-américains d'Iran. En 1954, les populations rurales d'Algérie se révoltent contre l'Etat Français qui s'était servi de leurs meilleurs hommes pour lutter contre l'Allemagne (par ailleurs alliée des Arabes) et n'accordait pas l'égalité des droits entre Musulmans d'une part et Juifs et Chrétiens d'autre part. La même année, NASSER renverse la monarchie corrompue du roitelet FAROUK et annonce son intention de nationaliser le Canal de Suez. En 1955, les non-alignés se réunissent à Bandoeng pour proclamer leur "équi-distance" à l'égard des blocs. A partir de 1960, l'Afrique se dégage des tutelles européennes, pour retomber rapidement sous la férule des multinationales néo-colonialistes. En Amérique Latine, les nationalismes de libération s'affirment, surtout à l'ère péroniste en Argentine. Tous ces mouvements contribuent à venger la défaite de l'Europe et continuent la lutte contre l'idéologie du "One-World" de ROOSEVELT. Même sous l'étiquette communiste comme au Vietnam.


Dans cette lutte globale, que se passera-t-il plus particulièrement dans l'Océan Indien? Le retrait des Britanniques laisse un "vide". Cette crainte du "vide" est le propre des impérialismes. En effet, pourquoi n'y aurait-il pas un "vide" dans l'Océan Indien? Dans l'optique des "super-gros", les vides génèreraient des guerres et la "sécurité internationale" risquerait de s'effondrer s'il n'y a pas arbitrage d'un super-gros. Les Etats riverains de l'Océan Indien ont certes connu des conflits dans la foulée de la décolonisation mais ces conflits n'ont pas l'ampleur d'une guerre mondiale et sont restés limités à leurs cadres finalement restreints. Le risque de voir dégénérer un conflit en cataclysme mondial est bien plus grand quand une super-puissance s'en mêle directement. La meilleure preuve en sont les deux guerres mondiales où l'Empire Britannique exerçait trop de responsabilités politiques et militaires dans l'Océan Indien et ailleurs, sans avoir toutes les ressources humaines et matérielles nécessaires pour une tâche d'une telle ampleur. Toute concurrence, même légitime, toute velléité d'indépendance de la part des peuples colonisés étaient perçues comme "dangereuses". Derrière le mythe éminement "moral" de la sécurité internationale arbitré obligatoirement par Washington ou par Moscou (et finalement plus souvent par Washington que par Moscou) se cache une volonté hégémonique, une volonté de geler toute évolution au profit du duopole issu de Yalta et de Potsdam. Il n'y a "danger" que si l'on considère "sacré" l'ordre économique mondialiste, intolérant à l'égard de toute espèce de zone semi-autarcique auto-centrée, à l'égard de toute zone civilisationnelle imperméable aux discours et aux modes d'Amérique. HAUSHOFER croyait, à l'instar de SCHMITT ou de Julien FREUND, que la conflictualité était une donnée incontournable et que les volontés de biffer cette conflictualité constituaient un refus du devenir du monde, de la mobilité et de l'évolution. Ainsi, sur la base de cette philosophie de la conflictualité, la diversité issue des indépendances nationales acquises par les pays riverains de l'Océan Indien est la seule légitime, même si elle engendre des conflits localisés.


C'est parce qu'ils ne voulaient pas qu'une autre grande puissance prenne le relais des Britanniques que GANDHI et NEHRU proclamaient que la souveraineté était leur but principal. Mais, cette souveraineté indienne, optimalement viable que si les eaux de l'Océan Indien ne sont pas sillonnées par les flottes des super-puissances, s'est revue menacée par l'arrivée, d'abord discrète, des Américains et des Soviétiques. Les Américains s'empareront de Diego Garcia, îlot dont nous avons déjà évoqué l'importance stratégique. Or qui tient Diego Garcia, tient un des sommet du triangle océanique qui assure la maîtrise de la Mer du Milieu. Les USA reprennent ici pleinement le rôle de la thalassocratie britannique. A cette usurpation, les riverains ne pourront opposer qu'une philosophie du désengagement, du non-alignement. Ainsi, l'Ile Maurice, soutenue par l'Inde, revendiquera la pleine possession de Diego Garcia. Le Président malgache Didier RATSIRAKA réduira à 2,5% la part du commerce extérieur de son pays avec les super-gros. Le Président des Seychelles, France-Albert RENE, a pris pour devise: "Commercer beaucoup avec les petits, très peu avec les gros". Les Maldives accorderont une base navale à l'Inde. L'Inde s'est donné l'armement nucléaire pour protéger son non-alignement.


Quelles attitudes prendre en Europe?


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Face à ce courageux indépendantisme des Malgaches, Seychellois et Maldiviens, quelle attitude doit prendre l'Europe? Les choix positifs possibles sont divers.

1. Il y a l'option dite "gaulliste de gauche" qui reste exemplaire même si, en France, l'indépendantisme gaulliste est bel et bien mort. L'écrivain politique qui exprime le mieux cette option est Paul-Marie de la GORCE. Il se réfère au discours prononcé par DE GAULLE à Pnom-Penh en 1966 et estime que la France doit se positionner contre les Empires, aux côtés des peuples opprimés. P.M. de la GORCE rejoint ici l'option de HAUSHOFER et de la Ligue des peuples opprimés. Pour Edmond JOUVE, avocat du dialogue euro-arabe, il faut opposer une philosophie du droit des peuples à la philosophie individualiste et occidentale des droits de l'homme. Ces deux auteurs, situés dans la mouvance du "gaullisme de gauche", doivent nous servir de référence dans l'élaboration de notre géostratégie.


2. Il y a l'option suédoise, portée par Olof PALME, récemment assassiné. La Suède a ainsi préconisé le non-alignement, s'est donné une industrie militaire autonome et s'est faite l'avocate de la création, en Europe, de "zones de Paix". Malheureusement, cette option suédoise, contrairement à l'option gaulliste, a avancé ses pions sous le déguisement de l'idéologie iréniste soixante-huitarde, décriée et démonétisée aujourd'hui. Cette politique poursuivie par PALME doit désormais être analysée au-delà des manifestations de cette idéologie dépassée et finalement fort niaise. Derrière le visage d'un PALME arborant la petite main des One-Worldistes de SOS-Racisme ("Touche pas à mon pote"), il faut reconnaître et analyser sa politique d'indépendance. PALME cherchait des débouchés pour ses industries dans le Tiers-Monde, de manière à assurer leur viabilité parce que d'autres pays européens refusaient de collaborer avec les Suédois. On l'a vu chez nous avec le "marché du siècle" où trois avions étaient en lice pour figurer aux effectifs des aviations néerlandaise, belge, danoise et norvégienne. Un SAAB suédois, un Mirage français et le F-16 américain. C'est bien entendu ce dernier qui a été choisi. Si les Etats scandinaves et bénéluxiens avaient choisi l'appareil suédois, il se serait créé en Europe une industrie autonome d'aéronautique militaire. Aujourd'hui, SAAB ne peut plus concurrencer les firmes américaines qui, grâce à ce contrat, ont pu financer une étape supplémentaire dans l'électronique militaire. Pour sauver les meubles, la Suède a dû pratiquer une fiscalité hyper-lourde qui donne l'occasion aux écœurants adeptes du libéralisme égoïste et anti-politique de dénigrer systématiquement Stockholm. Quand PALME et les Suédois parlaient de "zones de Paix", ils voulaient des zones dégagées de l'emprise soviétique et américaine où les industries intérieures à ces zones collaboreraient entre elles. Pour les Suédois, la Scandinavie ou les Balkans pouvaient constituer pareilles zones. Vu la politique militaire suédoise, ces zones auraient dû logiquement se donner une puissance militaire dissuasive et non végéter dans l'irréalisme pacifiste.


Pour l'Europe: un programme de libération continentale


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Favoriser un changement en Europe, c'est déployer un programme de libération continentale. Il n'y a pas de changement possible sans grand dessein de ce type. La libération de notre continent implique comme premier étape la constitution de zones confédératives comme la Scandinavie (Islande, Norvège, Suède, Danemark, Finlande), les Balkans (Grèce, Yougoslavie, Bulgarie, Roumanie), la Mitteleuropa (Bénélux, RDA, RFA, Pologne, Tchécoslovaquie, Hongrie, Autriche). L'Italie, l'Espagne (avec le Portugal) et la France constituant des espaces suffisamment grands dans l'optique de cette première étape. L'idée d'une confédération scandinave a été l'axe central de la politique suédoise depuis 1944. La découverte d'archives datant de cette année vient de prouver que la Suède comptait mobiliser 550.000 soldats pour libérer le Danemark et la Norvège et pour éviter, par la même occasion, qu'Américains, Britanniques et Soviétiques ne s'emparent de territoires scandinaves. Dans cette optique, la Scandinavie devait rester aux Scandinaves.


Depuis l'économiste NAUMANN, qui rédigea un projet de "Mitteleuropa" en 1916, l'idée d'une confédération de type helvétique s'appliquant aux pays du Bénélux, aux Allemagnes et aux restes de la monarchie austro-hongroise s'était évanouie dans le sillage du Traité de Versailles, des crises économiques (1929) et de la parenthèse hitlérienne. Les Etats du Bénélux avaient préféré se retirer du guêpier centre-européen et opté pour le rapprochement avec les monarchies scandinaves. Albert Ier soutenait le Pacte d'Oslo (1931) et le futur Léopold III épouse une princesse suédoise, Astrid, pour sceller ce projet. Aujourd'hui, en Allemagne, l'idée d'une confédération centre-européenne revient dans les débats. Ce sont le Général e.r. Jochen LöSER et Ulrike SCHILLING qui ont rédigé un premier manifeste, visant en fait à élargir le statut de neutralité de l'Autriche aux deux Allemagnes, à la Hongrie, à la Tchécoslovaquie, à la Pologne et aux Etats du Bénélux. Cette zone assurerait par elle-même sa défense selon le modèle suisse et les théories militaires élaborées par le Général français BROSSOLET, par l'ancien chef d'Etat-Major autrichien Emil SPANOCCHI, par LöSER lui-même et par le polémologue Horst AFHELDT. L'armée serait levée sur place, les communes seraient responsables de la logistique et d'un matériel entreposé aux commissariats de police ou de gendarmerie. Les missiles anti-chars, type MILAN, constitueraient l'armement des fantassins, de même que des missiles anti-aériens, types SAM 7 ou Stinger. Ces troupes, en symbiose avec la population, disposeraient également de chars légers, types Scorpion ou Wiesel (aéroportables). La réorganisation des armées centre-européennes aurait ainsi pour objectif de transformer le cœur géopolitique de notre continent en une forteresse inexpugnable, à lui impulser la stratégie du "hérisson", contre lequel tout adversaire buterait. Cette logique strictement défensive se heurte surtout au refus de Washington et à la mauvaise volonté américaine car la hantise de la Maison Blanche, c'est de voir se reconstituer une Europe semi-autarcique, capable de se passer des importations américaines, agricoles ou industrielles.


Dans les Balkans, les projets de rapprochement ont été sabotés par Moscou dès 1948, lors du schisme "titiste". TITO accepte le Plan Marshall et prône les voies nationales vers le socialisme. Il vise le regroupement des Etats balkaniques en une confédération autonome, calquée sur le modèle du fédéralisme yougoslave. L'URSS craignait surtout l'intervention britannique dans cette zone: c'est ce qui explique son hostilité au titisme. Aujourd'hui, après les incessantes velléités roumaines d'indépendance, Moscou semble prête à assouplir sa position. Washington, en revanche, voit d'un très mauvais oeil la bienveillance de PAPANDREOU à l'endroit du projet de confédération balkanique. D'où la propagande anti-grecque, orchestrée dans les médias occidentaux.


La France a connu la "troisième voie" gaullienne, a mis l'accent sur sa souveraineté. Cette option gaullienne bat de l'aile aujourd'hui. Pour la concrétiser, la France devrait adopter le projet de "parlement des régions et des professions" de certains cercles gaullistes, mode de gestion qui rapprocherait les gouvernés des gouvernants de manière plus directe que l'actuelle partitocratie ("La Bande des Cinq", LE PEN inclu). Ce rapprochement permettrait également d'adopter le système militaire par "maillage du territoire national", préconisé par BROSSOLET ou COPEL. Ce système transformerait le territoire français en une forteresse pareille au "Burg" helvétique. De plus, les jeunes conscrits français effectueraient leur service militaire près de leur domicile et l'ensemble du territoire serait également défendu, en évitant la concentration de troupes en Alsace et en Lorraine. Car pour la France comme pour l'Europe, le danger ne vient plus de l'Est mais de l'Ouest. En prenant acte de cette évidence, la France hérite d'une mission nouvelle: celle d'être la gardienne de la façade atlantique de l'Europe. Sa Marine a un rôle européen capital à jouer. Ses sous-marins nucléaires seront les fers de lance de la civilisation européenne, les épées du nouveau "jus publicum europaeum" contre les menaces culturelles, économiques et militaires venues de Disneyland, de la Silicon Valley, du Corn Belt et du Pentagone. Parallèlement, la France doit reprendre ses projets d'aéroglisseurs et de navires à effet de surface ("NES" et "Jet-foils"). Ces projets ont été honteusement abandonnés, alors que les Américaines et les Soviétiques misent à fond sur ces armes du XXIème siècle. La France déployerait ainsi ses sous-marins et sa flotte et rendrait l'approche de ses côtes impossible grâce à une "cavalerie marine" de NES et d'aéroglisseurs. La figure symbolique du combattant français de demain doit absolument devenir le soldat de la "Royale", le sous-marinier, le cadet de la mer, le fusilier-marin, le "missiliste" des NES. Le théoricien militaire de cette revalorisation du rôle de la marine française est l'Amiral Antoine SANGUINETTI.


Telles sont les prémisses de notre "nouvelle doctrine HARMEL". Une doctrine qui, comme celle qu'avait élaborée le conservateur liégeois dans les années 60, se base sur un concept d'Europe Totale et cherche à détacher les Européens (de l'Est comme de l'Ouest) de leurs tuteurs américains et soviétiques. Cette doctrine préconise le dialogue inter-européen et rejette la logique de la guerre froide. Elle implique, parallèlement, une diplomatie de la main ouverte aux peuples qui veulent, partout sur la planète, conserver leur autonomie et leurs spécificités. En conclusion: la collaboration harmonieuse entre l'Europe et le "Tiers-Monde" passe par l'effondrement du statu quo en Europe. Par la mort de Yalta.


Que faire?

Notre projet de "paix universelle"


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Les hommes et les femmes lucides d'Europe doivent dès aujourd'hui se poser la question de LENINE: que faire? Eh bien, il faut lutter contre le statu quo, puis reprendre la perspective de HAUSHOFER. Il faut viser la libération de la "diagonale", depuis l'Islande jusqu'à la Nouvelle Zélande. Sur cette ligne, devront se créer des zones semi-autarciques auto-centrées, indépendantes de Washington et de Moscou avec, en Afrique: une confédération saharienne (Maroc, Algérie, Tunisie, Libye), avec, en Europe, neuf confédérations se juxtaposant (Iles Britanniques, Scandinavie, Mitteleuropa, France, Ibérie, Italie, Suisse, Balkans, URSS), avec une Turquie libérée de sa sanglante dictature otanesque, un Moyent-Orient soudé selon les principes nasseriens, un Iran stabilisé dans la "troisième voie" qu'il s'est choisie en expulsant son Bokassa de "Shah", un Afghanistan libre de toute tutelle (c'est là notre principal litige avec l'URSS), un Pakistan débarrassé de l'influence américaine (ce qui ne sera possible que si les Soviétiques évacuent l'Afghanistan), une Fédération Indienne dotée de son armement nucléaire, de son arsenal autonome en croissance progressive et son armée magnifiquement disciplinée de plus d'un million de soldats, avec une zone de coprospérité dans l'Océan Indien (Seychelles, Maldives, Maurice, Réunion, Madagascar, Somalie, Yémen), avec, enfin, une zone de co-prospérité australo-néo-zélandaise. Cette dernière zone constitue un souhait de plus en plus répandu en Australie et en Nouvelle-Zélande, où la population n'a nulle envie de troquer la tutelle britannique défunte contre une nouvelle tutelle américaine. Tel est le vœu de David Lang, Premier Ministre néo-zélandais et de la gauche neutraliste australienne. L'éclatement de l'ANZUS (pacte unissant l'Australie, la Nouvelle-Zélande et les Etats-Unis) est souhaitable dans la mesure où il permettrait un développement semi-autarcique des Etats océaniens et la création de nouveaux flux d'échanges, non directement déterminés par les USA. Ces flux d'échanges pourraient éventuellement s'effectuer avec un Pacifique Nord dominé par le Japon et détacher partiellement ainsi l'Empire du Soleil Levant du système économique que lui imposent les Etats-Unis, avec la complicité de NAKASONE.


C'est par le désengagement de la "diagonale" Islande-Nouvelle-Zélande que s'affirmera l'indépendance de l'Eurasie et de l'Afrique, espoir de HAUSHOFER, le seul géopoliticien qui ait, jusqu'ici, pensé le destin de l'Europe avec une clairvoyance aussi audacieuse.


Certes, la réalisation d'un tel programme exigera une longue marche, une très longue marche. Mais l'avenir exige que nous mettions tout en œuvre pour y aboutir. Et si ce n'est pas la clairvoyance haushoferienne qui dictera notre agir, ce sera la cruelle nécessité, née de la misère économique que nous infligera cette guerre économique acharnée que nous livrent les Etats-Unis, épaulés par leurs séides.


Il y a bien sûr des obstacles: les Etats-Unis, l'Etat d'Israël qui, au lieu du dialogue avec ses voisins arabes et avec les Palestiniens, a choisi d'être un pantin aux mains des Américains, la dictature d'EVREN en Turquie (depuis lors remplacée par le "démocratisme musclé" de Turgut ÖZAL, politicien super-obéissant à l'égard des diktats du FMI qui, lui, vise à briser l'autarcie turque et à orienter l'économie du pays vers l'exportation), le verrou indonésien, oublieux du non-alignement de SOEKARNO.


La création d'un "jus publicum eurasium ", notre projet de paix universelle, n'éliminera pas les conflits locaux. Nous ne tomberons pas dans le piège des messianismes pacifistes. Il n'y aura pas de fin de l'histoire, pas de règne de l'utopie. Les conflits locaux subsisteront, mais en risquant moins de dégénérer dans une conflagration universelle. La nouvelle "Doctrine REAGAN", qui prône un soutien aux peuples en révolte contre les amis de l'URSS ("Contras" au Nicaragua, rebelles afghans, Khmers hostiles aux Nord-Vietnamiens), est basée, elle aussi, sur l'idée qu'un monde irénique est une chimère. Pour l'Eurasie, un principe cardinal doit gérer le "jus publicum" que nous envisageons: la non-intervention des USA. A la "Doctrine de Monroe" américaine, il faut rétorquer par une "Doctrine de Monroe" eurasienne et africaine.


Robert STEUCKERS,

mai 1986.